Monsieur Yahya ould Ahmed El Waghf, président du parti ADIL : ‘’Une grande partie de l’opposition n’a pas pris conscience de l’inéluctabilité de l’alternance, elle n’y croyait pas’’

28 March, 2019 - 01:03

Le Calame : L’AEOD n’a pas réussi à s’entendre sur une candidature unique. Comprenez-vous la déception de  vos militants et sympathisants ?

Yahya Ould Ahmed El Waghf: Que les militants de l’opposition, à l’instar, d’ailleurs, de tous les Mauritaniens, puissent être déçus de cette situation, j’en suis tout-à-fait conscient mais il faut bien comprendre que celle-ci découle d’au moins trois facteurs objectifs. D’abord, une grande partie de l’opposition n’a pas pris conscience de l’inéluctabilité de l’alternance, elle n’y croyait pas. Secondement, le spectre politique était, il faut le souligner, très large et ne facilitait pas le consensus. Troisièmement, la recherche d’un candidat unique nécessitait, en amont, un travail en profondeur sur un programme commun, c’était toute une pluralité d’acteurs qu’il fallait rassurer, avec des objectifs clairs et bien définis. Voici deux ans, j’avais moi-même, personnellement, proposé qu’on s’y attelle. Cela n’a malheureusement pas été entrepris, nous avons perdu trop de temps et la méfiance s’est installée, en l’absence de programme commun de gouvernance. Très grande déception, donc, mais il faut la nuancer. En Mauritanie comme ailleurs, les partis politiques ne sont pas faits pour se regrouper mais pour conquérir le pouvoir, chacun, avec sa propre vision et son programme. Dans cette situation, on a cherché à regrouper ce qu’on pouvait regrouper, nous n’y sommes pas arrivés mais ce n’est pas la fin du monde.

 

Allons plus loin, si vous le voulez bien, dans l’analyse des causes de cet échec. Votre seul point commun ne serait-il que l’opposition au régime en place ? Ou serait-ce que l’opposition ne dispose, en son sein, d’aucun homme de consensus, capable d’assumer la charge de président de la République ? Ou, encore, que  vous y êtes pris trop tard ?

-Ma vision personnelle est assez particulière. On n’a jamais mis en place, en ce pays, un système politique, structuré et pérenne, seulement des hommes pour diriger. En l’absence d’un système politique à critiquer, l’opposition ne peut que se focaliser, malheureusement, sur l’homme. D’autant plus qu’en Mauritanie, la présidence de la République cumule tous les pouvoirs et que, de surcroît, son locataire actuel est un homme éminemment centralisateur, tout  se concentre autour de sa personne. Il répond du bien et du mauvais fonctionnement du pays. Et donc, l’opposition lutte, en grande partie, non pas contre un système, mais contre un style lié à un homme.  C’est un élément très important pour comprendre notre situation. Elle n’est pas nouvelle. Rappelez-vous l’opposition au temps d’Ould Taya, c’était exactement la même chose. Les gens disaient s’opposer au régime mais celui-ci était entièrement incarné par une personne et son style. Le régime, c’était Ould Taya et vice-versa .La dimension personnelle est, encore à ce jour, démesurément décisive, dans le positionnement politique.

 

Après cet échec, votre parti a décidé de  soutenir le candidat du pouvoir, Ould Ghazwani. Comment justifiez-vous cette décision ? ADIL a-t-il définitivement rompu les amarres avec l’opposition (AEOD et FNDU) ?

- Dès le début des discussions, quand le nom de Ghazwani fut avancé comme candidat potentiel à la présidentielle, nous avons reconnu, avec certains leaders de l’opposition, que l’objectif primordial de la prochaine présidentielle, c’était l’alternance : il faut qu’elle se réalise et bien l’ancrer. Il nous est alors apparu qu’Ould Ghazwani pourrait être en mesure, pour de multiples raisons, de l’assurer. En sécurisant, tout d’abord, ce qu’il ya de pouvoir, aujourd’hui, en Mauritanie. Connaissant bien l’homme et son ouverture, beaucoup d’entre nous entrevoyaient l’espoir de son exercice apaisé du pouvoir. Aussi avons-nous défendu l’utilité d’ouvrir un dialogue avec lui, en vue d’obtenir un accord susceptible de stabiliser cette alternance, avant d’aller plus loin. Mais nous n’avons pu obtenir un consensus sur cette question. Aussi nous sommes-nous lancés à la recherche d’un candidat commun interne à l’opposition. La position d’ADIL était très claire là-dessus :si l’entente sur un tel candidat parvenait à se faire, nous allions y adhérer et nous battre pour sa victoire, tout en sachant que les conditions ne sont pas encore réunies en faveur de l’opposition. Nous en avons discuté avec nos amis et avons tous buté sur une divergence fondamentale qui s’est malheureusement révélée irréductible : les uns défendant, comme nous, l’idée d’un candidat interne à l’opposition, les autres celle d’un candidat externe. A ADIL, nous considérions qu’un candidat externe à l’opposition ne pouvait en incarner ni le discours ni le changement auquel elle aspire.

