Le Calame : Le FNDU a décidé de participer aux prochaines élections municipales, législatives et présidentielle. Peut-on connaître les raisons de cette décision. Les raisons qui fondaient votre boycott ont-elles changé?
Hamidou Baba KANE : La vocation d’un Parti politique c’est de participer aux élections, par conséquent le boycott ne peut être que l’exception qui confirme la règle. Cette raison est en elle-même suffisante, mais il y en a d’autres encore. Pour un Parti politique, il n’existe pas d’autres moyens de conquérir le pouvoir, que par les urnes ! Nous avons bataillé dans des conditions difficiles pour obtenir des élections consensuelles, nous n’avons pas encore réussi, mais nous ne désespérons pas. Le contexte stratégique a cependant changé. Nous entrons dans un cycle de recomposition du paysage politique avec toutes les chances d’une alternance politique en 2019. Les élections municipales, législatives et régionales sont inséparables de cette échéance présidentielle dont on sait que l’institution constitue la clé de voûte de notre système politique. Il s’agit bien pour le FNDU d’un objectif majeur, mais qui suppose que les objectifs intermédiaires soient atteints. Il y a donc là des raisons suffisantes pour une vraie participation.
Vous irez donc aux élections sans consensus avec le pouvoir qui gère seul le processus électoral. Comment se déroulent les préparatifs?
Je vois cette gestion unilatérale du processus électoral par le pouvoir, non pas comme un atout, mais un risque. Dans un pays fait de fragilités multiples et où la rupture de confiance tend à avoir un caractère structurel conduisant fatalement vers l’impasse, la responsabilité du pouvoir est d’autant plus grande, que l’élection elle-même est un moment de crise. Les expériences vécues en Afrique soulignent que les processus électoraux conduits de façon unilatérale aboutissent aux mêmes résultats qui ont pour noms : Contestation-manifestation-violence-répression-instabilité-risques de toutes sortes. Le pouvoir serait bien inspiré d’éviter de pareils errements à notre démocratie balbutiante !
Pour ce qui est de nos préparatifs, nous avons sonné la grande mobilisation. C’est ce qui explique mon déplacement récent en Europe, répondant à l’invitation de nos militants et où j’ai animé une conférence sur le thème : « Le MPR face aux enjeux de l’alternance en 2019 ». C’est le lieu pour moi de remercier et de féliciter nos camarades de la diaspora en Europe, qui ont marqué et manifesté leur adhésion massive au Parti.
Par ailleurs, la décision du FNDU de participer aux élections est assortie d’un accord électoral en perspective. Le MPR y prendra sa place.
Dans sa dernière marche, le FNDU a exigé la dissolution de la CENI. Parce qu’elle est « illégale » comme vous dites ou parce que vous n’y êtes pas représentés?
Je serais tenté de dire, les deux à la fois. En tout état de cause, elle manque de légitimité. Des élections consensuelles passent par une CENI consensuelle. Peut-on valablement ignorer le FNDU dans tout processus électoral qui se veut sérieux ? La CENI est au centre du dispositif électoral en ce qu’elle organise et proclame les résultats. La loi portant création de la CENI, comme toute loi, a une portée générale et universelle. Or, tout se passe comme si, les seuls participants au dialogue partiel ont le droit de désigner les membres de la CENI. Quelle est la légalité d’une loi qui donne des droits uniquement à l’opposition qui a dialogué avec le pouvoir ? C’est à se demander à quoi sert l’Institution de l’Opposition Démocratique, par ailleurs, superbement ignorée?
Nombre d’acteurs politiques, y compris même au sein du FNDU, des observateurs et même des militants ont été surpris d’apprendre que des négociations secrètes se déroulaient entre le pouvoir et quelques partis du forum. Pouvez-vous d’abord nous expliquer les raisons de cette bonne disposition vis-à-vis du président Mohamed Ould Abdel Aziz, ensuite ce que vous attendiez de ces pourparlers et enfin qui aurait intérêt, au sein du forum à vendre la mèche ? Le président Adil a déclaré que les fuites seraient parties du Forum?
En annonçant publiquement, qu’il ne violera pas la constitution, à la fin de son second et dernier mandat, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz, a rassuré une opinion longtemps saisie par le doute. Nous avions déjà pris acte de sa déclaration. Et, il faut s’en féliciter ! Maintenant, est-ce à dire que cette condition est suffisante pour une alternance apaisée ? Loin s’en faut ! La responsabilité des acteurs politiques (Pouvoir comme Opposition), c’est de veiller à ce que tous les ponts ne soient pas coupés. Ainsi donc, à défaut du dialogue, une passerelle de communication devrait être maintenue, dans l’intérêt de la paix civile.
