Le corona peut-il être : « A quelque chose malheur est bon ? »/Par Sidi Ould Ahmed Deya

25 June, 2020 - 12:22

L’humanité vit depuis le début de cette année sous une chape de peur due à la pandémie du Coronavirus. Invisible à l’œil nu, ce petit être a montré combien la puissance dont se targuait l’homme était toute relative et en tous points vulnérable. Négligé au profit de la course à l’armement surtout nucléaire et à la conquête de l’espace, le système sanitaire s’est tout simplement écroulé ou presque.
Par la destruction des forêts, la pollution des mers et océans, le rasage de la faune et de la flore, l’abus des richesses naturelles minières et halieutiques, il a montré combien le respect de la nature était son dernier souci.  Par le biais du clonage et des modifications génétiques, et en dépassant toutes limites, il a tenté la transformation de certaines créatures vivantes. Il s’est tout simplement comporté comme s’il était le créateur de l’univers.
De ce comportement tyrannique et  irresponsable, il n’a même pas daigné épargner ses semblables. Des pans entiers de la société humaine ont croupi et croupissent encore sous l’oppression la plus infâme. Ils ont vécu et vivent encore l’inégalité sous toutes ses formes parce que tout simplement différents par la religion, la couleur de la peau ou par le sexe.
 

Large front national

Mais la question qui se pose à présent est comment va-t-il se comporter à la sortie de cette crise ? Va-t-il prétendre avoir maitrisé ce virus comme il a prétendu avoir maitrisé celui du SIDA et de l’Ebola ? Ou va-t-il se rendre à l’évidence qu’il n’est qu’un « roseau le plus faible de la nature » et que la pensée qui le distingue est bien limitée ?
Ainsi, il se rendra à l’évidence que cet univers a un créateur qui le fait fonctionner au moyen de règles et lois établis par lui et dont il a seul les secrets. Mais il faut craindre que cet homme s’entête et choisit de poursuivre ses ignominies habituelles. En ce cas, il ne manquera pas de vouloir compenser les pertes occasionnées par les conséquences de cette crise en décidant, encore une fois de plus, de piller les richesses des nations faibles.
Ce risque, plus que probable, doit nous inciter à plus de vigilance et à nous unir en un large front national, seul capable de nous protéger contre de telles velléités.
A l’instar des autres nations, la Mauritanie a malheureusement eu sa part de cette terrible pandémie.

Ce fut l’occasion de constater que nous allions subir les effets conjugués d’un système sanitaire défaillant, allié à un mode de gestion déjà incapable d’assurer le quotidien, à plus forte raison pouvoir faire face à une crise d’une telle ampleur.
Quant à l’éveil populaire sur lequel a misé la communauté internationale, il n’a été chez nous que l’occasion d’amplifier la crise et  d’en élargir le spectre.
Le Covid 19  a vite révélé que la voie de développement ainsi que le mode de gouvernance auxquels a été soumis le pays au cours des soixante années d’indépendance méritaient d’être revus. Les poursuivre sans les revoir peut conduire certainement à plus grave.
Aussi, la prétention d’avoir vaincu le virus a la fin du premier mois de son apparition, nous rappelle étrangement celle qu’on nous a annoncée lors de la malheureuse guerre du Sahara.
A l’époque, il a été annoncé très tôt que la guerre était finie et le dossier «  clos », alors qu’elle a duré plus de 3 ans et que nous vivons encore ses douloureuses conséquences.
Comme il semble encore que nous sommes entrain de gérer les fonds destinés à affronter la pandémie actuelle, comme nous avions eu à gérer ceux collectés pour les palestiniens en 1967, pour l’effort de la guerre du Sahara en 1976, et pour ceux qui furent rapatriés du Sénégal en 1989, comme pour confirmer l’adage : « le malheur des uns fait le bonheur des autres ».
Le coronavirus a aussi malheureusement révélé que les questions traditionnelles, qui s’étaient posées ou qui l’ont été par les élites politiques et autres forces nationales au lendemain de l’indépendance, restent en grande partie posées. En particulier les problèmes d’identité nationale, culturels et de développement.
Il est apparu que nous avons tout le long des soixante années passées, substitué notre réalité tribale et cantonale aux moyens de modes de pensées désormais anachroniques.
 

