La Chine se réveille et le leader du monde tremble (II)/Par Ahmedou Ould Moustapha

25 June, 2020 - 00:00

Monsieur Ahmedou Ould  Moustapha décline ici une analyse percutante qui remet en question beaucoup de certitudes et de croyances fortement établies.

Des lois immuables de l’Histoire aux pertinents indicateurs comparatifs de l’économie, en passant par les inflexions de la géopolitique, il met en évidence quelques tendances lourdes pour cerner les véritables enjeux de cette vive tension qui se déroule sous nos yeux entre les Etats-Unis et l’Empire du Milieu.

Il nous explique surtout la sérieuse menace qui se profile sur le destin des Etats-Unis au niveau de l’échiquier international ainsi que  les vraies raisons des déclarations à la fois erratiques et oscillatoires du président Trump à l’encontre de la Chine.

 

La guerre, un double besoin inavouable

Mais ne soyons pas dupes pour autant. Car au-delà de cette manœuvre électoraliste, le gouvernement américain a toujours eu besoin d’ennemis extérieurs ; tandis que les banques et les industries d’armement  (principales pourvoyeuses de fonds aux budgets des campagnes électorales) ont  toujours eu besoin de guerres.

Pour le gouvernement, sa politique géostratégique consiste à entretenir une tension permanente au niveau de la sécurité internationale pour s’affirmer en tant que seule hyper puissance du monde et son unique gendarme, une tension ayant aussi l’avantage non négligeable de faire  diversion sur les difficultés intérieures, mais il s’agit surtout de tenir en haleine la cohésion de l’Union des Etats pour contrarier ou freiner les velléités d’indépendance ou de sécession en sourdine et qui surgissent de temps à autres dans certains Etats comme, par exemple, l’Etat de Californie dont la capitale (Los Angeles) est le berceau de l’industrie cinématographique et  télévisuelle ; ce qui fait d’elle la vitrine de la culture américaine par la force des images que véhicule Hollywood dans le monde entier, sans parler des plus grandes stars américaines de  musique, d’influence mondiale, qui y demeurent également. Elle compte, en outre, le plus grand nombre de milliardaires en comparaison aux autres villes américaines.  Se trouve aussi en Californie une autre ville phare, San Francisco, fief de Silicon Valley qui est l’étendard de la révolution numérique et le plus grand pôle de technologie au monde. Mais cet Etat de Californie, classé de manière putative comme 6ème puissance économique mondiale, devant la France, donc plus riche que tous les autres Etats de l’Union, traine la réputation d’être le plus récalcitrant vis-à-vis de Washington et trouve matière en tout pour contester les décisions du gouvernement fédéral.

 

Patriotisme aveugle

Dès lors, créer une ou des tensions quelque part dans le monde, mobiliser tous les médias sur cet événement, c’est aussi déclencher la fibre patriotique qui va se traduire dans le slogan ‘’ USA, YES’’ et  dans une forme d’effervescence qui s’empare des américains au point de les voir implanter leur drapeau national devant toutes les maisons du pays ; c’est à se dire plus patriote que moi tu meurs !

Pourtant les américains n’aiment pas le patriotisme des autres, surtout quand ceux-ci défendent leurs intérêts politiques ou économiques, mais c’est étonnant de voir combien il est ancré dans la vie du pays, après trois siècles de la Déclaration de l’Union des Etats. Et il n’est pas fortuit de le constater en effet dans ces représentations fortement symboliques : porte-avions Patriot, batterie antimissiles Patriot, Loi Patriot, etc…

Aussi voir à chaque événement sportif majeur ces milliers de petits drapeaux américains flotter dans les stades – en signe de soutien patriotique à leurs équipes – donne-t-il à penser qu’il s’agit d’un comportement spontané, mais il faut croire que c’est plutôt une mentalité forgée depuis bien longtemps à coups de manipulation politique massivement véhiculée par les médias de façon probablement inconsciente ;  le but de tous ces symboles patriotiques étant bien entendu de couper l’herbe sous le pied ou de faire taire lesdites opinions porteuses d’idées séparatistes et de les amener à raser les murs.

 Quant au monde de la finance et des fabricants d’armes, il faut le répéter, c’est clair que leur motivation est purement mercantile, puisque le premier finance avec beaucoup d’intérêts (sans jeu de mots) les seconds qui occupent la première place parmi les fournisseurs de l’armée américaine et qui constituent donc les principaux bénéficiaires du plus grand budget de Défense au monde(1); ce qui revient à dire que l’augmentation régulière et démesurée de ce budget impacte en conséquence leurs chiffres d’affaires qui se voient ainsi accroitre tout aussi régulièrement. 

La Guerre est donc, de ce point de vue,  un double besoin inavouable pour les Etats-Unis.

