Autour d’un thé : Bosses

28 May, 2020 - 16:20

En réalité à quelque chose malheur est bon. Quoiqu’on dise, il y a toujours un bon côté en toute situation. Nous voilà donc déjà avec deux bons ; autrement dit, bonbon. C’est bon. Mais personne ne peut dire que Corona c’est bon ! Ce qui n’est pas bon n’est pas bon, tout simplement. Cela dit, Corona a quand même permis d’établir beaucoup de choses chez les Mauritaniens, toutes tendances et autres confondues. Ils sont, par exemple, tout-à-fait capables d’ « attraper leurs pieds ». Et cela me donne même envie de souhaiter, au risque de paraître rétif ou méchant, qu’une fois Corona parti, survienne une autre petite pandémie. Qu’un autre tout petit virus nous apprenne que les Mauritaniens peuvent aussi « attraper leurs mains ». Ainsi femmes, budgets et financements de projets auront la paix. Car il paraît que des femmes prient nuit et jour, lisent le Coran, jeûnent à tout va, font beaucoup d’aumônes, assistent les orphelins et les pauvres ; pour que Corona prenne la nationalité mauritaniene et construise une grosse villa en plein centre-ville et même en tous les carrefours et gazras de Nouakchott. Comme ça, les hommes attraperont définitivement leurs pieds. C’est si bon de rester à la maison ! Complètement confiné. Occasion d’enfin connaître le nom de sa femme et de ses enfants, voir comment les choses se passent au quotidien. Car il y en a qui ne sont jamais que dans la rue, le bureau, la gazra. Qui n’a jamais vu le film « Comment claquer dix millions en vingt-quatre heures » ne doit pas rater celui « Comment claquer six milliards en quelques jours » ! Encore une autre utilité de Corona : les dépenses en système rapide. Ça va vite. Ça roule. Ça casque, ça casse : masques, gels hydro-alcooliques, gants, huile, riz, sucre, savons, diverses eaux de Javel, lavabos et accessoires dans tous les établissements publics. Mouchoirs jetables, vitamines CAC1000 Sandoz, blouses, chaussures de sécurité, huiles d’olive, arachide, toogga et autres carburant des ambulances. Ce n’est pas rien, tout ça. Et celui qui n’est pas dans la bataille est un héros. Autre leçon du Corona : les Mauritaniens sont des froussards crevant de trouille à l’idée de mourir. À défaut de tous, du moins la grosse partie. Leur islam et leur foi ne dépassent pas leur bouche. Or mourir, c’est mourir. Du Corona ou de rien, c’est toujours mourir. Alors, l’affolement et la confusion n’y peuvent mais. Chaque jour, une histoire : tantôt que nous sommes des musulmans et que ça n’arrive qu’aux autres ; tantôt que le ministère de la Santé gonfle les chiffres pour atteindre au prétendu plancher de mille cas qu’aurait décrété l’OMS à l’éligibilité de ses aides ; tantôt qu’il y aurait discrimination dans l’application des mesures-barrières, surtout celles relatives à la circulation entre les wilayas : un tel serait passé avec son cortège, un autre arrêté avec sa charrette ; tantôt que les confinés sont très à l’aise – Parole de ma grand-mère ! – tantôt qu’ils sont très mal à l’aise... –  « Sur la tête de mon père et par le cordon ombilical de ma mère ! », m’a dit l’ami du frère de la sœur de ma petite cousine dont le frère du mari est confiné depuis trois jours. Tantôt que le Président aurait dit ceci ou cela, via des enregistrements aussitôt formellement démentis. Tantôt que le mûfti général du pays aurait déclaré que nous avons « mangé » un jour du Ramadan dont la fin n’était pas samedi mais dimanche. Nouveau démenti cinglant du mûfti malheureusement malade depuis quelques semaines. Autrefois, les contes populaires de chez nous rapportaient, pour décourager les menteurs, qu’à force de mentir on risque de se voir pousser une bosse, tout comme, ailleurs, le nez de Pinocchio. Alors attention, « honorables » menteurs des réseaux sociaux, TV, radios publiques et privées, journaux des plates-formes de groupes whatsapp et autres, à ne pas vous faire pousser des bosses qui vous trahiraient… Salut !

Sneiba El Kory