Sous ce rapport, les négociations que vous qualifiez de secrètes n’ont rien d’extraordinaires ! Ce n’était pas une affaire de « quelques partis du Forum », mais du FNDU, particulièrement de son Pôle politique, car ce sont les partis qui ont vocation à aller aux élections. Nous attendions de ces pourparlers un accord sur les règles du jeu démocratique, notamment une bonne préparation de ces échéances électorales. Ni plus, ni moins !
Quant à la déclaration que vous prêtez au Président de ADIL, à proprement parler, il n’y a pas eu de fuites, du moins volontaires, mais une méprise, une erreur de communication.
Lors de sa campagne d'adhésion, l'UPR a enrôlé dans ses rangs, plus d'un million d'adhérents, ne laissant à l'opposition que vous êtes que des miettes. Comment expliquer cet engouement des citoyens? Vous reste-t-il quelque chose?
Ce que je sais, c’est qu’un Parti qui dit avoir enrôlé un million d’adhérents sur une population totale de moins de quatre millions d’habitants dont 45% ont moins de 15 ans, l’idée d’avancer un tel chiffre me paraît d’un ridicule achevé. Dans les grandes démocraties, dix ou quinze fois plus peuplées que notre pays, rares sont les partis au pouvoir, qui atteignent cent mille adhérents. En principe, tout Parti qui va aux élections devrait trouver plus de voix aux élections que le nombre de ses militants, or aucun parti en Mauritanie, qu’il s’agisse du PRDS du temps de sa « splendeur » ou de l’UPR qui n’en est qu’une pâle copie, aucune de ces formations politiques n’a obtenu un million de voix à une quelconque élection !
Rappelons, pour mémoire, qu’aux dernières élections législatives de 2013, sur un total de : 1.189 105 électeurs inscrits, l’UPR avait obtenu sur la liste nationale mixte : 127 580 voix, soit 21,34% des votants. Si l’on sait que cesdites élections avaient été boycottées par une grande part de l’Opposition, on mesure l’absurdité des prétentions de l’UPR, en termes d’adhésion.
Pour le reste, l’avenir proche nous dira si « l’engouement des citoyens » était réel…
A votre avis, pourquoi certains soutiens du président de la République continuent encore à agiter le spectre du 3e mandat alors que la Constitution l’interdit et que lui-même a écarté l’option à plusieurs reprises? Comme avez-vous accueilli la demande de certains imams ?
Je connais plusieurs pays où on aurait poursuivi ces imams pour incitation au parjure. Ce que le Président de la République a dit et répété sur cette question me suffit.
Une étude commanditée par les Nations Unies, avec le concours de la Ligue Arabe et de l’Université Oxford classe la Mauritanie parmi le peloton de tête des pays arabes où sévit une pauvreté extrême, avec 89% de la population. Quel commentaire vous inspire ce classement ?
C’est un paradoxe : Voici un pays très faiblement peuplé, mais qui a un énorme potentiel. On pourrait même dire de notre pays qu’il constitue « un scandale géologique ! » Ne parlons pas de nos côtes réputées être parmi les plus poissonneuses au monde, de notre patrimoine foncier et de notre excédent en bétail sur pied !
Incontestablement, si la Mauritanie est potentiellement riche, les mauritaniens sont pauvres, du moins dans leur majorité écrasante. Pourquoi ? A mon sens, trois facteurs majeurs expliquent ce phénomène : premièrement, une carence notoire en ressources humaines que traduit un échec cuisant de notre système éducatif. 45% des élèves qui entrent à l’école primaire n’atteignent pas le CM2. Dans les autres ordres d’enseignement, les problèmes d’orientation, de choix linguistiques et d’outils pédagogiques se superposent aux dures conditions des enseignants, par ailleurs, insuffisants en nombre et en qualité, pour créer une situation à terme explosive, mais en tout cas, inadaptée aux besoins de nos systèmes de production. Dans ces conditions, obtenir le BAC relève de l’exploit, mais sans aucune garantie, ni sur la valeur du diplôme, ni sur son débouché.
Toutes les études de pauvreté menées par les Institutions de développement, indiquent clairement qu’entre la pauvreté et l’éducation, le lien est direct. Le facteur ressources humaines est un élément clé du développement.
Deuxièmement, les capacités redistributives de notre économie sont extrêmement faibles. Cette situation est aggravée par la faible croissance enregistrée durant ces dix dernières années, en moyenne 3,6%. Or, les experts de la pauvreté savent qu’il faut, globalement en Afrique, un taux de croissance atteignant 6% pour espérer faire reculer la pauvreté d’un point. On est loin du compte !
