‘’La mayonnaise de la démocratie ne pourra prendre dans notre pays que quand l’accès au pouvoir se fera par les urnes et non par la reproduction d’un régime d’essence autocratique’’
Le Calame : Avec un groupe de personnalités, vous avez mis sur pied, une « alliance pour une alternance pacifique au pouvoir» en Mauritanie. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs les objectifs de cette structure ?
Mohamed ould El Aabed : L’Alliance nationale pour une alternance pacifique au pouvoir est une initiative prise, le 19 avril courant, par un groupe de personnalités d’horizons divers et réunies par leur détermination commune à œuvrer pour relever le défi de la démocratie réelle dans notre pays, lequel défi passe par la création des conditions qui rendent possible une alternance pacifique au pouvoir.
Cette initiative a été lancée après l’adoption par le Gouvernement du décret portant nomination des membres de la nouvelle Commission électorale nationale indépendante (CENI) et poursuit un double objectif. D’une part, elle vise à interpeller l’ensemble des acteurs politiques mauritaniens, qu’ils soient de l’opposition ou du camp du pouvoir, sur les risques graves que fait peser une telle composition de la CENI sur la situation politique du pays, déjà assez tendue. D’autre part, elle ambitionne de mobiliser ces différents acteurs afin de créer les conditions pour que les prochains scrutins électoraux se déroulent dans un climat politique apaisé et permettent une réelle expression de la volonté populaire, ce qui nécessite que leur processus soit conduit par une CENI qui rassure l’ensemble des forces politiques du pays.
J’ai été l’un des initiateurs de cette alliance car ma conviction est que la mayonnaise de la démocratie ne pourra prendre dans notre pays que quand l’accès au pouvoir se fera par les urnes et conformément à la volonté des électeurs et non par la reproduction d’un régime d’essence autocratique avec un maquillage démocratique. Je rappelle, à ce sujet, que mon parti, Convergence démocratique nationale (CDN) avait lancé, le 13 décembre dernier, un appel à un « Pacte historique pour gagner le pari de la démocratie » qui poursuit les mêmes nobles objectifs que l’Alliance nationale pour une alternance pacifique au pouvoir.
-Les Mauritaniens éliront, à la fin de cette année 2018, leurs mairies, leurs conseillers régionaux et leurs députés. C’est une première étape avant la présidentielle de 2019. La mise en place de cette alliance ne signifierait-il pas qu’il y a des craintes sur le déroulement du processus électoral pour les deux scrutins ? Concrètement, qu’allez-vous faire pour parer à toutes les éventualités ?
-Il y a, tout à fait, des craintes sur le déroulement des scrutins prévus en 2018 et 2019. Comment n’y en aurait pas-t-il dès lors que la volonté manifeste du régime est se reproduire à l’identique en faisant préparer et superviser les prochains scrutins électoraux par une commission dont la composition viole la loi et bafoue les principes démocratiques élémentaires ?
Concrètement, nous œuvrerons, par tous les moyens appropriés, à mettre les mauritaniens devant leurs responsabilités et à les inciter à obliger le pouvoir à créer les conditions qui apaisent le climat politique, notamment en mettant en place des mécanismes consensuels, transparents et équitables de gestion des scrutins électoraux. Ce n’est qu’avec de tels mécanismes que notre pays saura organiser des élections dans des conditions qui rassurent l’ensemble des acteurs politiques et permettent une réelle possibilité d’alternance pacifique. Ce n’est qu’ainsi que nous saurons préserver la stabilité et la paix sociale et éviter à notre pays les situations dramatiques que d’autres Etats africains ont connues.
-A votre avis, quelles sont les conditions ou préalables pour que la Mauritanie réussisse une alternance pacifique au pouvoir en 2019 ? La décision du président actuel de ne pas déverrouiller l’article 26 de la Constitution, limitant le mandat présidentiel à deux ne contribuerait-elle pas à apaiser les tensions entre le pouvoir et son opposition réunie au sein du G8 ?
-Les conditions pour que la Mauritanie réussisse une alternance pacifique au pouvoir en 2019 sont connues de tous et sont simples à réunir s’il y a une réelle volonté du détenteur actuel du pouvoir. Il suffit d’appliquer réellement les textes qui régissent les scrutins électoraux et de permettre aux mauritaniens de choisir librement en qui ils placeront leur confiance, sans aucune pression de quelque nature qu’elle soit.
La déclaration du Chef de l’Etat actuel est démentie, à maintes reprises, par les pratiques et dires de ses proches collaborateurs. S’il était sincère, il ne laisserait pas ses partisans tapisser tous les poteaux électriques de Nouakchott avec des affiches réclamant un troisième mandat ! De plus, entre nous, depuis quand devons-nous croire les dires de notre chef de l’Etat ? Rappelez-vous ses déclarations concernant les enregistrements liés au fameux dossier dit d’Accra (faux dollars) ou la non-livraison de l’ancien directeur des renseignements extérieurs libyens, Monsieur Senoussi aux nouvelles autorités de son pays ! Et la liste est longue !
