COVID -19 : Une pandémie qui arrange tout le monde ?

25 June, 2020 - 00:27

La crise du coronavirus qui frappe le monde depuis la fin  de l’année 2019  et la Mauritanie depuis mars dernier arrange-t-elle finalement tout le monde au pays du million de poètes ? C’est l’impression que donne en tout cas la classe politique depuis l’irruption de cette pandémie en notre pays. Si la majorité présidentielle et le gouvernement qu’elle soutient se démènent, non sans difficultés à combattre le virus et limiter ses dégâts, l’opposition ou ce qu’il en reste peine à faire entendre sa voix. Par pudeur ou peur d’être accusée de rompre le front commun contre la pandémie. Le président Ghazwani continue ainsi à bénéficier d’une période de grâce, dix mois après son élection à la magistrature suprême.

 

Période de grâce prolongée

Les Mauritaniens pensaient pourtant que le clash  intervenu, fin Novembre dernier, entre Ould Abdel Aziz et son « ami de quarante ans », Ould Ghazwani, autour de la fameuse « référence » de l’UPR, allait sonner le glas de ladite période de grâce dont jouissait le marabout-Président. Tentant une OPA sur le parti-État, Ould Abdel Aziz était accusé par ses détracteurs de chercher à continuer à tirer l’essentiel des ficelles du pouvoir, trois mois après son départ du Palais. Première alerte pour le nouveau locataire de celui-ci, désormais obligé d’assurer ses arrières, sachant que son prédécesseur ne lui ferait aucun cadeau, déterminé qu’il est à ne pas se laisser traîner dans la boue. Et d’entamer des réaménagements à petites touches au sein de l’armée. Le commandant du Groupement de la sécurité présidentielle (GSP), ex BASEP, bras armé de son prédécesseur, en fait les premiers frais.

Depuis, le nouveau Président s’est concentré à consolider son pouvoir, priorité N°1 sur son tableau de bord. Pas à pas, « à son tempérament », diront ceux qui connaissent l’homme. Contrôle des forces de défense et de sécurité : un vaste redéploiement des chefs de corps a été effectué, il y a quelques jours. Verrouillage, comme l’interprètent certains ? D’autres ne manquent pas de relever qu’excepté deux nouveaux gradés, tous ceux qui bénéficiaient des grâces de l’ancien Président sont toujours en quelque commande : l’armée est devenue une oligarchie depuis 1978 et n’entend plus céder le pouvoir aux civils. Ce qui était hier vrai avec Ould Abdel Aziz l’est davantage avec Ghazwani qui a dirigé l’armée, la sûreté et les renseignements : il n’avance pas en terrain inconnu. Mais, différence notable, il avance, lui, à pas de tortue, sans cesser de concerter avec les hommes les plus décriés de son prédécesseur, ce qui ne manque pas de dérouter les analystes et remonter les Mauritaniens. Après dix ans de pesant règne azizien, ceux-ci avaient hâte de se débarrasser du « Système », oubliant un peu vite que Ghazwani en fit partie dès ses fondations puis aux premières loges. Faut-il donc s’étonner qu’à l’heure où les Mauritaniens  attendent des changements profonds dans la gouvernance, Ghazwani poursuit le recyclage des proches d’Ould Abdel Aziz, tous suspectés de s’être enrichis illicitement sur le dos de la République ?

 

La CEP, une autre bouffée d’oxygène

Après l’alerte de Novembre et les demandes pressantes de l’opinion, de l’opposition et même de certains partis de la majorité, Ould Ghazwani concède la mise en place d’une Commission d’enquête parlementaire (CEP), à charge de faire la lumière sur la gestion par son prédécesseur de divers lourds dossiers. Une décision rondement appuyée par le groupe parlementaire de l’UPR à l’Assemblée nationale. Comprenant également des partis politiques de l’opposition, la CEP est favorablement accueillie par presque toutes les chapelles politiques et une nette majorité de l’opinion nationale. Le pouvoir en tire un bénéfice important. Ould Ghazwani, que d’aucuns trouvaient trop mou et même len, s’en voit auréolé d’une supplémentaire légitimité.

