Bavure de Wending : Condamnation unanime et demande d’enquête

1 June, 2020 - 12:44

 

Plusieurs partis politiques et organisations de la société civile réclament l’ouverture d’une enquête indépendante pour faire la lumière sur la mort du charretier Abass Diallo, abattu à bout portant par une unité de l’armée à Wending (M’Bagne). Ce crime suscite l’indignation et la colère des Mauritaniens, dans leur écrasante majorité et diversité. Elle rappelle aussi aux populations de la Vallée la psychose et les graves atteintes aux droits de l'Homme des années de braise (1989/1991).

Première à s’indigner, l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH) relate les faits : « à une distance très réduite, la victime a reçu une balle en pleine poitrine. Abass Diallo était accompagné de son neveu et du commerçant auquel appartiennent les marchandises débarquées d'une pirogue. Il est exclu de parler d'acte isolé ou d'erreur... ». Et de déplorer la « succession d'événements tragiques qui secouent les citoyens depuis la mise en place des mesures restrictives de liberté. […] La fermeture des frontières et le manque d'assistance et de soutien aux populations, dans les zones rurales en particulier, réactivent les gestes de survie qui bravent les interdits. [Mais] en faisant usage des armes, les forces de l'ordre continuent sur une dynamique répressive sans précédent. […] Le déploiement de l'armée rappelle les périodes d'exceptions du régime militaire répressif. […] Il faudra qu'une enquête indépendante soit conduite pour faire la lumière sur les circonstances en lesquelles les armes ont été utilisées contre des citoyens qui ne cherchent qu'à survivre dans cette période d'exception et de restriction de la circulation ».

Rappelons qu’il y a quelques semaines, des jeunes de Wending s’étaient organisés en groupes de veille pour empêcher les manœuvres d'infiltration transfrontalière. Après avoir neutralisé un groupe de trafiquants qui « bénéficiaient de complicités au sein des forces de sécurité », ils avaient dénoncé le « laxisme dans leur lutte contre le trafic illégal transfrontalier ». Interpelés et rudoyés, ils avaient été déférés à Aleg avant d’être libérés. Quelle que soit la réalité de leur dénonciation, on a, de fait, enregistré une intensification du trafic de marchandises entre les deux rives du fleuve depuis la fermeture des frontières.

 

Volonté d’étouffer l’affaire ?

De l’avis de la Coalition Vivre Ensemble (CVE/VR), l’empressement avec lequel l’armée a publié un communiqué qualifiant la victime de « recherché par la justice » – cela suffirait-il à justifier le crime ? – trahit la volonté de l’institution d’étouffer l’affaire. Un avis partagé par l’ancien député Mohamed Moustapha ould Bedredine. « Les arguments publiés par l'armée dans son communiqué, au sujet de ce drame sont peu convaincants », déclare-t-il dans des propos rapportés par le site Essahra. Et d’appeler à « punir le meurtrier, afin de ne pas banaliser la liquidation de citoyens, en particulier de la part de ceux censés protéger leur sécurité. […] Il faut ouvrir de toute urgence une enquête judiciaire, afin de jeter toute la lumière sur les circonstances du meurtre du jeune Abbas Diallo ».

Le communiqué publié vendredi 28 Mai par l’état-major général des armées rapporte la « mort d’un passeur d’infiltrés au Sud de la wilaya du Brakna, involontairement touché par un tir de sommations provenant d’un soldat agissant en état de légitime défense, au cours d’une traque visant à déjouer ne tentative d’infiltration près du village de Wending (M’Bagne) ». Assertion réfutée en bloc par les proches de la victime. Selon eux, le défunt, âgé de 34 ans et père de cinq enfants, était un paisible charretier qui transportait les marchandises d'un commerçant qui l'accompagnait.

Après la première affaire susdite des jeunes téméraires excédés par le trafic contrebandier de marchandises entre les deux rives, cette nouvelle et grave « bavure » en rajoute, s’alarme la CVE/VR, aux « provocations incessantes contre des populations de la vallée, en dépit de nos mises en garde réitérés dès le début de l’état d’urgence sanitaire. Ces [attaques] s’inscrivent dans un cadre plus global d’exclusion croissante de la communauté négro-africaine de la fonction publique et de la haute administration, comme l’attestent les nominations, à caractère raciste assumé, entérinées lors des dernières sessions du Conseil des ministres ». La CVE/VR rappelle dans son communiqué « que l’armée est censée protéger les populations […] pas se comporter en armée d’occupation » et réclame qu’une enquête indépendante soit « immédiatement diligentée pour mettre toute la lumière sur cette tragédie qui a coûté la vie à un citoyen mauritanien ».

Et de rappeler au « gouvernement que l’on ne peut exiger des Mauritaniens de se dresser comme un seul homme pour faire face à la pandémie, alors que l’on continue, dans le même temps, d’humilier, d’exclure et même d’exécuter des mauritaniens considérés comme des citoyens de seconde zone. Si l’on n’y prend garde, une telle situation peut mettre en danger la stabilité de notre pays. »

 

Enquête transparente

Le Rassemblement National pour la Réforme et le Développement (Tawassoul) condamne fermement « cet acte barbare et odieux, qui montre un usage excessif de la force » et exige « l'ouverture immédiate d'une enquête transparente, pour faire toute la lumière sur l'incident », en priant la justice de faire son travail « en toute indépendance ». Dans un communiqué conjoint, le Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD) et l’Union Nationale pour l'Alternance Démocratique (UNAD) abondent en ce sens, exigeant des autorités « l’ouverture, en toute urgence, d’une enquête indépendante et transparente, pour que la vérité sur les circonstances de ce tragique accident soit connue ». Les deux formations appellent également « l’ensemble de nos concitoyens à faire barrage, de manière ferme, à tout ce qui pourrait provoquer la discorde ou alimenter les tensions entre les composantes de notre peuple ».

Dans la foulée, l'Union des Forces de Progrès (UFP) réclame, elle aussi, une enquête indépendante sur les circonstances en lesquelles « un compatriote a été tué ». L’UFP attire l'attention des autorités en ce que « le confinement ou le couvre-feu ne peuvent, en aucune manière, justifier la violation des lois ou de la dignité des citoyens, a fortiori d'attenter à leur vie ». Même son de cloche du côté de SOS Esclaves et de l’AFCF réclamant, chacune de son côté, une enquête rapide et transparentes pour déterminer, en toute indépendance de la justice, les conditions réelles du décès de feu Abass Diallo.

Les Flam, de leur côté, dénoncent ‘’un crime d’Etat qui ne peut en aucun cas être imputé à une communauté en tant que telle’’ et qui ‘’résulte d’une culture de l’impunité érigée en principe.’’

‘’Face à la banalisation du crime, nous en appelons à la conscience des démocrates, en Mauritanie et ailleurs, aux organisations de défense des droits humains et à la communauté internationale pour que toute la lumière soit faite afin que justice soit rendue’’, écrit l’organisation dans un communiqué publié ce lundi 1 er juin.

 

Synthèse Thiam Mamadou