Boer-Toress, mon premier village (suite et fin)/Par Mohamed Ould Ahmed Ould Meiddah

22 October, 2020 - 00:10

Je revois encore le vieux Ahmedou Ould Tah montant sur son joli chameau. C’était un beau vieillard à barbe bleuie par l’excès d’utilisation de la guinée. Il avait autour du cou un turban neuf de ‘’Savana’’ qui dissimulait à peine un énorme assemblage d’amulettes bien insérées dans des étuis en cuir.
Mention spéciale au marabout troubadour du village, le très sympathique Boddy et ses célèbres ‘’Houbboulo Mbarka Ndiaye, acsenana, acmenana, aclan !’’. C’était un infirme inoffensif et intéressant qui arpentait les rues du village en chantant des louanges du Prophète dans un arabe clairsemé d’expressions Ouolof… Les gens le considéraient comme un personnage mystique qui ne voulait pas ‘’apparaitre’’, dans le jargon du soufisme à la mauritanienne ?
A ‘’Askeira’’, j’ai fini par me familiariser avec tout le monde et cela a un peu atténué ma timidité congénitale.
J’ai souvent été sous la tente du doyen Ahmedou Baba Ould Mhamed Ould Ahmed Youra. Il était déjà très âgé et son ‘’domaine’’ occupait un vaste terrain au milieu du quartier et forçait l’admiration par sa propreté et l’arrangement de ses meubles…  La cour est constamment bien entretenue par une femme brave, Beyya Mint Jmeyyie qui excellait dans l’art de tamiser le sable pour en extirper les morceaux de charbon et les débris de bois usé.
Beyya Mint Jmeyyie était d’un caractère autoritaire et aucun enfant du village ne pouvait se permettre une quelconque impolitesse à son égard ou à l’égard d’une autre personne en sa présence.  Et pour cause : Elle était la dentiste du village… En fait, elle se chargeait des extractions dentaires et elle s’acquittait de son métier bénévolement et avec le même engouement aussi bien s’il s’agissait de soulager un enfant souffrant, que de le punir pour mauvaise conduite envers ses parents ou toute autre personne majeure.
Beyya avait pour instrument un vieux canif non stérilisé et, pour chaise de travail, la poitrine de la victime du moment.
Je me souviens encore des conditions dans lesquelles elle m’a apporté son assistance.
En fait, j’avais des canines de lait persistantes qui commençaient à perturber l’évolution normale de ma dentition… Ce jour-là, elles n’ont pas résisté devant le professionnalisme de la dentiste … Beaucoup de sang avait coulé mais tant pis !
 

