Calamités

17 September, 2020 - 16:09

Voici plusieurs mois que le Parlement a voté la fondation d'une Commission d'enquête parlementaire (CEP) chargée d'entreprendre des investigations sur quelques dossiers de la « décennie Ould Abdel Aziz ». Un volumineux rapport de huit cents pages où des centaines d’ex-très hauts responsables (317 selon Mohamed ould Abdel Aziz) ont été cités dans des affaires scabreuses de mal gouvernance et de mauvaise gestion. Les autorités nationales ont remis officiellement ce rapport à la justice. Le président de la République rappelant, à qui veut le croire, qu'il n'interférera pas dans le processus judiciaire de ce dossier inédit et ne protègera pas les prévaricateurs. Le Parquet a chargé la police  des crimes économiques et financiers d’une enquête préliminaire pour les besoins de laquelle l'ex-président de la République, plusieurs de ses anciens ministres dont trois PM, des proches, des directeurs généraux d'institutions publiques et des hommes d'affaires ont été convoqués et entendu à la Direction générale de la Sûreté nationale. Il va sans dire que si beaucoup de Mauritaniens sont d'accord sur le principe de l'importance de recouvrer les centaines de milliards de butin indélicatement volés par une bande de « responsables », certains, comme Mohamed ould Abdel Aziz et la poignée de ceux qui lui sont restés fidèles, pensent qu’il ne s'agit que d'une opération de dénigrement systématique et de règlement de comptes, savamment orchestrée contre eux par le nouveau pouvoir. Et de citer en exemples la garde-à-vue de l’ex-Président pendant une semaine à la DGSN, l'interdiction arbitraire du nouveau parti (PUDS) auquel ils venaient d'adhérer ou la restriction de la liberté de leur « référence » à circuler librement. En cette affaire, il y a de fait des choses sur lesquelles les autorités doivent apporter rapidement des éclaircissements pour éviter une certaine confusion qui commence à faire douter. En un, les responsables cités sont encore loin d’avoir été tous convoqués ni donc entendus par les enquêteurs. En deux, certains cités par le rapport ont été convoqués et entendus mais ont été, de manière incompréhensible, maintenus, voire confirmés, à leurs postes. Le cas de l'administrateur directeur général de la SNIM, Moktar ould Diay, suscite beaucoup de supputations. Tout comme battre campagne pour un ex-responsable dont le nom est cité dans le rapport de la CEP est tout simplement inadmissible, en contradiction avec l'esprit et la lettre des fondements qui ont motivé et justifié l'adoption d'un organe de moralisation de la vie publique. Les pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif doivent, chacun en ce qui le concerne, jouer strictement son rôle, dans le respect des procédures, d’une part, et, d’autre part, la garantie d’un même traitement de tous ceux clairement cités dans ledit rapport. Autant rien ne justifie le dédouanement, autant rien ne permet le moindre règlement de comptes ou chasse aux sorcières. Nul ne doit ni ne peut se retrouver au-dessus des lois. Tous les cités par la CEP doivent être logés à la même enseigne. Et, nous le dirons jamais assez, aucune pression, aucune accointance, encore moins amabilité, ne doivent prévaloir dans cette œuvre inédite dont l’issue sera déterminante pour l’avenir du pays et l’espérée nouvelle redéfinition des rapports de ses responsables avec le bien public. Si les choses sont correctement et jusqu’au bout menées, le pays en sortira grandi et aura amorcé un important tournant sur le chemin de son développement et celui d’une providentielle révolution de ses mentalités. Mais si, pour n’importe quelle raison, le processus enclenché est arrêté, le pays replongera inévitablement dans des situations dont il est difficile de présager les conséquences. Maintenant, il s’agit de nager… ou se noyer.

El Kory Sneiba