La Mederdra de mon enfance (1)

17 September, 2020 - 12:41

Du temps où j’y fréquentais l’Ecole Folantant, au début des années soixante du siècle dernier, Mederdra était une petite bourgade paisible où il faisait bon vivre. Enserrée entre de grandes fourrières, des périmètres boisés soigneusement protégés par des fils barbelés, elle s’étirait du nord au sud sur une colline de moyenne altitude.
Côté nord, il y avait Médina, un quartier périphérique, point de passage quotidien des voyageurs se rendant à Hssey El Mahsar, le fief de l’émirat qui a donné son nom à la région.
C’est un quartier tranquille où résidaient certains amis d’enfance et promotionnaires : Brahim Dicko, un garçon timide  et sans histoire devenu par la suite un officier de la douane et les regrettés Aicha Dicko, sa sœur et Mohamedou Dieng qui, lui, a fait l’armée.
Je me souviens de quelques noms qui, dans ma mémoire, sont restés synonymes de Médina : c’est le cas d’Ehel Jelledi dont le fils, Mohamed, devenu journaliste puis fonctionnaire de la FAO est un ami de longue date - d’un ancien directeur d’école,  Monsieur Seyni Ndiaye et de son épouse Dadou -  de Ndiaya, la mère de Dadou, de Demba Gallo, de Béchir Ould Dialagui et de Mohamed Jules. 
Je me souviens aussi d’un homme chétif et coléreux qui vivait chez Ehel Dialagui, Monsieur Yembea.
De tous les mederdrois il était le seul auditeur assidu qui suivait les radiodiffusions d’Union Soviétique, d’Iran, du Viêtnam, du Honduras, d’Ethiopie, du Canada, de Tanzanie et de plusieurs autres contrées du monde.

Maisons de style colonial

C’était une manière pour Monsieur Yembea, qui ne parlait d’autre langue que le hassania, de meubler ses interminables séances de thé qui commençaient généralement en fin d’après-midi et se poursuivaient jusqu’à l’aube.
Passé le terrain vague qui séparait Médina du reste de la ville, on tombait inévitablement sur de petites maisons en dur de style colonial.  Croulants sous le poids des dunes et presque coupées de la ville, elles servaient de logements précaires  à quelques fonctionnaires et agents de l’Etat.
Je me rappelle avoir déposé, quelques jours de suite, dans les locaux exigus de l’une de ces demeures, le sac de Monsieur Soumaré Hadémou, l’un de mes anciens enseignants, un soninké du village de Arr, devenu par la suite, un mederdrois à part entière.
Je l’ai croisé à Tiguent, quelques années avant sa mort. Il n’avait pas changé. Le même bout d’homme affable et courtois que j’avais connu il y a trente ans. Il tenait à la main, comme à son habitude, un morceau de cola et n’avait rien perdu de son goût pour la causerie.
Vient ensuite la cité des gardes-cercles, des maisons basses en banco devant lesquelles traînaient à longueur de la journée des chèvres voraces et belliqueuses.
Là, vivaient, en parfaite harmonie, quelques familles issues des régions lointaines de l’Adrar et de l’Inchiri : Ehel Eddick, Ehel Mogueye, Ehel Hmoymod…
Elles avaient des enfants de mon âge qui fréquentaient l’école : Tari, Sidahmed, Esseyda et d’autres dont j’ai oublié les noms.
Esseyda mint Eddick était une fille gentille, correcte mais turbulente et bagarreuse. Pas un garçon, pas une fille n’osait la provoquer.

Je l’ai rencontrée en 1986 à Rosso à l’occasion de la visite du Président Maaouya au Trarza. Elle m’a reconnu tout de suite. Nous avons évoqué, l’espace d’un thé, des souvenirs d’enfance, parlé de tout et de rien comme le font généralement des promotionnaires qui se rencontrent après une longue séparation.
Elle m’a présenté à son mari, Monsieur Sidi Mohamed qui était alors gouverneur du Trarza et qui, malheureusement, a trouvé la mort quelques années plus tard dans un mystérieux crash d’avion entre Nouadhibou et Zouératt.
Un peu plus loin, il y avait  le château d’eau, le plus haut sommet de la petite ville. Il dominait largement la prison de Mederdra, une grosse bâtisse en banco, érigée à la fin des années vingt et qui dit-on a abrité d’illustres hôtes dont le savant poète Mhamed Ould Ahmed Youra.
L’histoire de l’emprisonnement de cette éminente personnalité de l’Iguidi est le fruit, non pas d’un quelconque crime ou délit, mais d’une délation lui attribuant un poème qui décrit dans des détails ironiques et plaisants le transport, à la demande du Résident, de la côte atlantique à Mederdra, d’un colon abattu par la résistance.
 

Une femme élégante et raffinée

Le plus grand brigand « d’El Guebla » des années cinquante, Deigdag (le démolisseur), a fait plusieurs séjours dans cette prison pour des raisons différentes, bien entendu, de celles de Mhamed.
La prison ouvrait sur un grand magasin en fer massif de couleur vert olive, à l’intérieur duquel étaient stockées les armes et les minutions du peloton de la garde.

