Crise sanitaire : Impact économique et social, et principales leçons /Par Mohamed Ould Nany, ancien ministre

15 May, 2020 - 13:25

Le monde fait face depuis près de deux mois à une crise sanitaire inédite dont l’ampleur dépasse celle des  épidémies enregistrées au cours  des périodes récentes de l’histoire contemporaine.

Même si le taux de mortalité est assez limité (7,1%)  suivant les statistiques de l’OMS à la date du 13 mai 2020 et que les guérisons sont en constante progression  ( près de 36% de taux de guérison),  c’est surtout  la rapidité de l’expansion, son ampleur (tous les  pays sont aujourd’hui concernés) et l’absence de traitement avéré qui créent un climat de détresse et d’impuissance dont les incidences  sont entrain de bouleverser durablement les modes de  vie  des populations et de mettre à rude épreuve les systèmes sanitaires, de protection sociale  et le tissu économique dans l’ensemble  des pays  de la planète.

A la différence la crise financière de 2008-2009, la crise actuelle est une crise de l’économie réelle où tous les secteurs productifs sont affectés à des degrés divers.

Outre les impacts négatifs sur l’emploi, la crise sanitaire actuelle devrait se traduire par un recul marqué de l’activité économique et une contraction importante de la croissance au niveau de la majorité des pays riches (Europe, Etats Unis, Asie), des pays émergents et ceux en développement.

C’est ainsi que la production mondiale devrait chuter de 3% en 2020; les pays avancés devraient voir leur croissance économique reculer fortement à -6,1%, les USA, la zone Euro et le Japon se situant respectivement à -5,9%, -7,5% et- 5,2%.

La Chine, longtemps considérée comme la locomotive de la croissance mondiale, verrait son PIB augmenter de seulement 1,2% en 2020 contre 6,1% en 2019 tandis que dans notre région, l’Afrique subsaharienne enregistrerait une contraction de son PIB de 1,6% (+3,1% en 2019) pour la 1ère fois depuis un quart de siècle.

L’Afrique reste relativement épargnée par la pandémie avec 69947cas recensés et 2410 décès au 13 mai 2020, ce qui représente respectivement 1,5% et 0,7% de l’ensemble des cas d’infection confirmés et des décès au niveau mondial.

La capacité des pays à faire face aux conséquences économiques et sociales de la crise dépend bien entendu de leur  niveau de ressources, de la facilité d’accès aux marchés financiers et de la pertinence  des instruments de politique économique –budgétaire et monétaire – à leur disposition.

 

Déficits qui se creusent

On peut constater d’ores et déjà  une tendance croissante des pays nantis à s’affranchir des règles d’orthodoxie budgétaire limitant le déficit budgétaire à un pourcentage de leur richesse nationale ; entre le creusement des déficits et l’effondrement  de leurs appareils productifs et de leur  régime de sécurité sociale, les pays- qui le peuvent -ont opté pour le creusement des déficits.

C’est ainsi que les pays comme les Etats Unis et l’Allemagne ont annoncé des plans d’intervention sans précédent de 2000 milliards $ US et 1100 milliards Euros respectivement.

D’autres pays, en Europe, en Asie et en Afrique notamment, ont mis en place des programmes d’atténuation et de gestion des impacts de la pandémie.

Seule note positive au milieu de cette avalanche de mauvaises nouvelles, le recul de la pollution et de l’émission des gaz à effet de serre et la reconstitution de la couche d’ozone, ce qui pourrait offrir une excellente opportunité pour reconsidérer les modèles de consommation et de production qui ont été à l’origine de destructions massives d’écosystèmes et de perturbations des équilibres naturels fragiles, poussant la dette écologique contractée par les habitants de la planète à des niveaux insoutenables.

Dans le cas de la Mauritanie, le pays a mis en place un plan de riposte axé sur :

* la mobilisation des ressources pour endiguer la propagation de la pandémie ;

* La mise en place de filets de sécurité sociale pour les  couches les plus fragiles de la population ;

* La garantie de la continuité des services essentiels et de l’approvisionnement en produits de base ;

* La préservation du tissu économique et le soutien aux secteurs directement affectés par la crise.

Malgré les mesures d'atténuation, la croissance économique du pays devrait  diminuer fortement, passant de 5,9% en 2019 à environ -2% en 2020, contre une prévision initiale de 6,3%.

Le déficit budgétaire devrait se détériorer suite au recul de la demande intérieure, à l’augmentation des dépenses sociales, à la baisse des importations, des exportations et aux difficultés de recouvrement des impôts du fait de la détérioration de la situation financière des principaux contribuables. Les marges de manœuvre budgétaires seront par conséquent extrêmement limitées.

