A chacun ses propres préoccupations /par Mohamed Abdallahi Ould El Houssein

21 July, 2020 - 21:52

Quelques mois avant la proclamation de la souveraineté nationale. Le contexte,un conseil qui se tient dans un carrefour particulier de l’histoire, celui des indépendances des pays africains sous tutelle coloniale française. Un conseil dont certains membres se connaissent à peine, mais qui sont tous emportés par le vent de l’enthousiasme ambiant.

Unhomme, jeune, fend les rangs ; il s’avance d’un pas altier et digne. Par contre,lui, tous le connaissent. Il a été leur hôte il n’y a pas bien longtemps, lors du congrès d’Aleg, tenu le 2 mai 1958. Une première qui a réuni tous les représentants de cette Mauritanie en gestation. Ils le connaissent bien parce qu’à l’occasion de ce conciliabule gigantesque, il a accueilli chacund’entre eux, avec un sourire jovial, une main franchement tendue, et surtout un propos agréablement prévenant, d’une obligeance inoubliable.

Solennel, le jeune homme tient une perche au bout de laquelle flotte un drapeau qu’il présente à l’assistance. Ce qui se passe ce jour-là est singulier, oui bien singulier ; ces représentants du peuple découvrent le drapeau vert et jaune de la Mauritanie indépendante ; l’homme à qui échoit l’honneur de le lever pour cette toute première fois historique est Son Excellence Mohamed El Mokhtar Ould Cheikh Abdallahi dit Maarouf.

Je me permettrai ici une petite parenthèse, pour rappeler que le seul lieu de mémoire de l’histoire moderne de la Mauritanie encore conservéen l’état est la maison du congrès à Aleg. Dans un esprit de prévoyance patente, le propriétaire des lieux, SE Maarouf – car c’est de lui qu’il s’agit - a maintenu cette maison dans sa configuration initiale, sans aucun changement autre que ce qu’exige l’entretien ordinaire du bâtiment. Cherchez autour de vous autre chose de semblable, rien.

 

Une mosquée à la Présidence, une première

Autre époque, autre première fois historique.  Jeudi 19 avril 2007. L’investiture du nouveau président de la République s’est faite dans une atmosphère d’euphorie générale et de détente politique sans précédent, suite à des élections limpides et unanimement reconnues par l’opinion nationale et la communauté internationale. Sitôt investi, l’occupant du palais eut comme premier souci … la prière. Au tout début, il filait tous les vendredis, sans crier gare, à la mosquée la plus proche, pour accomplir son devoir religieux. C’était une première. Jamais avant lui un président de la République ne prit sur lui de se rendre à la mosquée le vendredi comme tout bon musulman. Sécurité, diraient d’aucuns, oblige. Mais très tôt, ce fût un autre jalon de franchi : la construction d’une mosquée au sein de la présidence de la République. C’est, me dira-t-il plus tard, une décision que j’ai prise sans y réfléchir bien longtemps. Quoi de plus logique que d’avoir une mosquée au sein de la présidence d’une République qui se proclame haut et fort Islamique ! Ce haut fait, vous l’avez bien compris, est l’œuvre de Son Excellence Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi.

Autre époque bis: Lemden, ce samedi 18 juillet 2020. J’ai eu le privilège d’assister à une rencontre entre ces deux géants de l’histoire de la Mauritanie, assis face à face, mais pas seuls. Avec eux, une figure marquante sur tous les plans : religieux, social, politique, économique et j’en passe. Il s’agit du respectable Cheikh El Hadj Ould Mohamed El Mechry de Maata Moulane.

Par ailleurs, le Président était accompagné par Monsieur Kaber Ould Hamoudy, un fidèle parmi les fidèles. En effet, on se souvient que Ould Hamoudy est demeuré à Lemden après le coup d’état et l’assignation à résidence du Président, ce qui lui valut quelques problèmes avec les auteurs de la forfaiture ; sentant la menace, il dut s’exfiltrer vers le Sénégal en passant la frontière clandestinement à Boghé.

Ces hommes se sont donné rendez-vous ici, dix jours après la levée de l’interdiction de circuler entre les wilayas du pays. Leur but : fêter un évènement particulier ; il s’agit de l’aboutissement d’un long processus à la concrétisation duquel ils ont tous travaillé : l’inauguration à Nouakchott, le 22 mai 2020, par le ministre de l’Intérieur, d’une avenue, allant du carrefour communément appelé Madrid, sur un parcours d’une dizaine de kilomètres, jusqu’à la route de Bamako dans le département de Riad, au nom d’El Hadj Abdallahi Niass.

Cette nomination est doublement symbolique : d’abord à cause de l’aura exceptionnelle dont jouit la famille de l’érudit tijani, qui compte de nombreux disciples dans le pays ; mais aussi et surtout, cette marque d’honneur vient en reconnaissance du rôle immense que l’homme a joué lors des regrettables évènements de 1989.  En effet, le fils aîné et alors khalife de Cheikh El Islam Feu Ibrahima Niass avait sauvé la vie de milliers de mauritaniens, assurant leur prise en charge plusieurs jours, puis la protection de leurs biens qu’il fit acheminer par bateau spécialement affrété à cet effet, à partir de la Gambie jusqu’à bon port à Nouakchott.

D’ailleurs, les poètes mauritaniens ne se sont point privés de chanter ce rôle à travers poèmes et musique et à ce jour, toutes les occasions sont bonnes pour le rappeler.

Ce samedi donc 18 juillet 2020 il s’est agi d’un aparté ouvert entre trois patriarches, représentants de trois générations successives, s’il est bien admis que la durée d’une génération est de 25 ans ; trois générations liées entre elles par un fil conducteur commun : la fibre religieuse et au-delà, l’intérêt national. Un peu moins de trois heures durant lesquelles, étonnamment, aucune allusion, même furtive, aux turpitudes de la politique locale, et surtout au sujet principal de discussions actuelles dans les salons de Nouakchott : la commission d’enquête parlementaire et la haute cour de justice. 

Le souci de ces hommes est en fait tout autre. Ils se sont détachés une fois pour toutes de ces petitesses, les nôtres, nous communs des mortels, leur préférant des firmaments qu’eux seuls sont à même de gagner. Oui, leur souci est franchement tout autre. Mais ne dit-on pas si bien à propos, qu’à chacun ses propres préoccupations ?