Il n’y a pas plus grands vices que les complexes. Grégaires, ataviques, ils sont à la racine de notre sous-développement. C’est un peu absurde, mais c’est comme ça. Un foisonnement de complexes qui s’enchevêtrent, s’entrelacent et se complètent. Vulgairement. Placidement. Continuellement. Ils resurgissent à tout bout de champ. S’imposent à tout coin de rue. Divisent. Supériorisent. Infériorisent. Complexes d’esclaves. Complexes de nationalistes arabes ou africains, de ceci ou de cela. Complexes de maîtres… d’esclaves. Complexes de marabouts, de guerriers, de forgerons, de Harratines, de Bambaras ou de Soninkés. Complexes civils et militaires. Complexes des autorités vis-à-vis de l’Histoire. Feu Moktar n’était pas si exceptionnel que cela. La Route de l’Espoir ? C’est rien par rapport aux goudrons d’Aziz, aussi défoncés soient-ils mais qui sont partout, du nouvel aéroport à Tarhil, en passant par Soukouk. Tous les goudrons de Daddah, augmentés de ceux d’Haïdalla, Ould Mohamed Salek, Sidi, Maouiya, feu Ely, c’est quoi tout ça ? Allez demander au docteur porte-parole du gouvernement, au ministre de l’Économie et des finances ou aux autres. Les complexes de l’arabité, les complexes de l’africanité, les complexes des batailles de la Résistance. De ses héros. De ses faits et gestes. Les complexes des appellations, comme l’«Aéroport international Oumoutounsi » ou la toute récente du « Palais des Mourabitounes ». Nos illustres ancêtres déjà chargés d’une télévision, d’une équipe de football, d’un café tangana, restaurant, Michelin, poissonnerie, salon de coiffure, école fondamentale, établissement privé d’enseignement secondaire, bourse de vente de voitures, bureau de change, garage, quincaillerie, site électronique, journal, papeterie, standard, boutique de divers, borne-fontaine, salle de fêtes et de spectacles, cyber, boulangerie, dépôt d’ordures, salle de jeux, marché… Entre complexe et complaisance ? À voir de près, ça se touche. Puisque la complaisance est souvent fille d’un certain complexe qui se manifeste par l’incapacité de dire la vérité. Peu de Mauritaniens ne sont pas complexés, puisque beaucoup sont complaisants. Tout le monde est beau. Tout le monde est merveilleux. Tout le monde est wakhyert. Tout le monde est extraordinaire. Sans défauts. Sans reproches. Sans problèmes. Tous nos poètes et poétesses sont des génies. Nos artistes, sans pareils. Toutes leurs prestations, merveilleusement inédites et originales. Tous nos journalistes des radios et télévisions officielles et privées, des cracks dont les animations sont sans pareilles au Monde. Tous nos oulémas, imams et mouftis, des références universelles de l’islam, pour les Arabes, pour les Africains. Tous nos militaires, soldats et officiers sont des braves et des courageux. Un exemple en tout : discipline, moralité, démocratie. Nos filles, nos femmes, nos jeunes et nos hommes éclairent l’Univers. Ha, les hommes et les femmes du Bilad Chinguitt ! Énième complexe. Nos chiens, nos chats, nos chameaux, nos ânes : wakhyert ! Tout ça, c’est beau, c’est joli, c’est impeccable. Tout en nous est beauté rare, comme disait l’autre. La vérité se dit en arrière. Pas en avant. Un autre complexe. C’est, comme disent les autres, que la vérité ne se dit pas et que le mensonge « fait tomber » en enfer. Alors, il faut se complaire à la complaisance, dire que tout est extraordinaire, tout est impressionnant, tout est exceptionnel. C’est la première fois que des Sommets de cette ampleur se passent, chez nous, en si peu de temps : les Arabes, les Africains, Macron, Trump, Ban ki Moon ! La Mauritanie a complètement changé. Nettoyons tous nos avenues ! Taisons nos divergences ! « N’internationalisons pas » – la formule est du porte-parole du gouvernement – nos problèmes ! Version réchauffée du « linge sale à ne laver qu’en famille ». Fédérons nos forces, mentons, complaisons, pour cacher nos problèmes et nos insuffisances. Complaisance et complexe. Salut.
Sneiba El Kory