Le Wagf […] La Maurianie […] – 25/Par Ian Mansour de Grange

27 August, 2020 - 00:55

Sept ans après la première édition de cet ouvrage, il faut reconnaître son prou d’impact dans la conduite du développement de la Mauritanie. À ce jour, le waqf y reste globalement ce qu’il était en 2012. Mais deux événements sont peut-être à même de faire bouger les choses. Tout d’abord, l’élection d’un nouveau président de la République, situation toujours propice à de notables revues et modifications stratégiques. Quoique la précédant de deux années, l’autre événement lui est second par son évidente moindre importance : le lancement d’un premier projet d’utilisation du waqf dans un cadre inédit au pays.

S’il ne m’appartient pas de commenter l’élection de monsieur Mohamed ould Cheikh El Ghazwani, sinon à lui souhaiter la plus heureuse réussite de son mandat et à espérer que mon humble travail lui soit connu et utile, je dois par contre souligner l’apport du second évènement. En commençant par magnifier le dynamisme de la Délégation de l’Union Européenne en Mauritanie qui a risqué cinq cent mille euros dans ledit projet (1), en avant-garde d’autres bailleurs encore hésitant à investir en telle innovation etdont la frilosité peut être de nature à freiner, voire interrompre la mise en œuvre de celui-là. Mais aussi minimes soient-ils, il y a déjà des acquis et les annexes suivantes en présentent la réalité. C’est à l’Union Européenne qu’on la doit. Quoique l’avenir réserve, elle restera le premier bailleur à s’être résolument engagé dans l’œuvre. Il fallait en témoigner : c’est désormais fait.

 

Le PSI de la PREFIMEDIM, un programme pionnier (2) ?

Le développement durable n’est pas une science exacte. S’il peut être méthodique – le doit pour être lisible et rectifiable – il est d’autant plus soumis au tâtonnement expérimental qu’il travaille sur le vivant. La part impondérable de risques et d’incertitudes oblige à placer l’approche systémique et la communication transversale en phares de l’action. Depuis le début des années 2000, divers financements, variablement coordonnés au niveau international par les Objectifs du Millénaire du Développement (OMD) recyclés, depuis 2015, en Objectifs du Développement Durable (ODD), soutiennent la floraison en Mauritanie d’un nombre croissant d’initiatives plus ou moins bien adaptées, plus ou moins opportunistes ; plus ou moins durables donc. Des questions de cohérence et de cohésion se posent. Centrales dans la conception interne de tout projet, elles tendent à le modifier dans ses rapports externes au fur et à mesure de son développement. La communication devient vitale.

Officiellement fondé en 2007, le projet « PRoduits d’Excellence d’une FIlière de plantes MEDIcinales en Mauritanie » (PREFIMEDIM) entend réunir du plus court au plus long terme tous les acteurs potentiels d’une exploitation réfléchie et durable du biotope médicinal en Mauritanie. Des intérêts très divers ; notamment entre les producteurs-cueilleurs, en zones rurales, et les vendeurs de médicaments, en zones urbaines ; ont à négocier un modus vivendi mutuellement profitable, en tous les cas respectueux de la précieuse matière première : les végétaux, en l’occurrence ; et de ses bénéficiaires finaux : hommes et animaux en besoin de santé. À ces soucis fondamentaux s’adjoint celui de la durabilité : des infrastructures et équipements susceptibles de produire plus-values, d’une part, impliquant gestion du foncier et des amortissements ; et des ressources humaines, d’autre part, impliquant formations et investissement conséquent de la jeunesse.

Un Programme Stratégique Initial (PSI) a été établi entre 2008 et 2011 dans une concertation assez réduite, beaucoup trop d’adhérents restant limités à leur propre intérêt – le plus souvent à court terme – et très peu d’entre eux percevant la globalité de la filière, encore moins la nécessaire logique de sa construction. Le consensus retenu fut cependant de s’en tenir à ce processus fondamental et de prévoir, au cours de son éventuelle réalisation, une phase suffisamment longue de discussions des résultats entre tous ses acteurs, afin d’élaborer le programme stratégique suivant dans un cadre participatif de plus en plus élargi. Présenté en 2012 lors d’une table-ronde des bailleurs potentiels, le PSI trouve son financement de base en 2016 auprès de l’UE (499 525 €, soit 52% du total). Il démarre l’année suivante, avec bientôt l’appui d’un second bailleur (3), le GEF-SGP du PNUD (150 000 $, soit 12,4%). Diverses pistes sont actuellement explorées pour mobiliser le quasi-tiers manquant (330 000 €).

Parlant de construire une filière, le PSI doit à l’évidence poser d’abord des fondations. C’est-à-dire, travailler en amont au plus local : ses premiers acteurs sont le biotope phytomédicinal et les populations rurales appelées à l’exploiter. C’est dans la mesure où cette relation existe ou est en mesure d’exister que des facilitateurs-régulateurs sont à même de la soutenir : facilitateurs, du côté de la Société civile et des PTF ; régulateurs, du côté de l’État. Trois types d’actions sont ainsi amenées à s’harmoniser : le social, le technique, le réglementaire. Si les deux premiers sont facilement interchangeables dans leur ordre d’intervention, le troisième doit toujours avoir la sagesse d’intervenir plutôt en aval de ceux-là : la loi naît de l’expérimentation et non pas le contraire. Encore faut-il que les responsables de celle-là puissent avoir un œil constant sur les tâtonnements de celle-ci, afin d’en mesurer convenablement les risques.