Nécessité de survie

Il est aujourd’hui crucial que notre élite politique et sociale comprenne que notre vision de l’Etat doit se déplacer d’un choix parmi d’autres en 1960, à une nécessité de survie aujourd’hui.
Il semble ainsi indispensable de revoir le cadre de nos débats par rapport aux problèmes de coexistence cités plus haut, par rapport à la gestion du processus démocratique et aux questions liées à l’alternance pacifique. La recherche du consensus nécessaire à trouver des solutions originales à nos problèmes, doit nous conduire à trouver un cadre politique qui transcende nos divergences idéologiques, raciales, tribales, objectivement dépassées. L’absence de ce cadre et l’état de permanentes divisions entretenues ont été certainement pour beaucoup, dans l’état d’arriération de notre pays. 
Cet état de déchirements de forces, surtout vives (jeunesses, syndicats, étudiants, élèves…..) a donné libre cours à une infime minorité de s’emparer du pouvoir et d’y demeurer encore, causant le plus grand tort à la grande majorité de notre peuple.
La gestion du pays par cette minorité a eu pour conséquence, l’enrichissement de celle-ci, tout simplement par le transfert du patrimoine public à des propriétés privées.
Le détournement  des deniers, l’évasion et la fraude fiscales, les commissions sur les marchés publics, les crédits bancaires complaisants ….ont été au cours des soixante années passées, le sport préféré de ses messieurs.  Pire, cette minorité a développé des valeurs qui chantent le vol, l’enrichissement illicite et la gabegie.
Mais voilà que le Covid19 les a rendus otages d’une Nation qu’ils ont pillée. Ils sont interdits de voyager, ils sont confinés là où ils ne peuvent former leurs enfants faute d’écoles, là où ils ne peuvent se soigner faute d’hôpitaux, là où il n’y a pas de marchés aptes à assouvir leurs caprices. Comme si le Covid voulait leur dire : « biens mal acquis ne profitent jamais. » Ou pour peu qu’il soit poli : « l’argent ne fait pas le bonheur ».
Mais, malgré tout, l’appel et les engagements du Président Ghazouani peuvent au demeurant constituer un nouvel élan, une base solide pour un sursaut national, à condition qu’ils soient sauvés de la mollesse qui a marqué leurs lancements et l’inorganisation de leurs exécutions.
Nous avons aujourd’hui besoin d’une direction qui apprécie la valeur du temps, qui engage une course contre sa perte. Une direction qui fixe un seuil de réalisations en fonction d’un calendrier défini par jour, par mois et par année.
Notre besoin est pressant pour une direction qui soit sévère avec les mauvais gestionnaires, avec la mauvaise gestion, sévère avec tout laxismes et sévère avec tout laisser-aller.

 

Elite marginalisée

Si par le passé, nos régimes successifs ont réussi à monter des hordes de renseignants spécialistes en vente de médisances, à monter des structures dites politiques truffées d’applaudisseurs valorisant les paroles et gestes du chef du moment tout en étant prêts à le lâcher à la première occasion.
Notre besoin aujourd’hui est de former et d’organiser une majorité dont l’élite politique et administrative soit capable de dire et d’agir conformément aux intérêts objectifs de la nation.
Malgré le terrorisme intellectuel, matériel et moral, exercé contre elle, depuis toujours par les hordes citées plus hauts, cette élite intègre et responsable existe.
Ses éléments marginalisés, meurtris et désabusés, ont été soit, contraints à l’exil forcé, soit à l’éparpillement dans les quartiers de Nouakchott  ou à l’intérieur du pays.
Notre besoin est encore pressant de voir s’opérer un repositionnement de notre institution militaire, de sorte qu’elle soit le garant principal de nos choix politiques, de développement et qu’elle demeure la protectrice de notre intégrité territoriale. Il est déplorable que nous ayons  vécu, depuis la chute du régime à Parti unique en 1978, un mixage de régime militaro-civil où les militaires n’étaient pas loin des conflits entre tendances et mouvements politiques civils qui ont souvent tenté et réussi à infiltrer l’institution militaire utilisée plus d’une fois à l’occasion de leurs conflits internes.
Les formations politiques nées sous le régime militaire n’étaient que son émanation. Je vais citer les SEM, le PRDS, le PRDR, ADIL et enfin l’UPR.
Ce mixage négatif entre militaires et civils a produit une situation malsaine et anachronique. Ainsi le pays n’a pas vécu un pouvoir militaire discipliné, respectueux des lois et de l’ordre qui aurait pu réussir à faire évoluer ou construire un système économique fort comme ce fut le cas dans certains pays du tiers-monde. Comme nous n’avons non plus eu la chance de connaitre une expérience démocratique pratique et mûre, dirigée par des civils de façon transparente et conforme aux lois et règlements du pays.
A cause de cet état des choses, nous avons perdu ou pour le moins, éloigné, tout espoir en la justice, au développement et en la démocratie.
Il me revient en tant qu’élément d’une génération de responsables politiques et administratifs qui ont eu à jouer différents rôles pendant les décennies passées , d’insister pour dire que la contribution attendue de nous, à présent, doit se résumer à un repentir sincère et de laisser notre jugement à la mémoire du temps, aux plumes des historiens ou bien à un nouveau pouvoir dont les éléments n’auraient pas partagé notre gestion. Nous sommes redevables d’un repentir (Tawba) assorti de ses quatre conditions : l’abandon immédiat des actes répréhensibles, le regret par rapport au passé, la ferme volonté de non-retour au péché et la remise de tout ou partie de ce que nous avons soustrait au pauvre peuple par le biais de nos malversations.

