Croisade contre la gabegie : On attend du concret

6 August, 2020 - 01:04

Voilà une année que le président Ghazwani a été élu à la tête de la Mauritanie. Douze mois certes pas des plus faciles, Dieu le sait, pour le marabout-président. Asseoir son pouvoir en dépit des multiples bâtons engagés dans ses roues par son prédécesseur d’ami, doublé de crise sanitaire COVID 19, n’aura pas été de tout repos. A la mesure, en tout cas, du grand espoir soulevé par l’élection. Car les Mauritaniens semblaient pressés de se débarrasser de la dernière décennie, un régime trop centralisé, écrasé par un omnipotent Président. Ils attendaient d’importants changements, pour ne pas dire rupture, dans la gouvernance et leur quotidien. Un espoir teinté de crainte de voir l’ex-Président continuer à tirer, comme on dit, les ficelles. Des craintes certes tempérées par le discours d’investiture du candidat Ghazwani, prononcé, le 1er Mars 2019 au stade Cheikh Boydiya, en l’absence remarquée d’Ould Abdel Aziz et sans le parrainage de l’Union Pour la République (UPR). Un discours rassembleur, notaient alors les observateurs. Depuis l’eau a coulé sous les ponts… et les milliards aussi.

 

Recycler et toujours recycler

Les Mauritaniens espéraient. Surtout l’opposition qui avait souffert de la marginalisation, pour ne pas dire mépris, de la part du pouvoir d’Ould Abdel Aziz. Quasiment unanime, elle avait donc accordé un délai de grâce assez conséquent à son successeur. En commençant tout d’abord par accepter sa main tendue pour décrisper la tension politique entretenue durant toute une décennie. Et de saluer sans tarder l’ouverture d’esprit du nouveau Président, sa capacité d’écoute et sa retenue, attendant dans la foulée un dialogue politique pour solder divers problèmes nationaux. Mais elle était vite déçue : Ghazwani ne voulait pas de dialogue public généralisé, seulement des audiences privées et des concertations en solo.

Après une longue période de gestation, Ould Ghazwani choisit son premier chef de gouvernement : Ismaïl ould Bodda, un ancien ministre d’Ould Abdel Aziz. Un homme issu d’une grande famille de Boutilimitt, pétri de qualités intellectuelles. Un homme qui a certes travaillé sous les ordres de l’ancien président mais il s’en est plutôt bien sorti. Beaucoup pensaient qu’Ould Ghazwani allait confier le poste à un homme de couleur. Les questions du passif humanitaire et de l’esclavage n’ont que trop crispé le climat politique et social du pays, jugeaient-ils. Ghazwani privilégierait-il le critère de la compétence plutôt que son homologue ethnique ?

Après quelques semaines, Ould Bodda forme son premier gouvernement : une équipe marquée par le maintien à des postes stratégiques de plusieurs hommes du Président sortant, quasiment clefs du pouvoir de celui-ci. Ghazwani a pratiquement conservé l’ossature de l’équipe de son prédécesseur, dont certains des plus désavoués et aujourd’hui cités dans le rapport de la CEP sur la gabegie. Continuité du pouvoir sortant donc, selon toute apparence… Un des ministres conservés, de surcroît porte-parole du nouveau gouvernement, ne manque d’ailleurs pas d’appuyer cette thèse au cours d’un point de presse. Si d’autres disent que Ghazwani ne peut en aucun cas couper le cordon ombilical avec son ami, d’autres encore avancent que le marabout-président n’est pas pressé, qu’il procédera par petites touches… parce qu’il est en terrain miné. L’alerte intervenue la veille de la célébration des festivités de l’indépendance à Akjoujt vient plutôt confirmer cette hypothèse. On se rappellera ici que le patron de l’ex-BASEP fut relevé à peine quelques heures avant la cérémonie de parade dans la capitale de l’Inchiri. La toute première décision du nouveau Président tombe en pleine guéguerre pour le contrôle du principal parti de la majorité présidentielle, l’UPR. Une deuxième manche que va remporter le successeur de l’ex-Raïs qui entame alors des changements au sein des forces armées et de sécurité, plaçant ses propres hommes de confiance afin de sécuriser son pouvoir face à son ancien ami suspecté de vouloir déstabiliser le nouveau régime pour se positionner en éventuel recours.

 

La CEP, un acte apprécié

Si le nouveau Président n’a pas réussi à satisfaire un tant soit peu les nombreuses attentes des populations mauritaniennes, au plan économique et social – on attend toujours la mise en place de ses fameux engagements électoraux… – il peut tout de même se prévaloir d’avoir favorisé la fondation par l’Assemblée d’une commission d’enquête parlementaire en vue de lutter contre la gabegie. Régler des comptes à son ami et prédécesseur ? Le neutraliser ? Dans tous les cas, cette décision emblématique du début du quinquennat donne à espérer un terme à la pagaille et au désordre dans la gestion des deniers publics. Le règne d’Ould Abdel Aziz s’est certes distingué dans la mal-gouvernance mais celle-ci fut initiée bien avant, au moins dès celui d’Ould Taya. La palette des responsabilités est donc large. Il n’en faut pas moins commencer par quelque part. La réhabilitation de la Haute Cour de Justice vient conforter la volonté politique du nouveau Président de donner à l’Assemblée nationale des moyens efficaces pour jouer son rôle de contrôle de l’action de l’Exécutif. En cette inédite expérience, l’AN a relevé le défi et laisse à croire qu’elle a accompli son travail en toute indépendance. Pourvu que le Président n’en entrave la suite, comme le redoutent aujourd’hui les Mauritaniens, après l’approbation par le Parlement du rapport très documenté de la CEP. Quel sera le sort de ces recommandations ? Ici, le pouvoir joue gros. Pour gagner enfin la qualification d’indépendance – autre incontournable condition de la démocratie –la justice pourra-t-elle jouer sa partition ? La HCJ aura-t-elle elle aussi à siéger et statuer pour la première fois ? Une chose est désormais sûre : le pouvoir ne peut plus reculer, sinon à perdre sa crédibilité, voire carrément la partie. Rien ne pourra plus être comme avant et il revient au président de la République de passer à la vitesse supérieure, en se débarrassant de tous ceux cités dans le rapport.  Sans quoi ses détracteurs auront un argument sérieux pour douter de sa volonté à rétablir la justice, permettre aux Mauritaniens de recouvrer les biens dont ils ont été spoliés et empêcher enfin toute tentative future de détourner les biens publics.

 

L’UPR ne pouvait-elle pas s’en passer ?

Le 1er Août 2020, l’UPR a célébré le premier anniversaire de l’investiture du président Ghazwani. Comme d’habitude, les opportunistes et autres « Voyez-moi » se sont retrouvés au Palais des Congrès. Occasion de louer les engagements du président de la République. Mais la manifestation aura été ternie par la présence de plusieurs hommes cités dans le rapport de la CEP. Alors qu’ils devraient se faire petits et éviter tout rassemblement. L’UPR pouvait-elle se passer de leur présence ? Comme l’a dit un bloggeur, tous les suspectés de gabegie durant le règne d’Ould Abdel Aziz doivent disparaitre de l’arène, jusqu’à ce que la justice les disculpe ou inculpe. C’est une demande politique et sociale de l’opinion.

Dalay Lam