AGR : Activité Génératrice de Revenus. Le concept est connu et couvre le secteur privé,  notamment au plus local sous sa forme la plus basique. Son développement au cours des deux dernières décennies a mis en évidence la nécessité de mettre en place en aval des structures plus communautaires, fédérant les activités de plusieurs AGR (boutiques communautaires, par exemple). Leur objet est d’apporter un plus aux AGR, sans jamais rentrer en compétition avec elles. Le PSI a choisi de donner à ce type de structures un nom spécifique : Activité Génératrice de Revenus Communautaires (AGRC) ; avec obligation statutaire de dévouer toute rémunération de son capital à une association locale à but non lucratif consacrée au développement de l’agriculture bio, l’agroforesterie et les plantes médicinales, regroupant notamment les AGR impliquées (producteurs et/ou cueilleurs de plantes). Notons que cette association peut être membre ou fraction autonome d’une Association de Développement Communautaire local  (ADC) ou d’une Association de Gestion Locale Communautaire (AGLC) : elle est partie d’un tout qui doit s’efforcer de déboucher, à terme du PSI, sur une autonomie interne et externe, notamment avec les PTF et les autorités administratives.

 

L’État facilitateur

 

Les AGRC gèrent les infrastructures et les équipements nécessaires à la fabrication de produits valorisant ceux des AGR – une sorte de secteur secondaire de l’économie locale, en somme – avec des obligations, statutaires encore, d’assurer prioritairement, dans leurs charges d’exploitation, l’amortissement de ce capital fixé. Infrastructures et équipements impliquent situation foncière et les bailleurs ne consentent, avec raison, à financer ceux-là qu’une fois assuré le caractère durablement communautaire de celle-ci. Acquis dans le cadre public (jusqu’à éventuelle privation), ce caractère a la fréquente lourdeur d’entraîner toute une machinerie administrative grevant lourdement le budget. On peut certes concevoir des AGRC de type économie mixte où l’État, propriétaire du foncier, ne serait qu’un membre, parmi d’autres, du Conseil d’Administration (CA), laissant la gestion effective à un tiers local. Mais ce caractère communautaire du foncier peut être également assuré par n’importe quel propriétaire, via Immobilisation Pérenne de la Propriété (IPP) de la parcelle impliquée. C’est ce procédé facilement mis en œuvre et particulièrement sécurisant que le PSI met en avant.

Universellement connu dans les sociétés musulmanes sous l’appellation « waqf » (immobilisation), l’IPP consacre le droit de tout propriétaire public ou privé, personne physique ou morale – en tout cas, légal – d’un bien précisément défini, à en déclarer la valeur perpétuellement incessible et inaliénable qui devra être gérée selon les modalités expressément notifiées dans l’acte fondateur de l’IPP au profit d’une œuvre communautaire de son choix. Tout rajout au fonds en suit systématiquement le statut et c’est la valeur ainsi augmentée qui devient le capital à perpétuer : l’IPP est donc un système d’accumulation de valeurs au service d’une communauté. Un Comité de Surveillance de la Gestion (CSG) supervise l’entreprise. Dans le cadre du Programme Stratégique Initial (PSI) mis en œuvre par la PREFIMEDIM, chacun de ces CSG est, au plan local, composé de trois membres. Deux sont inamovibles : le propriétaire du foncier (ou son représentant) et le bailleur des équipements (ou son représentant) ; et choisissent, ensemble, l’association locale à but non-lucratif destinataire de la rémunération du capital de l’IPP ; à condition, pour celle-là, d’assurer la surveillance d’une équipe de gérance, composée d’un administratif et d’un technicien, cooptée par le CSG qui peut commander, à sa guise, un audit indépendant sur la gestion.

Suite à l’engagement volontaire de leurs populations à participer au PSI, sept sites répartis sur cinq régions ont été ainsi retenus. Dans trois cas sur cinq, ce sont des structures communautaires (village, jama’a, coopérative) qui ont délimité et mis en IPP le terrain dévolu aux activités de leur AGRC. Dans les quatre autres, ce sont des particuliers qui ont tous ce point commun d’être unanimement reconnus par la population locale comme les exploitants de si longue date du terrain en question que nul ne s’aviserait de leur en contester la propriété. Mais les documents officiels manquent parfois. L’État doit donc maintenant entrer en scène pour valider rapidement la propriété du sol et consolider ainsi le processus de communautarisation de son usufruit via l’IPP. Ce faisant, l’association prend langue avec l’administration décentralisée : c’est le début du processus de partenariat État-SOC par la base, au plus près des gens, à leur demande.(À suivre).

 

NOTES

(1) : 360.000 € en ont été déjà décaissés à ce jour.

(2) :    Le texte qui suit met à jour une précédente publication dans ces mêmes colonnes, au cours de l’été 2018.

(3) : Avec cependant tant de conditions restrictives que ce cofinancement contractualisé le 15/03/2018 n’était toujours pas décaissé vingt-quatre mois plus tard (!), mettant en péril le processus engagé avec l’Union Européenne…