 

Nécessaire dialogue

Quant à ceux qu’on désigne sous le vocable de Partis politiques, de courants idéologiques ou ce qui en reste, ils sont, à mon humble avis, interpellés aujourd’hui plus que jamais à faire évoluer leurs discours, de façon  à les rendre plus conformes aux espoirs et aux revendications des générations actuelles, à recréer les occasions combien de fois ratées à cause de l’absence d’une force qui propose avec intelligence et détermination, qui tend les ponts de la compréhension entre le pouvoir et les formations opposées.
L’absence de cette force a été consécutive à la domination de l’esprit de rejet et d’exclusion, qui a habité jusqu’à présent les différents acteurs de la scène politique. Notre besoin est grand de voir se cultiver les espoirs de complémentarité et d’entente, au lieu de semer les germes de la rupture, de la mésentente, qui ont gêné considérablement notre marche vers un destin commun meilleur. Il se confirme aujourd’hui de manière patente, que rattraper les ratés de notre développement est l’obligation du moment qu’il n’est point permis de le différer, ni de s’y prendre avec les mêmes méthodes appliquées jusqu’à présent.
Car, il est tout simplement absurde d’envisager des résultats différents de ceux déjà obtenus en usant des mêmes moyens et par la répétition des mêmes expériences.
Nous avons vécu tout le long des décennies passées une gestion de la chose publique au jour le jour ou conformément à des recettes rabâchées des institutions financières internationales. Et  nous n’avons jamais expérimenté une vision stratégique nationale apte à être comparée ou à être auditée.
Pour tout ce qui précède, l’impérieux et prioritaire besoin de voir s’instaurer entre nous un dialogue large et inclusif, mettant à contribution les compétences nationales où qu’elles résident. De mon point de vue, un dialogue national de cette nature et de ce niveau prime tous autres dialogues quels qu’ils soient. Ce dialogue pourrait aboutir à la formation d’un large front national complémentaire et solidaire et ce en vue de réaliser une refondation de l’Etat aux moyens de ce que nous possédons comme ressources considérables, humaines et matérielles largement diversifiées. Mais comme préalable, deux mesures urgentes s’imposent :

1. Restaurer la confiance en  l’Etat, de manière à ce qu’il soit au-dessus des formations traditionnelles contraires à son existence et à son respect. Un Etat dont les institutions bien qu’indépendantes obéissent à un seul idéal.

2. Dégager les structures administratives et techniques des conflits et débats politiques, pour que seules la compétence, la productivité et l’intégrité soient les critères de promotion ou de nomination.

Je termine par cette sagesse populaire :
Dans le temps, les tissus destinés à l’habillement étaient rares, l’homme ne possédait qu’un seul pantalon. En général ce pantalon s’abime par le bas. A ce moment et par la force des choses, il procède à un changement consistant à couper les morceaux abimés pour les remplacer par ceux encore résistants qui sont au haut du pantalon.
Mais cette opération n’est réalisable qu’une seule fois sur un même pantalon. On dit alors « qu’un pantalon n’est inversable qu’une seule fois». Est-ce valable pour les régimes politiques ?