L’improbable dialogue présidentiel

16 December, 2020 - 14:39

Est-il possible d’imaginer un dialogue entre deux présidents, que je ne connais qu’à travers les médias, sans risquer de passer à côté et, peut-être, d’écorcher l’un ou l’autre ou les deux à la fois ?  Dans ce dialogue, j’ai tu pas mal de petites misères que je connais pourtant bien mais que je n’ai pas trouvé opportun de signaler au stade où nous sommes. Mais ce ne sera que partie remise, les dialogues ne finissant jamais, même lorsqu’ils présidentiels et aussi très improbables. Lisez :

- Ghazouani : Monsieur le président…

- Abdelaziz : …Tu te rappelles encore que je le fus ! Quel progrès !                                                                 

- Ghazouani : Mais je ne l’ai jamais oublié…                                                                                                 

- Abdelaziz : ... Mais si, tu l’as oublié et t’as même oublié l’article 93 !                                                    

- Ghazouani : Président, arrête de sortir cette histoire d’article 93, tu n’en as pas besoin !                      

- Abdelaziz : Comment puis-je ne pas en avoir besoin, moi qui suis traqué ainsi que tous mes proches ! Mais vous allez bien voir de quel bois je me chauffe !                                                                          - Ghazouani : Bismillahi errahmani errahim, on n’ira jamais jusque-là, nous sommes…                               

- Abdelaziz : … Nous sommes quoi ? Toi tu es président maintenant et moi je suis poursuivi comme si j’étais n’importe quel malfrat ! Et il faut savoir que tes gris-gris et incantations, ça ne me dit plus rien ! Je ne suis plus ton talibé.

- Ghazouani : Non, non, ne dis pas ça comme ça ! Tu sais quand même que tu fus Almoudo et que tu le resteras.

- Abdelaziz : Oui, mais pour celui qui me tourne le dos !                                                                             

 - Ghazouani : Mais qui a tourné le dos à qui ? Il faut bien être objectif et accepter de faire la part des choses. Lequel parmi nous a commencé les hostilités ?  Lequel ? Dis-le-moi !                           

- Abdelaziz (un peu déstabilisé) :  Moi, je n’ai jamais fait quoi que ce soit de mal ! La seule faute que j’ai commise, c’est d’avoir placé mon ami aux commandes du pays !                                                              

- Ghazouani : Non, du tout ! Ta faute, c’est d’être sorti par la porte et d’avoir voulu entrer par la fenêtre ! C’est ça, ta faute ! C’est un projet que tu n’avais pas bien ficelé ! T’aurais dû passer par moi, comme d’habitude pour que j’éclaire ta lanterne et que j’implore Allah pour la réussite de ton projet.

- Abdelaziz : Mais de quelle fenêtre parles-tu, Général ?                                                                

- Ghazouani : De la fenêtre UPR. Mais tu n’as pas à m’appeler Général !                                                 

-Abdelaziz : Maintenant encore, tune me donnes plus la liberté de parler comme je veux ! Quelle mutation ! Moi qui suis ce que je suis, qui ai tout fait pour nous deux et pour le pays, je ne suis plus libre de dire ce que je veux : on me choisit jusqu’aux termes que je dois utiliser !

- Ghazouani : Non, ne dis pas ça. Je suis ton pote de toujours et je croyais avoir le droit de te dire amicalement que tu dois m’appeler comme tu le faisais.                                                                   

- Abdelaziz : Moi, je comprends bien que tu veux me rappeler que, désormais c’est toi le président de la République !Mais je n’en disconviens pas, c’était moi qui avais travaillé pour ça et j’implore Allah pour ne pas avoir à regretter davantage.                                                                                                                 

-Ghazouani : Mais, ça veut dire que le regret, il y en a déjà ?                                                   

- Abdelaziz : Evidemment qu’il y en a ! Moi qui ai tout fait pour ce pays, qui ai construit des milliers de kilomètres de routes, tous ces hôpitaux que tu vois, qui ai changé les billets de banque, l’hymne national, modifié le drapeau et magnifié l’œuvre des résistants, me voilà trainé devant la police économique et, peut-être demain, devant les tribunaux alors que tous ces gens,  qui tiennent à ma poursuite et à me déposséder de la fortune dont toi tu connais la provenance, me suppliaient, il y a si peu de modifier la constitution et de rester encore pour un ou des mandats supplémentaires. Conseil d’ami, ces gens-là, ne les écoute pas ! Le jour où tu n’auras plus le vent dans le dos, ils te cracheront dessus, comme ils me l’ont fait.                                                                                                                      

 -Ghazouani : C’est vrai, tout ça ! Mais tu ne sais pas aussi que beaucoup d’autres choses sont faites et/ou ne sont pas faites dans ton intérêt ?  Tu ne vois pas que …                            

 - Abdelaziz : … qu’est-ce qui est fait ou pas fait dans mon intérêt? Moi j’ai mon immunité, l’article 93 me protège contre tout et il protège mes biens et puis, tu vas voir, nul magistrat n’ose me faire parler. Ils ont tous peur de moi et la plupart d’entre eux croient à mon probable retour aux affaires. 

