Le Waqf […] La Mauritanie […] – 22/Par Ian Mansour de Grange

6 August, 2020 - 00:47

On ne saurait achever ce tour d'horizon des perspectives du waqf en Mauritanie sans arpenter un tant soit peu le second étage de l'édifice à construire. Nous atteignons ici le niveau le plus global du système, réunissant les hautes structures de l'État et ses grands partenaires. Nous n'avons évoqué que quelques-uns de ceux-ci, les organismes de coopération internationale notamment. Abusive limitation, insistant démesurément sur l'importance stratégique de l'aide publique au développement en notre pays. Celle-ci décroît et ne devrait, si Dieu veut, cesser de le faire : non seulement, la manne pétroléo-minière approche mais, encore, le déploiement assuré du secteur privé multiplie ses capacités de financement macro-économique.

Les grands capitalistes mauritaniens existent, souvent associés désormais à de plus internationaux et ce, de plus en plus visiblement. Leur compétition est un atout important dans la construction du waqf mauritanien. Mais il existe en cette perspective d'autres grandes forces, insuffisamment, semble-t-il, reconnues et publiquement affichées. Nous les regrouperons en deux catégories, significatives, à notre sens, du potentiel national actuel : les  fédérations tribales et les « groupements non-tribaux de solidarité (1) ».

Elles ne sont évidemment pas de même ampleur : les premières couvrant en permanence et en totalité l'histoire et la géographie du pays ; les secondes, plus mouvantes et lacunaires mais en situation probablement plus dynamique. Les unes et les autres entrent, certes variablement, dans une compétition d'autant plus stimulante que leurs terrains d'émulation se précisent. Nous l'avons dit et nous le répèterons à l'envi : la Mauritanie a tout à gagner à une visibilité accrue de ces terrains et des forces qui y rivalisent. À cet étage du waqf, ne sont considérées que les structures suffisamment organisées pour prétendre à une opération nationale et susceptibles d'entretenir à cette échelle un partenariat avec leurs homologues et l'État.

 

Trois organismes régulateurs indispensables

Nous avons évoqué plus haut la probable nécessité de deux structures nationales de régulation du waqf : l'une concernant l'immobilier, que nous avons appelée « COordination Multipartite d'Enrichissement du Domaine HAboussé » (COMEDOHA) ; l'autre concernant le mobilier, désignée sous le vocable : « PArc National Associatif de Mobiliers Awqafs » (PANAMA). La partition a du sens : elle tend à regrouper les biens haboussés en blocs logiques, limitant notamment les confusions de genre entre biens à durée de vie inégale. Avant d'avancer quelque peu dans le détail de ces structures, prenons le temps d'évoquer un dispositif indispensable à leur cohésion.

Il s'agit de mettre en place, en préalable à toute action, un réseau permanent de concertations juridiques aptes à formuler des limites ; à simplifier et préciser la réglementation ; en assurer l'information auprès du public ; à recevoir en retour les critiques de celui-ci ; à gérer des conflits, enfin. L’Établissement National des Awqafs de Mauritanie (ENAM) nous semble le point focal, au niveau de l'État, d'un tel besoin ; encore reste-t-il à affermir cette situation en redéfinissant son champ d'activités et ses ressources budgétaires. Mais il nous paraît également important de l'accorder, en ce travail d'adaptation continue, à une ou deux (2) structure(s) indépendante(s) de l'État, de type associatif, regroupant des juristes de tous horizons et de toute sensibilité. Dynamique dans la réflexion, cette polarité « État-Société civile » partage par ailleurs les tâches, notamment au niveau de l'information auprès du public. L'ENAM, concentré sur les rapports avec le Parlement, le gouvernement et le système judiciaire – notamment les cadis, juges de première ligne des conflits liés au waqf – laissant à son (ses) partenaire(s) de la Société civile le soin de diffuser, au-delà des structures administratives, la réglementation en cours et d'en synthétiser les critiques éventuelles émanant des usagers. Proposons encore, pour la commodité de notre discours, un nom à cet indispensable outil : la Coordination JURidique des Awqafs de Mauritanie (COJURAM). Dotés de personnalités juridiques, ces trois organismes, COJURAM, COMEDOHA et PANAMA, assurés chacun en son fonctionnement par quelque waqf conséquent, nous semblent former la couverture gestionnaire, nécessaire et suffisante, à tout l'édifice pressenti.

 

Enrichissement du Domaine haboussé

L'objectif du COMEDOHA est de pourvoir en permanence et dans les délais les plus brefs aux besoins immobiliers des awqafs associatifs. Précisons une dernière fois cette notion essentielle. Tant qu'un bien foncier, haboussé par un particulier au bénéfice de telle ou telle collectivité, ne nécessite aucune intervention de tiers, pour sa sauvegarde ou son bon fonctionnement, sa seule inscription au Domaine HAboussé (DOHA) devrait suffire à sa qualification. Cependant, en cas d'incapacité gestionnaire du secteur privé, mettant en péril le bien waqf, celui-ci doit faire appel à diverses solidarités pour perdurer : il devient alors ce que nous avons appelé un waqf associatif.