La fondation de cette commission accentue les divergences entre l’ex-Président et le nouveau Raïs. Les auditions des personnalités suspectées d’avoir bradé, dans leur proximité avec Ould Abdel Aziz, les ressources du pays exacerbent les tensions. Et l’ex-Président de clamer, à qui veut l’entendre qu’il  est certes bien riche mais n’a rien à se reprocher, défiant quiconque de prouver le contraire et menaçant, en filigrane, de révéler des choses pouvant compromettre le régime en place. Il s’en suit un véritable déballage entre les proches de celui-là et la commission qui obtient une extension de son mandat à d’autres dossiers et devrait boucler son travail en Juillet prochain. Parmi les personnalités auditionnées par les parlementaires, figurent des membres du gouvernement de Ghazwani  et d’autres hauts cadres qu’il a maintenus aux affaires, ce qui n’a pas manqué de jeter un doute sur le sort qui sera réservé par le gouvernement aux recommandations de la CEP. Espérons que le COVID 19 ne servira pas de prétexte pour renvoyer aux calendes grecques la mise en œuvre de celles-là.

 

L’opposition  tente de reprendre de la voix

Ghazwani a donc réussi  à faire l’unanimité autour de lui… en tout cas jusque-là. Car on note des voix discordantes qui réclament un remaniement de son premier gouvernement. Le marabout-Président avait beaucoup plus misé sur les technocrates  que sur les politiques. Or, au sortir de dix ans de règne et de tension entre le pouvoir et l’opposition, une dose de politique aurait permis au gouvernement de disposer de plus de latitude pour une approche consensuelle des questions nationales. La main tendue  du nouveau Président  à l’opposition n’a pas trouvé preneur.

Après avoir salué la dynamique engagée par Ghazwani au lendemain de sa prise de fonction, les partis de l’opposition ont en effet fini par prendre leur distance. Mais comment retrouver de la voix, après une longue léthargie, pour ne pas dire agonie ? Le consensus autour de la contestation des résultats  proclamés par la CENI et validés par la Conseil Constitutionnel, a volé en éclats, quasiment tous les partis choisissant de donner du temps au nouveau Président, en l’espoir d’un dialogue politique enfin inclusif. Mais les voilà, dix mois plus tard, déchantant. Aujourd’hui, l’opposition représentée  au Parlement dénonce, comme les autres, le refus de Ghazwani d’organiser, comme il l’avait promis à certains de ses soutiens, un dialogue politique inclusif sur certaines questions nationales. L’approche du Président privilégiant les rencontres individuelles au Palais se voit brancardée. Et l’opposition de souligner l’opacité dans la gestion par le gouvernement de la pandémie COVID -19, surtout en son volet socio-économique. L’espèce de « distanciation politique » notée par les observateurs prend peu à peu des allures de fossé. La querelle qui ne s’exprimait jusque-là qu’à travers la presse et les réseaux sociaux gagne en ampleur et tend à prendre pignon sur scène.

 

Biram siffle la fin du consensus

C’est dans ce contexte qu’au lendemain de son retour au pays, après un confinement  de plusieurs mois à l’étranger, Biram Dah Abeid, président d’IRA et député à l’Assemblée nationale, siffle la fin du répit qu’il avait accordé au nouveau pouvoir. Une rentrée politique marquée par une conférence de presse percutante : le nouveau Président à qui il avait « accordé le bénéficie du doute », y rappelle-t-il,  ne fait que « perpétuer le système et les pratiques » de son prédécesseur. Et d’inviter Ghazwani  à se ressaisir. Une sortie considérée comme une déclaration de guerre, après celle accomplie à l’étranger, affirmant que la Mauritanie est un pays où sévit l’apartheid. Intervenant en pleine période de grâce du nouveau Président, cette déclaration avait été très mal appréciée au sommet de l’État, suscitant une énorme levée de boucliers. Le député Biram en remet aujourd’hui une couche. Et il n’en fallait pas plus pour sortir le président de l’Assemblée nationale de ses gongs. Dans un tweet rageur, il déclare en substance que « le député Biram trahit les électeurs qui l’ont élu pour défendre leurs intérêts et non pour satisfaire sa clientèle de l’étranger ». On attend d’autres réactions. Biram a allumé la mèche. La scène politique en avait bien besoin.

 

Dalay Lam