-On a appris, il y a quelques jours, que des négociations secrètes entre le pouvoir et le FNDU ont échoué. Que pensez-vous de cette tentative à nouer le dialogue ?
-Le FNDU, par des voix autorisées, a fourni les éclaircissements nécessaires sur les contacts préparatoires discrets qu’il avait eus avec représentants du pouvoir afin d’aboutir, le cas échéant, à des négociations au grand jour dans l’espoir d’apaiser le climat politique et de préparer le terrain à des élections qui rassurent l’ensemble des acteurs. Comme tout mauritanien qui s’intéresse à l’avenir de son pays, j’ai pris acte de ces éclaircissements.
-Ne craignez-vous pas que cet incident de parcours ne vienne compromettre les chances d’élections consensuelles et inclusives, ou bien avez-vous le sentiment que les différents acteurs politiques sont disposés à jouer le jeu pour éviter des contestations au lendemain des élections ?
-Je crois que cet incident, comme vous l’appelez, ne change rien au fond du problème. Nous sommes en présence, depuis le coup d’Etat (de trop) de 2008 d’un pouvoir qui ne fait, et ne fera aucune concession qui va dans le sens de l’apaisement du climat politique et de la création des conditions d’organisation d’élections libres, transparentes et incontestables que sous la contrainte. Les amorces de dialogue qu’il fait de temps en temps, pour les torpiller quelques jours ou semaines plus tard, ne sont que des manœuvres destinées à lui permettre de gagner du temps et de semer la discorde au sein de son opposition.
- Comprenez-vous pourquoi certains partis de l’opposition, comme le RFD et votre parti, la CDN, n’ont pas été associés à ces pourparlers ?
-Ces pourparlers, préparatoires à d’éventuelles négociations, avaient été conduits sans que des formations constitutives du FNDU n’en soient avisées. Je ne vois donc pas pourquoi le RFD et CDN y seraient associés. Je rappelle juste que l’opposition, du temps où elle était unie au sein de la COD (Coordination de l’opposition démocratique) avait défini clairement les conditions du dialogue avec le pouvoir. Ces conditions, à quelques points près, me semblent toujours pertinentes puisqu’elles portent sur l’application des lois du pays et les conditions d’élections libres, transparentes et crédibles.
-Le président et les membres de la CENI viennent d’être désignés. Ils auront la lourde charge d’organiser les prochaines élections. Quelle appréciation vous faites de cette instance de contrôle ?
-Comme nous l’avons dit clairement dans le communiqué de l’Alliance nationale pour une alternance pacifique au pouvoir, la composition de cette CENI viole la loi qui énonce, sans équivoque, que ses membres de la CENI sont nommés par la majorité et l’opposition, alors que toute l’opposition « non dialoguiste » n’a pas été associée aux choix des onze sages de la commission, pas plus que l’Institution de l’opposition. De plus, les critères objectifs de compétence, d’expérience et d’indépendance, qui doivent être déterminants dans le choix des membres de la commission, ont été remplacés par ceux de parenté, de clientélisme et d’appartenance politique. Il s’agit donc d’une commission « taillée sur mesure » pour servir les desseins du pouvoir et elle n’est donc pas apte à organiser des élections libres, transparentes et crédibles.
-L’UPR, principal parti de la majorité présidentielle est en plein dans sa campagne de réimplantation. Selon différents chiffres qui circulent, çà et là, le nombre d’adhérents avoisinerait 1, 2 million. Que vous inspire ce chiffre ?
-Ce chiffre me rappelle le taux déclaré de participation au scrutin référendaire du 05 août 2017 ! Il me rappelle aussi les déclarations de certains flagorneurs invétérés qui comparaient notre système de santé à celui de la Suisse, notre capitale aux plus belles capitales du monde et notre chef de l’Etat au Khalife Omar Ibn Abdel Aziz !
Dans les pays où la population est de 10 fois plus nombreuse que la nôtre et où les partis au pouvoir ont une légitimité historique, le nombre d’adhérents atteint à peine quelques centaines de milliers ! Regardez, par exemple, l’ANC en Afrique du Sud.
Soyons raisonnables ! Un parti né il y a moins de 10 ans et qui a pour seul ciment l’allégeance de façade à un chef d’Etat, arrivé au pouvoir par un putsch et qui s’y est maintenu par des élections non libres, non transparentes et aux résultats contestés, bien plus craint qu’aimé par ses concitoyens ne peut avoir un tel nombres d’adhérents, même si l’on comptabilise les adhérents à titre posthume qui avaient voté oui lors du scrutin référendaire du 05 août 2017 !
C’est ça la Mauritanie nouvelle ! Mentez, mentez puis mentez, le bon peuple finira par vous croire, ou plutôt, feindre de vous croire !
Propos recueillis par DL