Mohamed Sid El Mahjoubi, la trentaine révolue – il a exactement trente-deux ans – ne sait véritablement pas par où commencer à relater sa dramatique histoire. Né, selon sa déclaration, en 1987 à Médine d’Arabie saoudite, il perd très tôt son père. C’est avec sa mère et sa tante qu’il grandit, pratiquement sans grands problèmes, malgré la modestie des revenus dont sa famille dispose. Comme ses deux parentes, il exerce toutes sortes de petits métiers, participant aux charges que leur impose la rigueur de la vie dans un domicile heureusement prêté par un bienfaiteur. Le décès de sa mère, alors qu’il n’est âgé que de dix-neuf ans, puis celui de sa sœur, victime d’une césarienne mal maîtrisée, l’affectent profondément. Dépourvu de la nationalité saoudienne, il essaie de se faire alors adopter, par filiation, par un homme qui lui soustrait quasiment toutes les économies familiales – quelque trente mille riyals – avant de le « vendre » aux autorités qui lui font subir toutes sortes de mauvais traitements. Et Mohamed d’évoquer son viol, dans une clinique de Médine où il avait été admis, suite à un grave traumatisme, consécutif à des tortures physiques et mentales subies, des mois durant, en divers commissariats de police. Puis le voilà expédié, sans autre forme de procès, en Mauritanie.
Complètement déconnecté, il tente d’y retrouver quelque parent. Se sachant originaire de Kiffa, il s’y rend en espoir d’un soutien. Il y rencontre, nous dit-il, de lointains cousins de son père qui ne lui sont, finalement, d’aucun secours, notamment dans l’obtention « plus que fastidieuse » d’un état-civil mauritanien. Fréquentant régulièrement les mahadras et prêcheur en diverses mosquées, El Mahjoubi se retrouve suivi par les services de sécurité. Cherchant à se faire remarquer, il organise un sit-in sous une tente, devant l’ambassade du Mali, mais la police l’arrête, suite à un prêche dans une mosquée où il s’en prenait, sans ménagement, au royaume saoudien. Il est placé plusieurs jours en garde-à-vue, au commissariat 1. Le temps qu’un cousin lui confectionne un dossier médical qui l’expédie à l’hôpital psychiatrique de Sebkha. Après plusieurs tentatives d’en fuir, il est libéré, quelques semaines plus tard.
Puis El Mahjoubi participe, en vain, au concours de recrutement des agents de police d’Aleg et décide, en suivant, de retourner à Nouakchott à pied, en véritable aventurier. Ce n’est qu’au bout de sept jours de marche qu’il y arrive, après avoir organisé nombre de prêches dans les mosquées sur sa route. Découragé de ne recevoir aucune réponse favorable des agences des Nations Unies qu’il prétend avoir contactées, par correspondance, en les priant de l’aider à retourner en Arabie saoudite, Mohamed se rend à l’ambassade de France dont il franchit le mur à l’insu des services sécuritaires. Grosse panique en la représentation diplomatique. Maitrisé par les gendarmes français, il est remis aux agents du commissariat 1 de Nouakchott où il séjourne, à nouveau, dix-sept jours durant. Et le voilà accusé de terrorisme par les autorités mauritaniennes.
Véritable sans famille, El Mahjoubi vit actuellement avec un ami, à Dar Naïm, en attendant, dit-il, que sa situation se règle et qu’il puisse, enfin, retourner vivre en Arabie saoudite, avec l’espoir, à plus de trente ans, d’en obtenir la nationalité. En telle expectative, il raconte, à qui veut bien l’écouter, les séquences incohérentes d’une histoire complètement alambiquée par une dépression grandissante, frôlant un désespoir aux conséquences imprévisibles. Mohamed Sid El Mahjoubi d’origine mauritanienne mais né en Arabie Saoudite ne sait « plus à quel saint se vouer », comme il dit, coincé entre deux incertitudes : « parvenir à vivre avec des cousins qui n’ont, jusque-là, rien fait pour moi ou à retourner au royaume saoudien où sont morts mon père, ma mère et ma sœur, dans la souffrance et le dénuement ».