Ainsi, l’ennemi d’hier était l’organisation Al Qaïda en Afghanistan, après qu’elle ait été créée et utilisée contre la présence de l’Union Soviétique de l’époque ; ensuite ce fut Saddam Hussein avec ses prétendues armes de destruction massive ; enfin vint le spectre du terrorisme islamiste (DAECH et autres), lui aussi créé par la CIA en fonction des enjeux géopolitiques du moment et toujours sur financement des pays arabes du Golfe avec l’Arabie Saoudite en tête. Mais ce spectre est devenu un allié objectif, comme il le fut en Afghanistan, le Pentagone et la CIA le soutiennent publiquement en Syrie (voir mémoires de Mme Hillary Clinton(2)), il faut alors trouver un autre ennemi potentiel.  D’autant plus que la diabolisation du régime iranien semble avoir perdu de son effet mobilisateur : elle a été trop longtemps utilisée par les différents présidents qui se sont succédé sans que ce régime ne soit vaincu ou mis à genoux, il a plutôt réussi à réaliser des progrès formidables en matière d’autosuffisance alimentaire, de formation et de recherche en médecine, d’industrie pharmaceutique et surtout d’acquisition de technologie civile et militaire lui permettant de fabriquer soi-même des armes très dissuasives pour se défendre, de construire et de placer lui-même un satellite en orbite, malgré  l’embargo auquel il est soumis depuis plus d’une quarantaine d’années.

 

Guerres injustes et inutiles

Cette diabolisation a été aussi écornée par la décision unilatérale du président Trump qui a fait sortir les Etats-Unis de l’Accord nucléaire, sortie qu’il vient de rendre complète au moment même où la décision initiale avait été condamnée et demeure réprouvée par tous les autres pays signataires ainsi que par la plus grande partie de la classe politique américaine, sans compter la majorité de l’opinion publique américaine qui subit sans comprendre ce duel de rapière avec l’Iran…

De même, porter toute l’attention sur la Russie n’est pas non plus un slogan porteur pour le candidat sortant, puisqu’il est fortement soupçonné d’accointance douteuse avec le président Poutine…

On peut dès lors parier sans risque de se tromper que le discours antichinois de Trump et le dossier iranien se transformeront en thème central de sa campagne pour un second mandat.

Il se trouve que la Chine est à mille lieues des ennemis traditionnels qui furent  désignés par occurrence afin de déclencher contre eux des guerres aussi injustes qu’inutiles, aux fins de satisfaire des objectifs pour le moins douteux. Encore que les capacités défensives de ces ennemis-là, sciemment choisis, étaient tout simplement inouïes en comparaison à la puissance effroyable et asymétrique de l’armée américaine. Mais ce choix n’a jamais été fortuit, car ces derniers étaient tous plus faibles les uns que les autres et par conséquent incapables d’infliger un préjudice dissuasif comme l’auraient fait, par exemple, les Gardiens de la révolution iranienne, au vu de leur attaque récemment perpétrée contre deux bases américaines sur le territoire irakien, en réaction à l’assassinat du général Qasim Souleymani et de son compagnon Al Mouhendis…

Cela dit, on sait que la sécurité des Etats-Unis n’a jamais été menacée et tout le monde s’accorde à dire que leur supériorité militaire sur le reste du monde est incontestable, c’est même un truisme que de dire qu’elle fait partout consensus. Mais à l’heure des missiles hypersoniques intercontinentaux, impossibles à intercepter et porteurs d’ogives nucléaires, fabriqués également par les industries militaires Russe et Chinoise, cette suprématie militaire américaine est devenue relative, elle s’exprime désormais en termes dissuasifs malgré son immense potentiel offensif qui demeure sans comparaison.

Aussi, les nouvelles générations de missiles balistiques ont-elles changé la nature des guerres conventionnelles : sans parler des missiles dont dispose l’armée russe, réputés pour leurs performances technologiques qui sont, elles aussi, sans comparaison en ce moment ; ni du missile balistique chinois Vent d’Est 41 d’une portée de 14000 km, donc largement suffisante pour atteindre les Etats-Unis, la Chine dispose en outre d’un missile appelé DF26 que les spécialistes ont surnommé ‘’ Terreur des porte-avions’’.  Parce qu’en plus de sa portée de 4000 km et pouvant transporter aussi bien des ogives nucléaires que  conventionnels de 2 tonnes environ, il est capable d’ajuster sa trajectoire en plein vol pour attaquer avec précision un porte-avion en mouvement.

(A suivre)

 

 

(1) Selon les médias, l’augmentation récurrente du budget de Défense  des Etats-Unis est toujours votée sous l’influence des lobbys dont notamment celui  de l’industrie d’armement qui en est le principal bénéficiaire.

(2) Le Temps des décisions (Editions Fayard) où Mme Clinton déclare clairement que DAESH et quelques autres organisations djihadistes en Syrie ont été créées par les services de renseignement américains et saoudiens.