Derrière la prison, bien adossée à la fourrière, se trouvait  une bâtisse du même style que celles qui se dressent entre Médina et la ville. Cette maison-là, je la connais bien. Elle fut pendant des années la résidence de Madame Khadaja mint Moloud, une infirmière, originaire de la ville voisine de Boutilimit et l’une des premières accoucheuses de la Mauritanie indépendante.
L’amitié qui me liait à son neveu, Ahmed Miske Ould Abdallahi, El Qarneini pour les intimes, à son jeune et turbulent fils, Tourad, et à sa fille Mouleika m’a amené à séjourner chez elle à plusieurs reprises.
Je garde de Khadaja l’image d’une femme élégante et raffinée et qui, de surcroît, parlait un français impeccable.
Sa maison ne désemplissait jamais. On y servait des menus copieux et du thé à la menthe jusqu’à une heure tardive de la nuit.
Des personnalités bien en vue, de la société mederdroise des années soixante, ne rataient pas une occasion de se retrouver chez Khadaja.
Dans son salon, richement meublé, ces personnalités entamaient aussitôt une interminable causerie ponctuée de rires joyeux et de plaisanteries ou s’installaient confortablement pour jouer une partie de belote.
 Parmi ces personnalités, j’ai en mémoire le défunt émir du Trarza Hbib Ould Ahmed Salem, le Chef Général des Tachedbitt et intime ami de l’émir, Itawal Oumrou Ould Hmoyed, un respectable commerçant de Mederdra, Mohamedou Ould Abdallahi, un agent du fisc et cousin de l’émir, Amar Ould Amar Ould Ely.
A deux cent mètres de chez Khadaja vivait un autre personnage de la ville : Monsieur Sidi Niang, un infirmier halpoular, qui a fait toute sa carrière à Mederdra.

Tout le monde l’aimait bien et le respectait. Les enfants non circoncis, eux, le fuyaient comme la peste et cela l’amusait beaucoup. « Je vous attends au dispensaire », leur disait- il souvent  en fronçant les sourcils.
Cet homme, je l’ai appris plus tard, est originaire de Kaédi, plus précisément du vieux quartier de Touldé où vivent encore ses cousins germains, des Diagraf c’est-à-dire des princes peulh ayant en charge la gestion des terres de culture.
Sa femme Hawa est une dame corpulente, élancée et peu bavarde. Elle sortait rarement de chez elle trop absorbée par le ménage, la vaisselle et l’entretien d’un beau troupeau de vaches et d’une grande sa basse-cour.
Presque en face du domaine de Sidi Niang, il y avait le bâtiment des PTT, une maison imposante et aérée qui servait à la fois de bureau et de résidence au percepteur de l’Administration des Postes, Télégraphes et Téléphones, Monsieur Alioune Diarra. Du temps où ce dernier dirigeait le service de la poste, tout allait bien, très bien d’ailleurs.
C’est ainsi qu’on pouvait téléphoner à loisir de Mederdra à de nombreuses  villes de la Mauritanie : Boutilimit, Rosso, Aleg, Boghé, Kaédi, Mbout, Moudjéria, Magta Lahjar et j’en passe.
Mieux, on pouvait joindre des correspondants installés à Saint Louis, Rufisque, Mbour, Louga, Dakar, Paris, etc.
Un manœuvre, dont j’ai oublié le nom, prenait le soin de tourner une manivelle, tout le temps que durait la communication, pour produire l’énergie nécessaire au dispositif téléphonique.

Des fonctionnaires modèles

Par Mohamed Abdallahi Bezeid

Le courrier en provenance de l’intérieur et de l’extérieur du pays était distribué, dans les règles de l’art, par le facteur de la ville, l’infatigable Dahabou. Ce dernier habitait une maison située à l’entrée nord de l’école et avait comme passion la réparation, quand le temps le lui permettait, de postes radio et de montres.
C’est lui en personne qui se chargeait de la distribution, à un certain  nombre de fonctionnaires en poste à Mederdra, de journaux français: Le Monde, Le Canard enchaîné, Paris Match, Le Nouvel ’Observateur, le Figaro et de revues spécialisées : la Sélection du Reader’s Digest et Science et Vie.
Parmi les abonnés aux journaux et revues des années soixante, on retrouve Monsieur Diallo Mohamed, le défunt colonel de Boutilimit qui a enseigné à Mederdra avant d’intégrer l’armée, son frère, feu Abdallahi Diallo, un instituteur, un directeur d’école et un administrateur hors pair, mort dans un stupide accident de voiture, Monsieur Sylla Alley, un ancien moniteur de français dont j’ai perdu la trace, Monsieur Henry Riquet, le dernier instituteur de nationalité française resté à l’Ecole Folanfant, après l’indépendance.
Pour en revenir à Monsieur Abdallahi Diallo, Abdallahi Ould Balla pour les boutilimittois,  je me souviens que son jeune frère, Ishag, que je n’ai plus revu et son neveu, Mohamed Koné, que j’ai eu l’occasion de rencontrer à de rares occasions ont fait une partie de leur scolarité à Mederdra. Des garçons sans histoire et bien éduqués. 
Une autre personnalité de la ville, Monsieur Madéké Faye vivait non loin du domicile de Sidi Niang.
C’est un homme de haute taille, le front large, la voix grave, le regard perçant, un pur produit de la communauté sérère.
Il est originaire du Sénégal profond,  probablement de la petite côte, cette région magnifique qui a vu naître le chantre de la négritude, le Président Léopold Sédar Senghor.
Toute sa vie, Monsieur Madéké s’est employé à maintenir en état de marche le réseau  téléphonique Mederdra- Boutilimit et Mederdra- Rosso.
Ce travail pénible l’amenait à effectuer de fréquentes tournées, à dos de chameau, pour remettre en place ou changer les fils téléphoniques endommagés suite aux intempéries ou aux caprices d’une horde d’enfants nomades en mal de distraction.
D’une intégrité morale et d’une piété sans borne, Madéké faisait toutes ses prières à la mosquée et n’avait d’autre souci que l’entretien de sa progéniture, plus d’une dizaine d’enfants: Sayar, Wali, Abdou, « Madame » et les autres.

(A suivre)