Nouvelles d’ailleurs : Nous...

20 November, 2014 - 01:35

Pourquoi portons-nous ce regard d'amour/haine sur nous-mêmes et notre pays ? Comme si nous étions porteurs, chacun d'entre nous, d'une « Vérité » qui se voudrait unique et exclusive. Comme si nous ne percevions notre présent et notre futur qu'en les mélangeant à nos propres fractures et histoires personnelles. Il n'y a pas une Mauritanie mais des milliers de Mauritanie. Chaque citoyen de ce pays transporte avec lui sa Mauritanie intime, la vision qu'il en a, le ressenti de son existence, dans ce conglomérat de groupes ethniques qui se supportent sans se mélanger.

Le mythe d'une Mauritanie Une et Indivisible a vécu, si tant est qu'il n’ait jamais eu une existence réelle, en dehors des discours politiques. Nous sommes un petit pays, arrimé entre désert et mer, entre désert et Fleuve. Entre Maghreb et Afrique noire, entre mondialisation et traditions, entre aspirations légitimes à l'ouverture au monde et ancrage dans des manières de vivre et de penser le monde en termes rigides, mix de carcans sociologiques, tentatives de s'arrimer dans des milieux hostiles et de se donner une «légitimité » sociale où l'on est, soit forts et « nobles », soit faibles et dominés.

L'arrivée des Béni Hassan dans nos contrées a lancé la course à la « noblesse » et à qui serait meilleur musulman, meilleur arabe, meilleur guerrier, meilleur marabout. Le boum des généalogies des 15ème  et 16ème siècles perdure aujourd'hui. Cela fait six cents ans que nous évoluons dans une société qui s'est fortement castée, qui a projeté ses peurs et sa survie en érigeant des « histoires » devenues pensum officiels, chaque groupe, chaque tribu, chaque caste peaufinant l'illusion de s'être donné des racines, là où les racines ancestrales avaient été laminées par l'arrivée des Hassan et, avant eux, l'Islam.

Comme si nous n'étions pas, bien avant l'Islam et les Hassan. Comme s’il existait un trou noir, dont chacun garderait une mémoire inconsciente, un avant d'« obscurité » et de quasi-sauvagerie. La Mauritanie que nous connaissons aujourd'hui n'est pas née en 1960. Elle est née au 15ème siècle. Tout ce qui se passe chez nous actuellement plonge ses racines là-bas. Nous n'avons fait que saupoudrer des idéaux européens de démocratie, de manières autres de vivre, sur nos idéaux archaïques. Nous étions sociétés féodales, nous sommes sociétés féodales.

Et ces féodalités-là n'ont pas de couleur de peau. A chaque féodalité répond une féodalité. Chaque féodalité regarde l'autre en chien de faïence. Chacune a construit son monde et les frontières qui vont avec, les frontières étant l'Autre, toléré mais jamais entièrement admis. Chaque groupe, chez nous, transporte son « limes » (la frontière, selon les Romains de la Rome Antique), persuadé qu'il est d'appartenir au meilleur groupe, d'être meilleur musulman, d'être meilleur en tout.

On se marie entre féodaux, on vit entre féodaux. A chaque enfant qui naît, on apprend patiemment sa place dans ce millefeuille de féodalités. D'être humain, d'homme en devenir, il devient le porte-parole de la transmission des codes féodaux. Malheur aux « basses castes »... Malheur à ceux qui n'ont pas su, ou pu, imposer, au monde, une force sociale de combat. Ils errent dans des strates appelées, pudiquement, forgerons, griots, esclaves, haratines, tributaires, etc. Malheur aux vaincus, dans la course à la survie...

Et nous voilà catapultés dans le monde moderne, dans ce monde façonné par l'Occident, lui qui a su imposer sa vision des choses et de la gouvernance. Et si cet Occident-là gagne, c'est parce que c'est, pour le moment, la seule chose qui soit acceptable, en termes de gouvernance. Ceci explique notre attirance pour les idéaux européens mais, aussi, notre répulsion car nous sentons bien que nos certitudes vacillent, que nos mondes, si familiers dans leurs inégalités, leur orgueil, leur arrogance, sont en train d'imploser, sans que nous n'ayons quelque chose à proposer en échange.

Nous sommes les champions du paradoxe : nous pensons « occidentaux » et nous épousons notre cousine. Nous rêvons démocratie et nous perpétuons, dans le doute, le système traditionnel féodal de la tribu. Nous nous rêvons hommes nouveaux, nous ne sommes qu'hommes anciens, archaïques. Nous nous rêvons universels, nous nous nous levons, tous les matins, communautaires...

Aucun de nos gouvernements successifs, ersatz de régimes démocratiques, n'a su susciter le sentiment d'appartenance à une Nation. Chacun a tenté de réécrire l'Histoire, surfant sur les impératifs politiques du moment, cédant aux pressions de tel ou tel lobby, faisant le grand écart entre les aides financières venues de tel ou tel pays, aides accompagnées d'« obligations »... Mais à force de réécrire l'Histoire à la seule lumière de la politique politicienne, nous n'avons fait que massacrer, un peu plus, nos chances de devenir pays neuf...

Le constat est amer pour qui aime profondément notre pays : nous sommes un pays raciste où le racisme n'a pas de couleur. Nous sommes un pays où les gens luttent pour la survie quotidienne. Nous sommes un pays sans système éducatif, sans réel système de santé, sans protection sociale digne de ce nom. Nous sommes un pays où les biens mal acquis ont dessiné des villes hideuses et plombé le système économique. Nous sommes un pays où nous avons pensé qu'offrir le pouvoir aux militaires serait gage de sécurité, de cocon protecteur, pâle imitation des chefferies traditionnelles qui protégeaient tout le monde mais ne souffraient aucune contestation. Le mythe du chef bienveillant mais à la main de fer...

Nous n'avons rien offert au Monde mais nous croyons être le Monde. Combien sommes-nous à aimer vraiment la Mauritanie, à en avoir une vision non extrême ? Nous devons repenser notre pays, réinventer une nouvelle indépendance, accepter que nous nous sommes trompés, encouragés par les différentes politiques. Nous devons briser les carcans sociologiques, les tribus, les féodalités. Nous avions une occasion d'offrir, enfin, quelque chose au Monde : un monde neuf, renouvelé, non momifié et englué dans ses contradictions.

Je m'appelle Mariem mint Derwich. Je n'appartiens à aucune tribu, je ne représente que moi. Je suis femme de ce pays, non pas au nom d'une histoire traditionnelle, mais parce que j'ai choisi ce pays. Je suis une simple citoyenne et ce pays m'est cher. Je suis moi, tout simplement. Pas la somme de féodalités. Si tout le monde pouvait penser ainsi, nous aurions, enfin, fait le premier pas...Celui vers une libération des esprits. Salut,

 

Mariem mint Derwich