-Ghazouani : Voilà que tu as compris pourquoi on n’a pas fait de grands chambardements ni au niveau de la justice ni même au niveau de toute l’administration publique ! On nous crie dessus tous les jours en nous disant que nous faisons que recycler tes anciens collabos et que le régime actuel n’est que le prolongement du tien en bien et en mal. Imaginez les dégâts !C’est très gênant pour moi, tu sais ? Mais il y a toi et il y a que j’avais promis de ne laisser personne au bord de la route. Cela étant, j’ai choisi de garder tous ceux qui avaient des postes de responsabilité et les autres –ceux qui étaient à la touche- je ne les aurai pas laissés au bord de la route parce qu’ils n’y sont même pas !                                                  

- Abdelaziz : Etrange prolongement de mon régime, es-tu conscient de ce que tu dis ? Alors que je suis traqué et que d’aucuns disent que je serai incessamment déféré devant la justice ? Arrête, s’il te plaît de me prendre pour un idiot. Tu verras bien que je m’en sortirai et vous, tous, vous verrez avec moi. L’article 93 suffit pour me protéger !

Ghazouani : Moi, en tout cas, je ne suis et ne resterai que ton éternel ami, mais il faut bien que tu l’acceptes.                                                                                                      

Abdelaziz : Mais qu’est-ce que je n’ai pas fait pour mériter ton amitié ? Tu sais bien que j’ai renoncé au3e mandat et que je t’ai choisi pour me remplacer. C’est tout ça que je ne veux pas avoir à regretter aujourd’hui, hein, hein ! Esmaat ? Et l’article 93 est la seule arme qui me reste fidèle entre toutes et tous !              

Ghazouani : Monsieur le président, un peu moins d’autorité, s’il te plaît ! Ici, nous échangeons en amis : moi, pas en tant que ministre ou chef d’état-major et toi pas en qualité de chef d’Etat.                                                                                                      

Abdelaziz : Là, tu veux bien me dire que je ne suis plus président de la République ? OK, mais l’article 93 existe toujours et il me protège contre toi et contre tout le monde. Lisez bien cet article et vous verrez, ce n’est pour rien qu’il est là et moi, tout ce qui m’est reproché est couvert, vois-tu, par cet article 93. 

Ghazouani : C’est dommage que tu ne mesures pas combien d’efforts j’ai fournis et continue de fournir pour que tu aies le moins de problèmes possibles.                            

Abdelaziz : Ne t’en fais pas ou plus pour moi, l’article 93 est là pour me protéger. Cet article-là, il n’est pas là-bas pour rien. Toute faute que j’ai commise durant l’un de ces mandats est couverte par le 93. Y a rien à dire ! Rien à faire ! Même si je commets la plus grosse bourde, cet article est là pour me tirer d’embarras.

Ghazouani : Moi, je ne cherche pas à t’incriminer ; tu es mon ami, mon souci est de te protéger mais tu ne m’y aides pas. Moi, j’ai tout fait : j’ai gardé tes ministres, tes directeurs, tous tes responsables et j’ai fait tout ce que je peux. Seulement, désormais il y a une séparation des pouvoirs. Les pouvoirs parlementaire et judiciaire sont indépendants et je ne pourrai interférer pour leur demander te coller la paix. Ce dossier-là m’échappe un peu, je ne le contrôle pas…

Abdelaziz :...Ah, et l’article 93 ?                                                                                        

Ghazouani : Ça, c’est à voir avec les magistrats, pas avec moi…                                            

Abdelaziz : … Mais ça veut dire que tu ne comprends pas ce que prévoit cet article ?

Ghazouani : Si, si, mais les magistrats sont eux qui savent et ce sont eux qui appliqueront la loi...                                                                                                                                    

 Abdelaziz : ... Mais moi, les magistrats, je ne leur parlerai pas grâce ou à cause de l’article 93 !                                                                                                                                                  

 Ghazouani : Moi, en tout cas, à ta place, à Allah ne plaise, je leur aurai parlé parce que je trouve qu’il vaut mieux pour tout prévenu de collaborer avec la justice...                         

Abdelaziz :...Mais ça veut vraiment dire qu’ils auront à m’écouter ? C’est donc sérieux ? Et l’article 93, que vont-ils en faire ?                                                                                      

Ghazouani : Tout ira bien, ne t’en fais pas. Mais, en attendant, tu voudras bien arrêter ces campagnes médiatiques qui développent énormément de contre-vérités

Pour me discréditer. Moi, c’est grâce à toi que je n’ai pas sévi contre tous ceux qui en sont à l’origine.                                                                                                                   

Abdelaziz : Moi en tout cas, je suis protégé par l’article 93 et ça me suffit !                   

Ghazouani : J’ai une contrainte qui m’oblige à prendre congé de toi. Je vois que l’article 96 ne m’a pas laissé trouver mon ami.                                                                                     

Abdelaziz : Mais ce n’est l’article 96, c’est bien l’article 93...                                             

Ghazouani : Autant pour moi, mon ami ! Mais tu sais bien que, quand on était à Meknès, il m’était plus facile de réciter que toi. Abdelaziz : Ah, écoute, ça, c’était le bon vieux temps ! Celui de la dèche et de tout ce que tu sais. Je te laisse partir mais non sans te recommander de lire l’article 93.

 

 

 

Ely Ould Abdalla