Outre le fait que nous avons une économie extravertie, depuis les privatisations nées des politiques d’ajustement structurel, durant les années 80, et les compromissions entre les tenants du pouvoir d’Etat et les « heureux bénéficiaires » de l’appareil productif de l’Etat (Banques, Assurances, Transport, Sociétés de Pêche, etc.), la base de l’employeur n°1 (l’Etat) s’est considérablement rétrécie, conduisant à une tribalisation de l’économie mauritanienne. On ne le dira jamais assez, c’est de là que réside le péché originel dans cette lente descente aux enfers : surconcentration des richesses entre quelques mains seulement, appauvrissement des classes moyennes en voie de constitution ; et donc, accroissement de l’ampleur et de la sévérité de la pauvreté. Par conséquent, les conclusions de cette étude ne surprennent que les néophytes.
Enfin, le troisième facteur, et non des moindres, réside dans la gouvernance politique, économique et sociale durant toutes ces décennies perdues pour la Mauritanie. Comment vivre ensemble, sans se parler ? Il ne fait guère de doute que la question de l’unité nationale et de la cohésion sociale n’est pas seulement qu’un problème éthique et/ou ethnique, mais conditionne le développement, la paix civile et notre sécurité collective. Les politiques inappropriées, qui ont érigé l’exclusion en règle de gouvernement, ont installé le pays dans une durable crise. Il s’est développé une triple rupture de confiance : entre l’Etat et le citoyen, entre le Pouvoir et l’Opposition, et entre les communautés elles-mêmes. Comme conséquences à cette situation, c’est l’absence de dialogue national, l’absence de dialogue social, l’absence de dialogue politique. D’où, l’appel constant du MPR pour un nouveau pacte Refondateur !
On assiste depuis quelque temps à une multiplication des grèves. Celle des médecins dépasse déjà un mois. Trouvez-vous leurs revendications légitimes ? Si oui, pourquoi le FNDU ne les soutient pas comme il se doit ?
Ce qui vaut pour l’Education et la mal gouvernance, vaut également pour la Santé qui constitue un grand sujet de préoccupation. On pourrait faire le même diagnostic avec en plus des effets plus directs sur la vie des gens. Les revendications des médecins sont légitimes et méritent un examen sérieux de la part du Gouvernement. Ce sont encore les pauvres qui souffrent le plus de cette situation anachronique. Le FNDU s’est déjà prononcé là-dessus et vous savez que cette question est prise en charge par le pôle syndical du Forum.
Mais, nous devons à la vérité de dire que le secteur de la Santé nécessite une sérieuse remise en cause, j’allais dire une introspection de la part des médecins eux-mêmes et, bien sûr, des pouvoirs publics ! Nos hôpitaux sont des mouroirs, particulièrement leurs salles dites d’urgence. La médecine publique est désertée au profit de la médecine privée. Il se développe un grand affairisme autour de l’exercice de la médecine. Ne parlons pas de ces boutiques pharmaceutiques et des produits eux-mêmes qui y sont vendus ! Plus que des négociations entre l’Etat et les Médecins grévistes, qui sont urgentes, à court terme, il faut organiser des Etats généraux de la Santé.
Le président Macron sera à Nouakchott pour le sommet de l’UA prévue dans notre capitale, en juillet prochain. Un geste dont pourrait se réjouir le président Aziz et ses soutiens dans la perspective des prochaines joutes électorales?
Je n’établis pas de lien entre la visite du Président Macron à Nouakchott et une quelconque forme de soutien au Président Aziz et ses soutiens quant aux prochaines élections dans notre pays. A ce jour, le Président Macron a visité l’ensemble des pays membres du G5 et même au-delà, mais il ne s’est pas encore rendu en Mauritanie. Cette visite, longtemps annoncée, toujours reportée, aura finalement lieu à l’occasion du Sommet de l’UA. C’est une très bonne chose. Il est le bienvenu ! Je suis convaincu, qu’en se rendant en Mauritanie, le Président Macron aura à cœur de s’adresser à tous les mauritaniens et de souhaiter plus d’unité, de démocratie et de stabilité à un pays dont la France porte sa part de responsabilité dans son destin.
Le Mouvement IRA et le parti Sawab que tout opposait, viennent de signer une alliance électorale. Pour certains il s’agit, d’un mariage de raison, pour d’autres, du mariage de la carpe et du lapin. Qu’en pensez-vous?
Je n’ai pas vu le contenu de leur accord électoral. Je leur souhaite bonne chance !
Propos recueillis par Dalay Lam