Dans quatre mois – en principe… – la Mauritanie va amorcer un tournant décisif de son histoire contemporaine, à travers une alternance qui devrait permettre le passage de témoin entre un président démocratiquement élu et Mohamed ould Abdel Aziz qui aura épuisé les deux mandats autorisés par notre Constitution. Cette élection intervient dans un contexte chargé. D’abord, par l’espoir de tous les Mauritaniens de remettre leur pays sur la voie du processus démocratique normal, avec l’organisation d’élections justes et transparentes, égalisant les chances entre tous les protagonistes. Il est évident que des disfonctionnements, liés à beaucoup de facteurs, endogènes et exogènes, sont inévitables pour une démocratie d’à peine vingt ans. Même dans les pays où des pratiques séculaires les assoient, il reste toujours à améliorer les choses. Ensuite, par la complexité de l’organisation, dans un pays majoritairement analphabète, avec des populations encore facilement manipulables, via les systèmes traditionnels d’encadrement, encore très fortement maîtrisés par des cercles féodaux intraitables et calculateurs. Enfin, par une exacerbation sociale portée par de vives revendications où s’enchevêtre et s’interpose la légitimité des causes à la surenchère et à la surexcitation de ceux qui les portent. Dans ce genre de contexte, la force de l’Etat est plus que nécessaire : impérative et urgente ; pour parer à tous les dérapages éventuels dont les ingrédients sont nettement et partout perceptibles. On constate, sur les réseaux sociaux, combien les tensions intercommunautaires, via posts des plus dangereux, sont très avivées. Pour on ne sait quelle raison, les autorités administratives, sécuritaires et judiciaires ont laissé s’installer une cybercriminalité très préjudiciable aux fondements de l’unité nationale. Les incidents, répétitifs, de ces derniers mois ont motivé la fameuse marche du mercredi 9 Janvier contre la haine et le racisme. Louable, en son principe, cette initiative ne permet pas, en son fond, de creuser la réflexion sur les causes de ces que l’Etat prétend combattre. Il faut avoir le courage, même au risque de « choquer » certains, de dire clairement la vérité : beaucoup d’autres Mauritaniens se sentent complètement marginalisés, à tous les niveaux des administrations nationales. C’est insupportable. Les arguments avancés, par les tenants du statu quo, ne sont qu’« une vérité pour corroborer le faux ». Ce qui engendre la haine et le racisme, ce sont la marginalisation et l’exclusion. Il faut vraiment être aveugle, pour ne pas voir ce qui se passe aujourd’hui, en Mauritanie, en termes de marginalisation et d’exclusion de certaines communautés nationales, à quasiment tous les niveaux. Voyez, par exemple, la composition du bureau du patronat… Il ne sert à rien de se voiler la face, pour ne pas voir la très dangereuse réalité qui prévaut dans le pays. Les illustrations des disfonctionnements structurels, dans le partage des ressources et des fonctions, affluent de toutes parts. Mais, selon Ould Maham, le pays est démocratique et la politique des quotas n’est pas d’à-propos. Cette politique vaut pourtant mieux que les promotions indues, sur la base de diplômes falsifiés ou de considérations népotistes, tribalistes ou régionalistes qui ont permis de mettre hors-jeu des populations en faveur desquelles ne jouent, ni la tribu, ni l’influence, ni la paternité. Les réajustements convenables relèvent de la responsabilité d’un Etat puissant, décidé à couper l’herbe sous les pieds de tous les malveillants et les hypocrites qui lui « embellissent » les choses, alors qu’ils ne lui seront d’aucun secours, le jour où celles-ci n’iraient plus comme ils le souhaitent. La peur de lendemains qui déchantent justifie toutes leurs turpitudes. Si l’Etat était fort et conséquent, les parrains des derniers mouvements appelant à violer la Constitution seraient, aujourd’hui, en prison, comme ils l’ont été au Niger. Si l’Etat était fort, les initiateurs des initiatives tribales n’iraient pas à qui mieux mieux, ouvertement, pour mobiliser en faveur d’on ne sait quelle forfaiture. Si l’Etat était fort, il ne permettrait à personne de s’exhiber dans une vidéo, largement partagée ces derniers jours sur les réseaux sociaux, mitraillant à la kalachnikov, dans une parade digne d’un western dans un no man’s land où la loi est en éclipse. Le futur président qui sera élu, dans quatre mois, aura du pain sur la planche. De grands chantiers l’attendent dont la refondation de l’Etat sur des bases démocratiques n’est certainement pas le moindre. Ce sont de véritables écuries d’Augias et leur nettoyage sera très laborieux. Les questions nationales de fond dépendent de la capacité du nouveau président à gérer les tribus, les communautés, les hypocrites et les multicolores. 2019 est un tournant très abrupt, il faudra bien manœuvrer, pour prendre la route qui mène à l’espoir et à la réconciliation d’un peuple en souffrance, depuis plus de quatre décennies.
El Kory Sneiba