Le Waqf […] La Mauritanie […] – 26/Par Ian Mansour de Grange

3 September, 2020 - 00:10

[…] En plusieurs cas, le dialogue entre l’État et la  Société civile locale est déjà largement en cours, parfois depuis des années, grâce au travail d’ONG nationales. Quatre d’entre elles sont d’ailleurs partenaires du PSI, avec mission d’assurer pendant deux ans l’incubation de l’autonomie (renforcement des capacités) de l’une ou l’autre des sept associations locales bénéficiaires du système mis en place. Un appui particulièrement efficace, on le voit notamment à Samba Kandji (commune de Gouraye, Guidimakha) où les investissements de l’ONG ADIG, appuyés depuis 2002 par la coopération allemande dans l’établissement et le suivi de l’AGLC (Association de Gestion Locale Communautaire) de Moudji-Sud, un des fleurons du ProGRN (1) de la GIZ, ont tissé de puissants comportements coopératifs entre les divers services déconcentrés de l’État (commune, moughataa, wilaya) et la Société civile locale. Ailleurs ce peut être moins évident. Raison de plus de mettre les bouchées doubles, en instaurant sans tarder une dynamique de convivialité maximale. Dans quelle mesure des actions en aval à Nouakchott, au niveau national, sont-elles à même de la booster ?

L’interrogation se pose surtout lorsque l’action visée est à l’initiative de la Société civile. Elle acquiert une acuité singulière dans l’établissement d’AGRC dont le but économique se partage en deux fonctions essentielles : en un, offrir des débouchés et/ou plus-values aux AGR locales ; en deux, doter la Société civile locale en revenus réguliers, lui permettant d’assurer ses plus basiques fonctions écologiques et sociales. Il y a plusieurs niveaux d’actions, toutes utiles, certaines nécessaires. Si leur ordre de priorité et d’urgence varie en fonction des enjeux écologiques et sociaux de l’AGRC, la définition précise de son cadre règlementaire, en chaque situation, est une exigence d’autant plus impérative.

Le PSI de la PREFIMEDIM est à cet égard particulièrement significatif. Comme on l’a dit tantôt, la gestion des plantes médicinales réunit deux préoccupations essentielles : la protection – exploitation durable – de l’environnement et celle de la santé des gens. Si la première paraît localement assez abordable – la réussite du ProGRN en témoigne – la seconde fait appel à des compétences moins clairement appréciées : combien de charlatans, dans tout le pays, pour combien de tradipraticiens réellement savants ? Il y a donc nécessité de cadrer un marché où le paramètre de la toxicité, certes variable, est incontournable.

On a abordé cette question en limitant tout d’abord et expressément la vente des Plantes Médicinales (PM), au niveau des AGRC du PSI, aux seuls professionnels et institutionnels membres d’une structure agréée par l’État mauritanien : centre de santé, association professionnelle de tradithérapeutes, ordres nationaux de médecins, pharmaciens et docteurs vétérinaires, institutions onusiennes et autres organismes internationaux spécialisés, comme le Croissant ou la Croix rouge… On a même renforcé cette limitation en n’accordant le label PREFIMEDIM qu’à des plantes et produits vérifiés à Nouakchott par une AGRC centralisant toutes les expéditions en provenance des AGRC locales. Dénommée « Centre de Commercialisation Communautaire de Plantes et produits Médicinaux (3CPM) », cette AGRC est le nœud vital du système PREFIMEDIM. C’est précisément à partir de là que l’État mauritanien est appelé à construire son action régulatrice.

 

Le 3CPM,  nœud vital du système PREFIMEDIM

Elle s’initié avec la mise en IPP d’un terrain viabilisé d’environ un hectare, en banlieue de Nouakchott (2), où les bailleurs sont appelés à financer la construction, non seulement, de locaux adaptés au fonctionnement optimal de la PREFIMEDIM et du 3CPM mais, aussi, de tout autre bâtiment utile au développement en aval de la filière, mettant ainsi en contiguïté tout un éventail de partenaires publics, civils ou privés, variablement impliqués dans l’exploitation des produits phytomédicinaux. À ce niveau, la situation se révèle ainsi autrement plus complexe qu’à celui des IPP locaux où gestion foncière et gestion commerciale peuvent être aisément traitées dans un même cadre juridique.

Alors qu’on les avait, comme en brousse, pensées initialement en conjonction, on les a donc en définitive séparées à Nouakchott, distinguant, d’une part, le 3CPM, à stricte vocation commerciale et mécène, fermement lié à la PREFIMEDIM, et, d’autre part, une Société Civile Immobilière (SCI) réunissant un représentant de l’État, propriétaire du foncier de l’IPP hébergeant toute une diversité de partenaires impliqués dans la filière ; et un représentant des PTF, légataires et donateurs des équipements immobiliers, mobiliers ou autres incorporés au capital de l’IPP pour les besoins de la communauté ainsi formée.

