Sortie du Premier Ministre devant la presse : Le bon timing ?

17 June, 2020 - 23:51

Le premier ministre Ismaël Ould Bodde Ould Cheikh Sidiya a tenu, samedi dernier (14 juin) dans la soirée, une conférence de presse devant des journalistes de la presse officielle. Une première prestation depuis sa nomination au poste de PM, il y a quelques mois. Ce fut un exercice aisé pour l’homme de Boutilimit puisque nul n’est venu le contrarier. Toutes les dispositions avaient été prises à cette fin.

Question timing, cette intervention intervient après des aménagements opérés par le président de la République, il y a quelques jours, au sein de la Grande Muette omnipotente depuis 1978. Dix mois après son installation au palais de la République, il redéploie les chefs de corps des forces de défense et de sécurité. S’agit-il, comme le pensent certains, de verrouiller son système, en plaçant à des postes stratégiques des hommes qui lui sont fidèles ? Il s’est donné, en tout cas, un temps de latence suffisant  pour évaluer les uns et les autres. À tout le moins donc, deuxième phase de reprise en main, après la chaude alerte d’Akjoujt, lors des festivités de l’Indépendance en Novembre dernier. Il avait alors mis à l’écart le patron de la garde présidentielle suspecté de connivence avec celui qui l’avait installé à ce poste stratégique, Ould Abdel Aziz en l’occurrence. De petites retouches intervenaient ensuite, mais sans toucher l’essentiel de la nomenclature de l’armée. L’actuel ministre de la Défense, Hannena Ould Sidi déclarant devant les députés que la situation était sous contrôle.

La sortie du PM intervient également dans le contexte particulier du COVID-19. La pandémie continue à donner le tournis au ministère de la Santé et à ses équipes soignantes, renforcées depuis peu par trois centres d’accueil ouverts par l’armée. Chaque jour que Dieu fait, des cas positifs sont déclarés, avec leur cortège de décès. La pandémie touche désormais presque tout le pays. Et le personnel soignant hérite un lourd fardeau de contaminations. Pourtant d’importants moyens de dépistage et de prise en charge des malades ont été acquis par le gouvernement, via dons ou achats. Et même s’il n’y a pas panique en la demeure, les gens se posent des questions sur la véracité des chiffres, leur crédibilité et la capacité de nos soignants à y faire face. Le Premier ministre devait avoir une pensée pour le personnel médical en première ligne, en particulier les soignants. Belle occasion pour Ould Bodde de rassurer les populations sur les dispositions prises par le gouvernement, tant au plan médical que social.

 

Pouvait mieux faire

Le moment choisi par le Premier ministre est aussi marqué par la guerre que se livrent les supporters de la Commission d’Enquête Parlementaire et le camp des présumés auteurs de détournements soumis à son analyse. On assiste depuis quelques semaines à un véritable déballage autour des dossiers en cause. Le camp des accusés menaçant de révéler, à son tour, des dossiers compromettants leurs adversaires, avec des visées sur des proches de l’actuel Président… tandis que la CEP s’apprêterait, avancent diverses sources, à convoquer l’ex-Président Mohamed ould Abdel Aziz, suspecté d’être à l’origine de nombreux détournements de deniers publics et de maversations. Rumeurs ambigües, jugent cependant certains, suggérant ainsi que ceux qui réclament cette convocation ne chercheraient, en fait, qu’à affaiblir le nouveau Président. Rien n’est simple, tout se complique en ces luttes où l’apparent n’est que l’écume du secret…

C’est dire que le timing de la sortie du Premier ministre n’est pas fortuit. Mais ce que les observateurs ne comprennent pas, c’est l’absence de la presse privée à cette grande Première. Seule la presse officielle (re)connue pour sa « docilité » garnissait en effet les fauteuils du Palais des congrès. Pour beaucoup de confrères, le PM ne voulait pas de questions qui fâchent. Aurait-il tiré leçons de la première rencontre du président Ghawzani ? S’étant sentis écartés de celle-ci, certains journalistes l’avaient beaucoup critiquée.

Notons en outre que des voix s’élèvent pour réclamer un remaniement ministériel, invoquant « l’immobilisme du gouvernement ». Ould Boddé est en poste depuis moins de dix mois. Et déjà, beaucoup de sable est tombé sur le pays, tout comme l’eau manque en de nombreuses localités de l’intérieur. Et l’on a certes l’impression qu’excepté le ministre de la Santé mis à rude épreuve par le COVID 19, alors qu’il s’apprêtait à nettoyer les écuries d’Augias et le ministre de l’Intérieur qui gère une situation difficile, le reste du gouvernement reste inactif. Résultat des courses, nombre de Mauritaniens n’hésitent pas à accuser le président Ghazwani de poursuivre l’œuvre de son prédécesseur. Toujours les mêmes hommes, aussi bien au sein de l’armée qu’au gouvernement, et donc toujours le même  système, disent ses détracteurs.

Le PM était donc – reste… – très attendu sur un nombre croissant de dossiers sensibles, comme la gestion du fonds solidarité COVID, objet de beaucoup d’interrogations. Même si le président de République a laissé entendre qu’aucun manquement ne sera toléré, les Mauritaniens ne cessent de se poser des questions sur la destination réelle des vivres et autres transferts cash. Sur ce point, le Premier ministre s’est contenté tout simplement  d’un satisfecit, allant même jusqu’à se substituer au patron de Taazour pour étaler ses réalisations. Mais des milliers de citoyens, à Nouakchott comme à l’intérieur du pays, se sentent comme laissés pour compte, voyant à la télévision des officiels parler de vivres ou d’argent mais n’en voyant strictement rien venir.

Ould Boddé était aussi attendu sur des questions essentielles comme l’école, l’eau, la commission d’enquête parlementaire, les allègements des mesures liées au couvre-feu et au transport interurbain. Quant au plan politique, aucune ouverture n’a été annoncée à l’endroit de l’opposition. Le Président  campe toujours sur sa position : pas de dialogue en perspective.

En un mot, le PM s’en est plutôt bien sorti. Calme, posé, connaissant bien ses dossiers, il aurait pu mieux faire s’il avait trié sur le volet quelques journalistes de la presse indépendante pour élargir le champ des questions et donner des réponses à certaines questions qui taraudent les mauritaniens, comme la présence inexpliquée dans son équipe d’hommes ouvertement impliqués dans des dossiers sulfureux et dont les noms sont étalés quotidiennement et au grand jour dans la presse.

Dalay Lam