S’il est encore prématuré de définir les contours de l’après pandémie, lesquels dépendent de la durée  de celle-ci et de la sévérité de ses incidences, il est possible cependant d’en identifier les conséquences, dont les principales concernent :

* Les pertes d’emplois massives (l’OIT estime à près de deux cents millions le nombre de personnes qui pourraient perdre leurs emplois) conduisant à une aggravation de la pauvreté et des conditions de vie ;

* La fragilisation des pays dont la structure économique dépend de l’exploitation et de l’exportation du pétrole ou de produits de base  dont les prix  devraient rester orientés à la baisse pendant une assez longue période en particulier pour le pétrole ;

* La même remarque vaut pour les pays où le tourisme de masse et les transferts des nationaux résidant à l’étranger constituent une source de création d’emplois et de génération de revenus importante ;

* La modification des habitudes de consommation, des modes de production et des modèles d’affaires (business-plans), ce qui conduirait à des restructurations sectorielles et à des mobilités d’emplois importantes.

Au plan des relations géostratégiques internationales, celles-ci seront marquées par :

*  l’intensification de la lutte pour le leadership mondial entre les Etats Unis d’Amérique  et la Chine, leadership dont la détermination prendra sans doute en compte, entre autres éléments, les résultats enregistrés dans le domaine de la gestion de la pandémie et la volonté d’ honorer le devoir de solidarité à l’égard des autres pays affectés et notamment les moins nantis d’entre eux ;

* Le recul de la mondialisation, du multilatéralisme et la résurgence et la consolidation des Etats-nations ;

* Le creusement de l’écart de niveaux de vie entre les pays nantis du Nord et ceux en voie de développement du Sud.

 

PTF mis à contribution

La crise sanitaire actuelle a révélé un grand degré d’impréparation de la Communauté Internationale et l’étendue des dysfonctionnements qui entravent sa capacité à répondre aux défis multiformes qu’elle serait amenée à affronter.

Les systèmes sanitaires ont été débordés, notamment dans les pays nantis, les activités économiques paralysées et les replis à l’intérieur des frontières nationales érigés en règle.

Pour revenir au cas de la Mauritanie, la gestion de la crise sanitaire comprendra deux phases principales, une phase d’endiguement et de stabilisation et une phase de relance. Nous sommes aujourd’hui au cœur de la première phase au cours de laquelle les actions engagées doivent viser à circonscrire la progression de la pandémie, à améliorer l’appui aux segments de la population les plus démunis et à préserver les outils de production et à sauvegarder les emplois en vue de faciliter le redémarrage, une fois la crise sanitaire enrayée.

La phase de relance, dont les contours ne seront connus avec précision qu’à l’issue de la première phase, sera progressive et impliquera des ressources financières substantielles dont la mobilisation demandera l’appui de l’ensemble des partenaires techniques et financiers du pays. Cette caractéristique étant commune à beaucoup de pays sur le continent africain, la coordination est plus que jamais nécessaire ; un sommet virtuel extraordinaire des dirigeants du continent devrait être envisagé pour sensibiliser la communauté internationale sur les multiples défis liés à la gestion de la pandémie.

Au titre des leçons qu’inspire la pandémie pour ce qui est de la Mauritanie, citons la place centrale que doit occuper le système de santé et l’importance de la sécurité alimentaire et des mécanismes d’assistance au profit des populations les plus fragiles.

La priorité accordée au système national de santé doit se concrétiser par des dotations appropriées en ressources humaines et financières pour lui permettre de s’acquitter de sa mission, mission dont l’importance a été illustrée lors de la crise sanitaire actuelle. La société est redevable à l’administration et au personnel médical pour les résultats enregistrés dans la lutte contre la pandémie.

Cette appréciation doit cependant être relativisée, compte tenu des circonstances du décès du 9ième cas, paix à son âme et dont le dépistage n’est intervenu qu’à la dernière minute après que la maladie ait atteint un stade irréversible, suivant le récit de sa fille qui affirme par ailleurs qu’il avait consulté plusieurs médecins quelques jours avant son décès.

Ces circonstances rappellent à beaucoup d’égards celles du premier décès enregistré qui était en confinement sanitaire à Nouakchott dont l’infection par le virus n’a été diagnostiquée qu’à sa mort, bien que la dame concernée, paix à son âme, ait reçu la veille la visite d’un médecin chargé de la surveillance des personnes retenues dans les centres de confinement sous la supervision du ministère de la Santé.

Nul doute que le ministre de la Santé, dont le patriotisme et le professionnalisme sont reconnus, prendra les mesures appropriées pour corriger ces dysfonctionnements et éviter que le point de rupture du dispositif mis en place pour la gestion de la pandémie ne soit atteint, ce qui la rendrait incontrôlable et aurait des conséquences dramatiques pour le pays. Qu’Allah nous en garde.

 S’agissant de la sécurité alimentaire, objectif affiché par tous les gouvernements depuis de très nombreuses années, son importance n’est plus à démontrer ; cette importance doit être traduite dans une loi de programmation pour l’autosuffisance et la sécurité alimentaires qui les érige au rang de priorité des politiques publiques, en définit les produits ciblés, l’horizon (2030-2035), les objectifs, détermine les ressources à mettre en œuvre et les modalités et les instances de suivi au sein desquelles la représentation nationale (parlement) doit avoir un rôle primordial.

                                                                                Nouakchott, le 15 mai 2020