Gérante de la SCI, la PREFIMEDIM étudie et transmet aux deux fondateurs de celle-ci toutes les demandes d’installation sur l’IPP. On voit ainsi comment la Direction de la Pharmacie et des Laboratoires – représentant certainement le plus approprié de l’État en cette occurrence – est amené à suivre au plus près le développement de la filière. Informée quasiment en temps réel de ses tenants et aboutissants, elle détermine progressivement les meilleures règles relatives aux plantes et produits médicinaux, qui seront rapidement répercutées, via la PREFIMEDIM, au niveau le plus local, tandis que le processus administratif, le long des circuits du Ministère de la Santé jusqu’aux autres ministères concernés – comme celui de l’Environnement – suivra son cours spécifique, à son rythme. La notion de flux d’informations ici sous-tendue est capitale. Ce n’est qu’une fois intégrée la réalité de la diversité de ces flux qu’une régulation efficace de la filière devient possible.

 

IPP, service tous azimuts

Les Canadiens ont beaucoup exploré cet aspect en développant leurs « tables-filières » où tous les partenaires potentiels d’une filière quelconque – du producteur au consommateur, en passant, non seulement, par tous les intermédiaires mais, aussi, tous ceux qui en subissent les impacts collatéraux – sont amenés à en discuter périodiquement, du plus local au plus global. S’il n’est pas question, en un si bref dossier, de détailler cette organisation, notons simplement ce que le concept IPP peut lui apporter de cohésion. Comme on vient de le voir, la SCI fondée en tel statut à Nouakchott offre, à la Société civile appliquée au développement d’une filière mauritanienne de plantes médicinales, un hébergement assuré dans le temps mais le caractère désormais incessible et inaliénable du bien ainsi  constitué – et de tous ses rajouts notamment immobiliers et éventuellement mobiliers – ouvre également de très grandes perspectivespour le secteur privé susceptible de tirer profit de la filière. L’exemple suivant suffira à s’en convaincre.

Soit une société anonyme dévolue à la fabrication et à la vente grand public de produits (3) à base de plantes. Naturellement intéressée aux produits mis en vente par le 3CPM, elle a tout intérêt à installer son entreprise au plus près de celui-ci. Le plus coûtant en telle proposition est la construction et l’équipement de l’usine. Mais il n’est pas nécessaire que cette fixation du capital soit à la charge de ladite société qui peut fort bien se contenter d’en supporter la location, si le bien ainsi constitué est assuré d’incessibilité et d’inaliénabilité, qualités fondamentales, au demeurant, de l’IPP. Ladite société présente alors aux fondateurs de l’IPP, via la PREFIMEDIM, gérante de la SCI, un plan chiffré de ses nécessités immobilières et mobilières, intégrant le coût de leurs amortissements. À partir d’un plancher fondamental – le coût annuel des frais d’entretien (amortissements) du capital ainsi ajouté à l’IPP, intangible priorité, rappelons-le, du concept – un surplus objectif de location est négocié, en pourcentage sur les bénéfices nets attendus de l’entreprise.

On voit ainsi comment peuvent se retrouver réunies, sur à peine un hectare et en relation étroite avec la DPL, un certain nombre d’activités particulièrement sensibles du secteur de la santé. Des associations professionnelles, comme l’Ordre National des Médecins, Pharmaciens et Chirurgiens-Dentistes (ONMPCD), l’Ordre National des Docteurs Vétérinaires (ONDV), l’Association des Tradipraticiens de Mauritanie (ATM), voire des sociétés publiques ou parapubliques impliquées dans le domaine, peuvent être amenées à présenter, elles aussi, leur dossier d’installation sur l’IPP – un hectare, ce ne sont pas peu – et peuvent facilement se retrouver à la PREFIMEDIM qui y tient siège. La table-filière au niveau national se met peu à peu en place… Notons également que tous ces partenaires potentiels, personnes physiques ou morales, sont évidemment invités à entrer dans l’association PREFIMEDIM qui prévoit d’organiser, dans le cadre de son PSI, des débats approfondis entre tous ses membres, pendant dix-huit mois à partir d’Octobre 2019 (4).(À suivre).

 

NOTES

(1) : Programme de Gestion des Ressources Naturelles. Pressenti de longue date pour cofinancer le PSI de la PREFIMEDIM, le ProGRN s’est retrouvé confronté, à partir de 2017, à de gros problèmes qui ont obligé la GIZ à se départir de ses engagements réitérés en Octobre 2015 – juste verbaux, il est vrai, mais en présence du coordinateur du GEF-SPG (qui engageait de même sa structure) et d’un observateur de la Délégation de l’Union Européenne en Mauritanie, donnant ainsi du poids à la requête, six mois plus tard, de la PREFIMEDIM auprès de la DUE – une défection cependant inattendue et non sans conséquence dans le déroulement du PSI.

(2) :   Un volet toujours bloqué au 24/08/2020, faute de cofinancements.

(3) :Phytomédicinaux, phytovétérinaires, phytosanitaires, cosmétiques ou autres.

(4) :  Débats ajournés, faute de cofinancements doublée de pandémie COVID. De fait, le PSI est pratiquement interrompu depuis le second semestre 2019.