Pourquoi, me direz-vous, soutenir, maintenant, un tel candidat ? Notre parti a jugé n’avoir le choix qu’entre trois : Ghazwazni, Biram, Bettah et Boubacar. Nous avons alors pensé que Ghazwani avait  plus de chance de stabiliser l’alternance, compte-tenu, comme je l’ai souligné  tantôt, qu’en l’état actuel de nos institutions, 80 à 90% du fonctionnement de l’Etat est primé par le style de l’homme. Nous avons donc misé sur le style de l’homme –le changement, pas la rupture –avec le légitime espoir de changements dans le sens que nous souhaitons pour la Mauritanie. Voilà pourquoi nous avons apporté notre soutien  au  candidat Ghazwani.

 

Avez-vous discuté avec lui ? Le cas échéant, vous a-t-il assuré des changements que vous attendez, à défaut de les obtenir avec l’opposition ?

- Notre idée d’entrer en contact avec lui est antérieure à sa déclaration de candidature. Nous avons écouté son discours et y avons trouvé les grandes lignes d’une approche équilibrée, la meilleure, selon nous : celle de l’ouverture sans rupture. Il a parlé de la justice, de la réparation, de la discrimination positive, de l’éducation ; il a parlé d’une économie productive : grandes lignes d’un programme dont nous allons, maintenant, participer à l’élaboration des détails, en nous attelant à y intégrer les idées que nous estimons spécifiquement nôtres.

 

Avec ce soutien, ADIL a-t-il tourné ou non, la page avec  l’opposition?

-ADIL continue dans l’opposition. Si l’on s’oppose, c’est à un gouvernement, nous avons pris position par rapport à l’actuel, n’avons pas négocié avec lui et ne lui apportons aucunement notre soutien. Nous restons donc au sein de l’opposition, au moins jusqu’à ce que l’élection rende son verdict. Si le candidat que nous soutenons gagne, nous ferons partie de la nouvelle majorité, sinon, nous continuerons, naturellement, avec l’opposition.

 

En attendant, vous aurez  tout de même contribué à affaiblir celle-ci ?

- Cela dépend comment on regarde les choses. La force a une finalité, à savoir produire un résultat. Selon nous, l’opposition ne s’assure pas de l’alternance, en se dispersant entre trois candidats. En faisant en sorte qu’une partie, au moins, de ses idées intègre le programme du nouveau  gouvernement,  nous pensons, nous, la renforcer. 

 

Certains disent qu’entre Ould Abdel Aziz  et Ghazwani,  c’est les deux faces d’une même pièce. Pouvez-vous nous dire, vous qui avez choisi de soutenir le second,  s’il  y a  des différences, entre  ces amis de quarante ans ?

- Chaque personne, je ne vous l’apprends pas, a son tempérament, son style. Nous, nous misons sur  le style de Ghazwani, nous pensons qu’il peut améliorer la situation. Et, peut-être même que Mohamed ould Abdel Aziz, s’il avait commencé à exercer le pouvoir dans le contexte actuel, aurait développé un autre style. Autre temps, autres nécessités,  c’est donc aussi une question de contexte.

 

Nous sommes à quelque trois mois de la présidentielle. Les conditions de transparence et de crédibilité vous paraissent-elles réunies pour ce scrutin ? Sinon, que faudrait-il faire pour éviter des contestations ?

- Mon souhait est qu’il y ait, comme je l’ai maintes fois répété, dialogue entre les candidats, pour déterminer les meilleures conditions en vue d’élections consensuelles et  transparentes. Mais,  je l’avoue, je n’ai guère d’éléments, à ce jour, pour me rassurer en cette légitime préoccupation.

 

Que répondez-vous à ceux qui prétendent que vous étiez intéressé par la candidature et que vous n’avez opté pour Ghazwani qu’en dépit de n’avoir pas été désigné par l’opposition ?

 

-Non, jamais intéressé ! Je n’ai jamais cessé, depuis deux ans, de répéter, à mes collègues de l’opposition, que je n’étais pas candidat. Quant à votre seconde question, ma réponse à la première suffit à l’anéantir.

Propos recueillis par Dalay Lam