Cette métamorphose est signalée par la déclaration d'une association à but non-lucratif (3) qui regroupe les personnes concernées par la jouissance collective de ce bien et qui s'engage à organiser et surveiller la gérance de celui-ci : cette association sera la personne morale à qui sera attribuée la rémunération du capital haboussé actif (4) nécessaire à sa propre bonne gouvernance. Cette dotation est planifiée au niveau du COMEDOHA où interfèrent les ministères des Finances et de l'Équipement, gestionnaires du Domaine, une (ou plusieurs) association(s) représentative(s) des fondateurs privés de waqfs actifs (5) et les divers donateurs. L'activité de cet organisme repose, dans un premier temps, sur une estimation prévisionnelle annuelle des besoins en awqafs immobiliers, établie en commission interministérielle, en fonction des différents secteurs d'activités associatives – distinguant ibâdat et mu'âmalat, tout d'abord ; avec, d'un côté, les mosquées, les écoles et universités coraniques, les cimetières, etc. ; de l'autre, la santé, l'environnement, l'urbanisme, le développement rural, la promotion féminine, etc.

Transmise au COMEDOHA, cette estimation y est étudiée, discutée et répartie entre les différents partenaires qui s'engagent en suivant chacun dans un programme immobilier ; plus généralement : d'aménagement foncier clairement défini, destiné à soutenir tel ou tel secteur associatif, avec l'assurance d'appuis formellement identifiés auprès de l'administration (6) ; éventuellement, plus précisément associé à un projet spécifique (7). Une commission permanente attribue, quant à elle, les lots fonctionnels aux associations requérantes, en les mettant, si besoin, en relation directe avec leurs partenaires gouvernementaux et non-gouvernementaux, sous réserve de la présentation dans des délais convenus du contrat paraphant la séance inaugurale du conseil d'administration du waqf en question.

Une autre commission examine et ordonne les échanges de lots (istibdal). Entre les donateurs, tout d'abord : tel organisme, par exemple en manque de lots équipés, faisant appel à tel autre en avance sur son programme immobilier. Cela peut entraîner une interversion sectorielle des lots échangés : entre le domaine de la santé et de l'urbanisme, par exemple. Il s'agit alors de bien contrôler l'échange des dossiers entre les administrations concernées, celui des lots n'étant effectif qu'une fois constaté l'échange des compétences. Entre les dotés, secondement : l'usage, l'adaptation aux réalités évolutives, le souci d'économie justifiant le procédé. Précédé par un accord formel entre les deux conseils d'administration des waqfs concernés, l'aval de la commission, entérinant simplement l'accord entre les parties, ordonne les échanges de dossiers et de compétences entre les conseils d'administration.

Cette même commission peut être sollicitée par l'État lors de remembrements domaniaux d'intérêt public : aménagements d'urbanisme, par exemple (8). Nous l'avons évoqué en notre première partie : les awqafs furent, dans l'histoire des cités musulmanes, un outil fréquent de restructuration de l'espace, propice à des stratégies élaborées sur le long terme. C'est également dans ce cadre que devraient s'étudier et se réaliser d'éventuelles ventes de rapport de biens awqafs immobiliers, notamment muayyam, incluant une définition précise des bénéfices réalisés et leur suivi éventuel. On conçoit bien qu'en cette commission flirtant avec des enjeux à nouveau lucratifs – et certes pas moindres – la présence de la COJURAM apparaisse incontournable...

 

(À suivre).

 

NOTES

(1) : Incluant les fédérations coopératives ou associatives diverses, les corporations, les syndicats, les partis politiques, les confréries religieuses, etc.

(2) : Cette parenthèse rappelle la distinction nécessaire des awqafs en fonction de leurs services aux 'ibâdat ou aux mou'âmalat.

(3) : Présentant donc un projet et une requête de dotation en waqf.

(4) : Cette notion est capitale. Elle réunit celles anciennes de waqf khayri (un projet de bienfaisance sociale) et waqf ahli (un projet au bénéfice de personnes désignées) autour du concept « waqf associatif ».

(5) : Impliquant du foncier.

(6) : Tel programme, par exemple, de trois cents boutiques, deux cents hectares de riziculture, cent immeubles locatifs, financé par l'OMS et destiné à soutenir le secteur des associations consacrées à la « santé » publique se voit donc suivi par tel service du ministère de la Santé. Il aura pour tâche première de faciliter toutes les démarches administratives pour l'exécution du projet immobilier (ou d'aménagement foncier) et c'est en son sein (ou sous son égide) que seront désignés les représentants de l'État lors des attributions de ce programme aux diverses associations requérantes.

(7) : Ainsi le projet imaginé au chapitre précédent concernant les associations de quartier. Les partenaires intermédiaires sont connus (l'AMEC, les huit autres ONG locales, les services municipaux, la communauté urbaine de Nouakchott, etc.), les stratégies définies, les budgets généraux bouclés : on conçoit dès lors que les procédures de dotations de ces petites associations de quartier soient simplifiées et accélérées au maximum.

(8) : Mais aussi rectifications des injustices foncières liées à la réforme de 1983 ou aux événements de 1989, autre exemple susceptible d’aider à la guérison de vieilles plaies.