Festivités de l’Indépendance : Coup de barre à gauche ?

2 December, 2020 - 23:38

La commémoration de l’Indépendance est souvent l’occasion pour le président de la République d’annoncer diverses mesures et faire des gestes à l’endroit de ses compatriotes. Mohamed ould El Ghazwani n’a pas dérogé à la règle, à l’occasion du second anniversaire qu’il préside après son élection en Juin 2019. Dans son discours traditionnel à la Nation prononcé la veille de la Fête, il a annoncé d’importantes mesures ; à caractère social surtout. Très attendu l’an dernier par ses concitoyens, il n’avait rien pu promettre, sauf aux corps habillés. Les festivités à Akjoujt avaient été perturbées par ce que d’aucuns avaient qualifié de « tentative de déstabilisation » de la part de son prédécesseur, via Bataillon de la sécurité présidentielle.

 

De quoi respirer un peu mieux

En cette année 2020, le Président ne pouvait rester insensible aux nombreuses préoccupations de ses compatriotes, surtout les plus démunis durement ébranlés par les conséquences de la pandémie COVID-19. Les mesures prises par le gouvernement n’avaient pas fait grand choc chez de nombreux mauritaniens. Un coup de barre à gauche était donc nécessaire. Ghazwani a pensé aux retraités et leurs veuves, ces oubliés du COVID. Une vraie bouffée d’oxygène, avec l’augmentation de 100 % de la pension de base, désormais payable par mois et non plus par trimestre comme auparavant. Ce n’est un secret pour personne que les pensions sont trop maigres en Mauritanie. Ne tombant qu’au trimestre échu, on comprend le calvaire enduré par ces hommes et femmes. C’est d’ailleurs pourquoi nos retraités ne se reposent pas après avoir fait valoir leur droit à la retraite : ils courent dare-dare chercher un autre boulot ou décrocher un nouveau contrat avec leur ancien employeur. Les sociétés de gardiennage qui se sont multipliées sous le règne d’Ould Abdel Aziz sont devenues de grandes pourvoyeuses d’emplois, en particulier pour les retraités des forces armées et de sécurité, même si la sous-traitance réduit souvent leurs traitements au dérisoire. Ainsi trouve-t-on de véritables croulants en vigiles de résidence privée, société, ministère, banque…Il faut, comme on dit,« arrondir les fins de mois », véritable angoisse pour les travailleurs ; retraités surtout. Penser à cette catégorie de citoyens est donc fort louable ; c’est répondre à une doléance traînée comme un boulet depuis des années. Quant aux veuves retraitées, elles vont bénéficier non seulement du doublement de leur pension mais aussi de leurs prestations d’assurance-maladie.

Autre catégorie allocataire des grâces présidentielles, les enseignants qui ne cessaient, depuis l’institution des primes de craie et d’éloignement, de réclamer leur augmentation. Leur gratification faisait couler beaucoup de salive et de protestations. La prime de craie est non seulement généralisée mais elle devient aussi payable les douze mois de l’année, au lieu de neuf par le passé. La prime d’éloignement instituée pour inciter les enseignants à servir dans les coins reculés du pays sera elle aussi augmentée. Les inspecteurs verront leur indemnité augmentée de dix mille ouguiyas.

Comme les enseignants, les agents du personnel de santé recevront, sur leur feuille de paye, une augmentation de 30 % de leur salaire. Ici aussi, les primes de risque sont désormais généralisées. Enfin, le président de la République a eu une pensée envers les personnes souffrant d’insuffisance rénale et autres maladies handicapantes. Leur prise en charge sera augmentée, avec des primes mensualisées de transfert, quinze mille UM en espèces, assurance-maladie et, pour les enfants polyhandicapés, un appui financier mensuel de vingt mille UM.

 

Un marché à réguler pour l’équité

Un geste amplement justifié par l’importance des ressources que tire l’État du pays. Il est grand temps qu’elles rendent service aux populations mauritaniennes démunies. Restée jusque-là un vain mot, la répartition équitable des profits tirés des nombreuses richesses nationales (fer, cuivre, or, hydrocarbures, poissons, impôts et taxes...) est-elle enfin sur les rails ? Pourvu tout simplement que les mesures annoncées par le président de la République puissent profiter à d'autres catégories socioprofessionnelles !Les Mauritaniens ont tous souffert, de près ou de loin, de la COVID-19. La justice sociale passe nécessairement par une telle équité, d'autant plus que les milliards mobilisés pour riposter contre la crise sanitaire n'ont profité qu'à une infime partie des citoyens. Le gouvernement serait, à cet égard, bien avisé d’auditer les dépenses effectuées, ne serait-ce que pour éclairer les Mauritaniens.

