Sahel: La Mauritanie veut éclaircir les rumeurs d’exécutions dans les trois-frontières

14 July, 2020 - 14:54

Depuis quelques mois, l’ONU, via la Minusma et la France soulèvent des accusations d’exactions contre les populations peules dont des exécutions sommaires. Les forces armées maliennes (FAMa) et nigériennes (FAN) sont notamment pointées pour leurs responsabilités dans cette affaire qui pourrait nuire à la crédibilité de la coalition tout entière. 

 

Les FAMa et les FAN sont accusées, seulement pour l’année 2020, d’avoir exécuté sommairement plus de deux cent civils ou combattants prisonniers (ou en incapacité de se défendre). Si ce genre de bavures sont malheureusement courantes dans le cadre d’un conflit de nature asymétrique (contre-guérilla) telles que celui-ci, il est fondamental de traiter le mal rapidement. Ce genre de dégâts collatéraux sont précisément voulus des djihadistes. En assimilant leur lutte à celle des populations peules (notamment), et en jouant sur la difficile discrimination combattants/civils : ils garantissent leur vivier de recrutement. De plus, ils parviennent à décrédibiliser, localement comme internationalement, la lutte du G5 et de ses partenaires. Dans un cadre d’affrontement aux causes profondes plus ethniques que vraiment religieuses, ce type de comportement est un non-sens.  D’où une méfiance grandissante de la France, de l’ONU et de la Mauritanie face à ces actes nuisant autant à leur stratégie qu’à leur conception des droits l’homme ; comme l’a rappelé le Président français Emmanuel Macron : « Les peules ne sont l’ennemi de personne ».

 

Une enquête internationale

Dans un premier temps, il est fondamental de ne pas se laisser emporter par la rumeur. Certains faits n’ont été remontés que via des associations peules et le risque d’une attaque informationnelle fallacieuse, téléguidée par les terroristes, n’est pas à écarter. Cela dit, ce ne serait pas la première fois que de telles exécutions surviennent dans le cadre de ce conflit. 

C’est la raison pour laquelle l’ONU a lancé une enquête notamment via le conseil de sécurité. La France a également lancé une enquête parlementaire qui est en cours en ce moment même. En plus de qualifier précisément les faits, ces enquêtes permettront de bien les resituer dans le contexte sécuritaire global et historique de la région. Il s’agit d’arbitrer au mieux en condamnant, le cas échéant, les coupables sans polariser encore plus les tensions inter-ethniques. Enfin l’enquête devrait déboucher sur la mise en place de nouveaux outils légaux dans la volonté de « judiciariser le contre-terrorisme » pour reprendre les mots d’un parlementaire français. La France a déjà pris connaissance du phénomène et travaille depuis longtemps sur ce dossier. Un rapport parlementaire sur la situation générale au Sahel pointait déjà il y a quelques mois, donc bien avant le temps médiatique, la problématique des exactions probables sur les populations peules. 

 

Travailler en amont afin de prévenir les risques

La France a une grande expérience en contre-guérilla et connait le cercle vicieux des éliminations extra-judiciaires : elle ne saurait donc tolérer ces agissements, à ce titre les mots de la ministre française des armées Florence Parly sont éloquents : « Il y a des brebis galeuses partout mais nous serions coupables si nous ne mettions pas tout en œuvre pour réduire ce risque ». Cela étant dit, il importe de rappeler que les forces du G5 Sahel sont souveraines et que les troupes françaises ne sont pas en permanence à leurs côtés : on ne saurait donc imputer les exécutions en question à la passivité volontaire du dispositif Barkhane. Au contraire, on note que toutes les opérations menées conjointement n’ont entrainé aucune exécution sommaire ou vexation sur les populations peules (ou touaregs). Un début de solution résidera donc dans un accompagnement plus assidu des unités sahéliennes par les troupes françaises et, d’ici quelques semaines, par les troupes d’élites européennes de la Task Force Takuba, dont c’est précisément l’un des mandats.

En dehors de cela, la France et l’Europe travaillent à inculquer discipline, discernement tactique et notions de Droit humanitaire aux armées du G5, à travers leurs missions de formations respectives : partenariat militaire opérationnel (PMO), missions EUTM, etc. La formation se situe également sur un volet civil car de nombreuses dérives identifiées ont pu avoir pour cause des opérations de maintien de l’ordre (MO) ayant dégénéré. Le MO n’est pas un métier de soldat, d’où l’intérêt des missions européennes EUCAP qui forment des forces de police.

 

La Mauritanie peut apporter sa pierre à l’édifice

La Mauritanie est dotée d’une société pluriethnique qui n’est pas exempte de tensions parfois très fortes. Pourtant le pays, confronté très tôt au terrorisme islamiste, a réussi rapidement à contrer une éventuelle instrumentalisation de son patchwork culturel. Tablant sur l’unité religieuse afin de couper l’herbe sous le pied des djihadistes, l’état mauritanien est parvenu à créer une armée multiethnique plus ou moins équilibrée (des efforts restent à fournir). En plus d’encourager une vision nationale commune, cette armée a réussi à être acceptée par l’ensemble de la population via des missions de proximité. En définitive, en plus de parvenir à créer plus de justice sociale, la composition de l’armée mauritanienne et ses doctrines d’emploi, a empêché les djihadistes d’exploiter les ressorts identitaires du pays. Un exemple que pourrait suivre le Mali, majoritairement musulman, et qui tente d’intégrer des unités touaregs dans ses rangs dans le cadre du processus DDR (désarmement-démobilisation-réinsertion) prévu par l’accord d’Alger de 2015.

 

La Mauritanie est fière de ses valeurs Islamiques mais, contrairement aux terroristes, est favorable au dialogue international et aux droits de l’homme. De plus son expérience en contre-terrorisme et en contre-guérilla lui fait comprendre, avec une grande acuité, le problème que posent les exécutions extra-judiciaires. En tant que pilier du G5, le pays ne peut rester passif et suit donc le déroulement des enquêtes en cours avec beaucoup d’attention. 

Ben Abdalla