Finis les complexes !
Le deuxième grand personnage de ’’Askeira’’ est Chemmad Ould Mhamed Ould Ahmed Youra. C’était un vieillard que l’on trouvait presque toujours en train de lire ou de dépoussiérer ses livres et qui était l’une des rares personnes du village à posséder un poste de radio ‘’ kereir’’ occupant une place de choix dans sa tente toujours bien aménagée par Cheddad, son homme à tout faire.
On disait que ses stations préférées étaient « Sawt El Arab » émettant du Caire et Radio Tanger qui ne cessait à l’époque de nourrir une polémique avec celle de Nouakchott à propos de l’indépendance de la Mauritanie, contestée par le Royaume du Maroc.
Parmi les personnalités symboliques de « Askeira », il faut citer Aicha Sy, une femme élancée et corpulente qui vivait dans l’entourage d’Ehl Ahmed Youra. Elle n’était pas originaire de Boer-Toress mais lorsque je l’ai connue, elle était une pièce maîtresse du dispositif local, surtout pour les enfants auxquels elle vendait certaines petites choses. Je n’ai aucune idée de ce qu’elle est devenue après…
Après des vacances scolaires passées aux abords de Boutilimitt, je reviens à Boer-Toress.
A l’école, Fall Lamine n’était plus. Il a été affecté je ne sais où et remplacé par un jeune homme originaire du village, le sympathique Moctar Oummou Ould Ahmedou Ould Moctar.
Finis les problèmes… Le cours préparatoire, deuxième année (CP2) s’annonçait bien. Je n’étais plus le petit enfant craintif qui débarque de la brousse au milieu des enfants du village.
 J’avais perdu tous mes complexes d’infériorité et mon nouveau maître n’a ménagé aucun effort pour qu’il en soit ainsi. Je lui dois beaucoup de respect et de considération.
Garraye était toujours chargé du cours d’arabe mais il était plus assidu dans sa ‘’Mahadhra’’ où il enseignait des choses plus sérieuses que les noms des cinq doigts de la main…
Moctar Oummou peut être considéré, à juste titre, comme l’enseignant mauritanien à la carrière professionnelle la plus stable.
En effet, j’allais le retrouver en 1999, une année avant son départ à la retraite, dans la même salle de classe où il m’avais enseigné et qu’il n’a jamais quittée depuis que nous nous y sommes rencontrés, un beau matin de l’année scolaire 1963-1964. C’est un record ! Qui dit mieux ?
Pour en revenir aux détails, je noterai une tradition sociale aujourd’hui tombée en désuète et qui était répandue à l’époque dans les milieux maures et particulièrement à Boer-Toress.
Il s’agit des ‘’Aessar’’, ces clubs fermés qui étaient constitués par des personnes de même âge. On leur donnait des noms qui n’avaient parfois aucune connotation historique ou culturelle.
Les ‘’Aessar’’ étaient un cadre propice à la solidarité sociale dans toutes ses dimensions.
Je me souviens encore des noms de quelques uns qui ravissaient la vedette dans le village de Boer-Toress : Ewlad Demba, Ewlad Samba Mali, Amrique…
Le premier regroupait une vingtaine d’hommes dont l’âge variait entre quarante et cinquante ans. C’était le « Asser » de mon père et notre tente était son quartier général.
 

Résultats satisfaisants
Il regroupait entre autres BebbaOuld Sidi Ould Tah, Abdellahi Ould Ahmedou, Mamoun Ould Moctar Slama, Hammoudy, Mouhalliloun Ould El Voudhail, Meyn Ould Sidi Ould Mohamedhen, Ahmedou Mamine, feu Mohamed Baba Ould Mohamedhen Baba, Ahmedou Salem Ould Yeyyine…
Le ‘’Mali’’ comptait parmi ses membres mon enseignant Moctar Oummou, Abdou OuldMéyèye, Abdou Ould El Voudhail, Doudou Ould El Meiddah…
A notre tour, mes amis et moi formions ‘’Amrique’’ pour assumer un rôle précoce…
Notre leader incontesté était Brahim Ould Eminou dont la mère, la très sympathique Aicha, nous recevait avec des égards disproportionnés avec notre véritable statut.
Ma mémoire ne me permet plus de classer tous les hommes du village dans leurs « Assir » respectifs. Ainsi, je ne sais plus dans quel « Assir » je dois classer des personnes de premier plan telles que Mohameden Ould Mohamed Baba surnommé Esseyyed… C’était un homme charismatique dont j’entendais souvent mon entourage louer la générosité et le sens de l’honneur.
Je ne sais plus également où classer les frères Ahmed et Abdellahi, fils de Hamden, les grands marabouts qui avaient une autorité  certaine sur le monde des serpents et les scorpions.
En effet, les gris-gris qu’ils faisaient contre leurs morsures empoisonnées défiaient toute la science et la médecine modernes. Ce don de Dieu se perpétue de nos jours à travers leur descendance.
Mohamed Fall Bebbaha était déjà député à l’assemblée nationale. Ses jeunes frères Ahmed dit Hmeiditt et Abdou étaient des fonctionnaires de l’Etat. Ils venaient au village pendant les week-ends et les congés.
 L’arrivée de l’un des fils du vénérable cadi était toujours un événement dans la localité où, de partout, accouraient par dizaines les demandeurs de services de tous genres…
L’année scolaire 1963-1964 se passa donc sans problèmes et fut sanctionnée par des résultats satisfaisants. Elle sera ma dernière année scolaire à Boer-Toress.
Désormais, j’allais suivre ma grand’mère à Méderdra où elle venait d’acheter, à 200 000 FCFA, la maison de El Houssein Ould Bilal Djouly.
C’est le commencement d’un autre grand et long paragraphe de ma vie scolaire: le communiqué N° 2…