Reste enfin à savoir si, au-delà de ce geste envers certains ménages, le gouvernement osera s’attaquer à la flambée chronique des prix des produits de première nécessité. Les Mauritaniens sont habitués à voir les commerçants augmenter les prix, chaque fois que les pouvoirs publics augmentent les salaires. Pour permettre à la décision du chef de l’État d’impacter vraiment sur le panier de la ménagère, le gouvernement d’Ould Bilal doit donc contrôler les prix et surtout casser le monopole instauré sous Ould Abdel Aziz dans l’approvisionnement du pays en certains produits de base. Entre encadrement et liberté d’entreprendre, c’est une vraie science de la régulation qui doit maîtriser le marché, au service concret de tous.

Dalay Lam

 

Réactions

Madame Aminetou mint Moctar, présidente AFCF

J’ai suivi le discours du président de la République à l’occasion de la Fête de l’Indépendance. Laissez-moi vous dire tout de suite qu’il n’a pas été à la hauteur des nombreuses attentes des populations mauritaniennes. Il m’a laissée sur ma faim. Les veuves, certains malades et handicapés, le personnel enseignant et celui de la santé qu’il a ciblés dans son adresse à la Nation ne sont pas les seuls citoyens dans le besoin. Certes ils souffrent mais pas plus que les autres catégories de citoyens.

Dans un discours à la Nation marquant la commémoration de la Fête de l’Indépendance, un président de la République doit toucher à tous les secteurs de la vie publique et non procéder par éliminations. Nous attendions des gestes forts sur la justice sans laquelle tout le reste patine ; sur le passif humanitaire, l’esclavage et la cohésion sociale ; mais, à l’arrivée, le Président a choisi de les ignorer, comme il s’est abstenu de parler des perspectives d’avenir pour notre pays, au plan économique, politique et social, alors que les Mauritaniens l’attendent encore là-dessus, près de deux ans après son élection à la tête de la Mauritanie. Pour moi, le discours du président de la République n’a pas été à la hauteur de l’évènement.

 

Monsieur Brahim Bilal, président Fondation Sahel

J’apprécie bien ces mesures qui touchent des couches sociales vraiment vulnérables, comme les retraités et les handicapés. Je pense aussi que les travailleurs de la santé en ont besoin car ils méritent d’être encouragés et motivés. Mais je ne suis pas du tout satisfait du traitement réservé aux travailleurs de l’Éducation. Ce n’est pas un bon signe. Très inquiets, nous avons bon espoir que ce Président et son gouvernement mettent le paquet pour rehausser le niveau de vie des enseignants ! Je lance donc un appel solennel au président de la République de faire de l’enseignement sa priorité, avec des gestes significatifs envers les enseignants et les professeurs.

 

Monsieur Samory ould Bèye, SG de la CLTM

Nous sommes déçus de ces mesures. Nous attendions plutôt des augmentations significatives et généralisées soulageant les populations affectées par la pandémie COVID-19. En outre, les mesures annoncées n’auront aucune incidence sur la vie des concernés, dans la mesure où elles ne sont calculées que sur les salaires de base. Or vous n’êtes pas sans savoir combien ceux-ci sont trop maigres pour les retraités, veuves, personnel enseignant et de santé. C’est pourquoi les uns et les autres réclament, depuis bien longtemps, l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail.

 

Madame Moutha mint El Hadj, présidente de la Commission Nationale des Femmes UPR

Nous avons suivi  et apprécié à sa juste mesure l’adresse  à la Nation du président de la République, son excellence Mohamed Cheikh El Ghazwani. Ce discours a démontré une fois de plus que le président de la République est à l’écoute de son peuple, qu’il respecte les engagements pris devant ses concitoyens. Nous nous réjouissons des mesures annoncées et magnifions celles destinées aux couches vulnérables de notre pays. De haute facture, ce discours a révélé combien le président de la République est attaché à la consolidation de l’unité nationale et à la cohésion sociale. Il a brossé le bilan très positif de ses quelques mois de règne, les grands chantiers engagés, les perspectives  roses de notre économie. Au final, un grand moment pour le pays, je suis persuadée que cette allocution n’a laissé personne indifférent dans le pays.