Unité nationale : Pourquoi ne pas en parler ?

19 March, 2020 - 00:31

La question de l’unité nationale et de la cohabitation des différentes composantes sociales du pays ne cesse d’alimenter les débats depuis plusieurs années. Les partis politiques de l’opposition, les syndicats et la Société civile n’arrêtent pas d’en parler. Même les pouvoirs qui se sont succédé en ont discuté via séminaires, colloques, débats à la télévision et à la radio. La question n’en demeure pas moins pendante et  d’actualité. Parce que chacun en parle de son côté, presque jamais en écoutant l’Autre ni de manière dépassionnée. Pour certains, il n’y a pas de problème : les différentes composantes nationales vivent ensemble, soudées qu’elles sont par l’islam. Pour d’autres, les Mauritaniens ne vivent que côte-à-côte ou dos-à-dos. Et de citer nombre de  quartiers et autre composition de certains partis politiques. Voilà donc deux positions presque tranchées entre mauritaniens. Que faire pour contrer cette méfiance ? Continuer à nier l’évidence en refusant d’en parler ?

 

Les écueils

Jusqu’aux années quatre-vingt, la question nationale fut gérée bon an mal an. Elle se jouait essentiellement sur le terrain de l’éducation, avec en ligne de mire l’arabisation de son système. L’aspect politique ne viendra qu’attiser la tension entre les différents ethnicismes, avec en filigrane, une problématique statutaire plus générale. Les Négro-africains d’abord, les Harratines ensuite se mettent à accuser la composante arabo-bergère de marginalisation puis d’exclusion. Le « Manifeste du Négro-mauritanien opprimé » est publié en 1986. Dénonçant la marginalisation dont se sentent victimes les Négro-africains, il est suivi par une tentative avortée de coup d’État en 1987, un épisode sur laquelle les historiens ont encore à travailler. Ce fut en tout cas la goutte d’eau qui fit déborder le vase  Avec un point culminant en 1989, occasion rêvée des extrémistes arabes pour faire déporter, par le pouvoir d’Ould Taya, des milliers de négro-mauritaniens vers le Sénégal et le Mali. Certains y demeurent encore aujourd’hui.

Dans la foulée et toujours sous le régime d’Ould Taya, des centaines de militaires négro-mauritaniens sont exécutés dans les casernes par leurs frères d’armes maures blancs et haratines, d’autres radiés de l’armée. Depuis, nombre de négro-africains se considèrent en résidents de seconde zone. Leur marginalisation atteint son paroxysme sous le règne d’Ould Abdel Aziz. Un lot qu’ils partagent avec les Haratines, victimes pour leur part de l’esclavage et de ses séquelles. La dimension raciale dépasse maintenant les questions ethnique et statutaire, c’est toute la composante noire du pays qui se sent aujourd’hui exclue des hautes sphères du pouvoir, de  l’administration,  de l’économie et surtout des forces armées et de défense du pays qui contrôlent, depuis 1978, l’essentiel du pouvoir en Mauritanie.

 

Réclamer justice

Après la chute d’Ould Taya, la Mauritanie aurait pourtant pu éponger ce lourd passif. Les journées de concertations organisées dans la foulée auraient pu servir de catharsis mais le colonel Ely ould Mohamed Vall en charge de présider la junte militaire (CMJD) exécutrice du coup d’État argua de l’incompétence légale de la Transition pour refuser de débattre de la question nationale, la renvoyant à l’examen d’un régime démocratiquement élu. Ainsi porté au pouvoir par les urnes en 2007, Sidi ould Cheikh Abdallahi ouvre une brèche, en poussant Messaoud ould Boulkheir à la tête de l’Assemblée nationale et en nommant Yall Zakaria à celle du ministère de l’Intérieur, une faveur très mal appréciée par certains extrémistes, surtout quand celui-ci s’engage témérairement à briser les quotas, lors d’un mouvement de l’administration territoriale. Puis Sidioca tend la main à divers mauritaniens de la Diaspora contraints à l’exil depuis des décennies et décide de rapatrier les déportés du Sénégal et du Mali. Une résolution  qui lui coûtera son poste. Sous Ould Abdel Aziz, les Harratines et les Négro-africains dénoncent à nouveau leur exclusion et leur marginalisation, tandis que d’autres continuent imperturbablement à chanter l’unité nationale. Ould Abdel Aziz organise « La Journée de réconciliation », le 25 Mars 2009, à Kaédi, avec une très médiatisée prière aux morts. Il reconnaît la responsabilité de l’État dans les décès des militaires négro-africains et les exactions à l’encontre de leur communauté mais refuse de considérer en un tout indissociable les quatre revendications des veuves et rescapés militaires, à savoir les devoirs de vérité, mémoire, justice et réparation. Il  octroiera quelques sommes et terrains aux intéressés, avant de clore définitivement le dossier du passif humanitaire dont  la gestion fut cependant à ce point équivoque qu’il a fini par diviser les intéressés réunis dans le collectif des rescapés militaires (COVIRE) et celui des veuves.

Côté Haratines, la parution du « Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Harratines » relance le Mouvement El  Hor dans sa dénonciation de leur marginalisation. A l’occasion de la célébration de son 42ème anniversaire et après avoir déclaré que les Harratines sont le symbole de la  résistance contre la colonisation, son président Samory ould Bèye réclame la refondation de la Mauritanie  sur des bases de justice et d’égalité. 

 

Biram en a-t-il rajouté une couche ?

Dans une récente sortie médiatique, Biram ould Dah, président d’IRA-Mauritanie et également député à l’Assemblée nationale, évoque « l’apartheid » imposé à la Mauritanie par les pouvoirs successifs. Les réactions des uns et des autres prouvent combien la question de l’unité nationale reste d’une brûlante actualité. Pourtant ce n’est pas la première fois que le terme est utilisé pour désigner la situation mauritanienne. Biram et tous les leaders des partis politiques à  leadership négro-africain n’ont jamais cessé de fustiger le racisme d’État en Mauritanie. Mais prononcé à Genève, le vocable gêne, à l’heure où le nouveau président Ghazwani cherche ses marques au plan international, après s’être engagé, dans son discours de candidature du 1er Mars,  à redresser toutes les formes d’injustice. Un objectif qui ne peut être atteint sans un véritable débat national inclusif au cours duquel  tous les Mauritaniens puissent laver le linge sale en famille. À en croire certains responsables de l’UPR, la détermination du président Ghazwani ne fait l’ombre d’aucun doute. Mais la question est de savoir comment va-t-il s’y prendre et s’il pourra s’affranchir des pesanteurs et résistances extrémistes, obstinées, depuis des années, à nier l’exclusion et les injustices en Mauritanie. Des rescapés des années sombres, divers acteurs politiques et plusieurs ONG de défense des droits de l’homme ne cessent de l’évoquer. Biram Dah Abeid a certes  élevé la barre mais  son propos ne doit pas servir à cacher la forêt, à permettre la poursuite de la politique de  l’autruche. Et si cet homme politique a failli ou enfreint la règle, que la justice s’en saisisse, il s’expliquera. Les pouvoirs publics mauritaniens doivent accepter de se regarder dans la glace et s’attaquer aux maux dont souffrent trop de mauritaniens. Il ne sert à rien de nier les évidences : l’injustice et l’exclusion  sont vivaces et visibles. Et  le meilleur moyen d’extirper la méfiance, de se  débarrasser enfin de ces injustices est d’en parler franchement. Sans passion !

DL