Le Calame : Le Président Ould Abdel Aziz continue de clamer qu’il ne briguera pas un 3° mandat, comme le lui interdit la constitution. Qu’en pensez-vous ?
Dr Mohamed Mahmoud Ould Mah : Avec l’évolution des événements, nous sommes arrivés à la conviction que le Président Ould Abdel Aziz ne quittera pas le pouvoir de son propre gré ; pour la simple raison qu’il ne fait confiance à personne ; que cette personne, qu’il prétend soutenir, soit un homme de paille, un simple fusible ou un homme de poigne qui assurera sa sécurité et celle de ses biens : une fortune qui ne cesse de s’agrandir et de faire peur et que l’intéressé ne cache d’ailleurs pas. Elle touche à tous les secteurs, allant de l’immobilier (construction d’immeubles, de tours), construction de routes, location d’engins du génie civil, société de forage, aux industries agropastorales, en passant par les banques, les sociétés industrielles et commerciales, les compagnies d’assurance et de distribution des produits pétroliers, NP …etc. ; sans compter les belles régions, sur l’ensemble du territoire, transformées en lieux de villégiatures pour le Président, clôturées et certaines gardées par des militaires et dont on peut citer Tevelli, Vaye, Tiris, Bénichab, Ouad N’am… etc.; une formule simplifiée et adaptée des châteaux et terrains de chasse des anciens rois de France.
Les mauritaniens (occupés par un antagonisme inter et intra tribal et ethnique dont le pouvoir fait un outil de gouvernement) ne semblent pas se soucier des conséquences de la dépendance du pouvoir de la fortune du président, sa gestion, sa préservation et sa fructification quant à l'avenir de notre pays. Il faut bien qu'on en parle.
Le Président Ould Abdel Aziz fera donc tout pour continuer à détenir le pouvoir, en modifiant ou non la forme de ce pouvoir, présidentiel ou parlementaire. Pour lui, l’essentiel n’est d’ailleurs pas tellement le pouvoir pour le pouvoir que de préserver et fructifier la fortune qu’il a accumulée.
Laissé à lui-même, Ould Abdel Aziz préfèrerait un régime présidentiel, car il n’est pas homme à s’accommoder d’un autre titre que celui de président ; la charge de premier ministre est exigeante et Ould Abdel Aziz n’est pas un homme à travailler beaucoup ; en outre, cette fonction ne lui laissera pas le temps de s’occuper de ses affaires. De préférence, il lui faudra donc, un troisième mandat de président ou à défaut, un chef de gouvernement avec les pouvoirs d’un président ; mais le troisième mandat nécessite le feu vert de l’ancienne puissance coloniale, nonobstant, le respect de la constitution et celui du peuple mauritanien.
Malheureusement pour lui, les choses ne se présentent pas très bien: l’accord qu’il aurait conclu avec les salafistes pour se mettre à l’abri des attentats, lui qui voyage souvent à l’Est du pays, n’est pas de nature à faciliter le feu vert de l’ancienne puissance coloniale ; devant la lenteur de notre pays à intégrer le G5, ce qui n’est pas mauvais en soi, le Président français se demandait : «à quel jeu joue le Président Mauritanien» ; pendant que son ambassadeur à Nouakchott, commence à parler, quant à lui, du «successeur de Ould Abdel Aziz», lui qui jusqu’ici se contentait seulement «de prendre acte des déclarations du Président Ould Abdel Aziz de ne pas briguer un troisième mandat».
Dans les anciennes colonies, devenues des ‘’Etats indépendants’’, le vrai pouvoir appartient à la coordination des ambassadeurs de ces anciennes puissances coloniales. Les protocoles et les questions de bienséance, au sein des ambassadeurs situent les responsabilités à trois niveaux : le doyen du corps diplomatique, le plus ancien, qui peut ne pas être celui d’une ancienne puissance coloniale ; l’ambassadeur coordinateur de l’Union Européenne, qui comme son nom l’indique, coordonne l’essentiel des problèmes, à l’exception de ceux relatifs aux problèmes politiques intérieurs de l’ancienne colonie, dont la compétence exclusive revient à l’ambassadeur de l’ancienne puissance coloniale. Chez nous c’est la France.
Le surprenant et chaleureux accueil dont Ould Abdel Aziz avait récemment entouré le Président sénégalais (suivi le lendemain, du départ de notre première Dame, dans l’avion présidentiel sénégalais, invitée par Marième Faye Sall) et l’insistance de l’exploitation commune des gisements de gaz sous l’égide de la France, laissent penser que Ould Abdel Aziz va demander les services de Macky Sall, après ceux de l’Arabie saoudite, pour se rapprocher du président français, lui qui se présente comme l’européen le plus proche du royaume wahhabite dont les présidents mauritanien et sénégalais se vantent d’en être les poulains. D’ailleurs, les deux présidents ont signé, entre autres, des actes qui témoignent de cette allégeance, au risque de sacrifier les intérêts de leurs pays et de porter atteinte à leur renommée. Le premier a remis M. Senoussi aux Libyens, au lendemain de son retour d’une Oumra effectuée dans un avion saoudien (Il est à noter que l’ex-président libyen ne cessait de narguer les princes saoudiens à chaque sommet arabe), avant de rompre les relations diplomatiques avec le Qatar, au moment où l’Algérie et le Maroc envoient des avions pleins de vivres ; quant au second, il vient d’envoyer son Ministre des Affaires Etrangères en Israël pour permettre au nouveau prince saoudien et à Israël de comptabiliser ce geste comme une retombée positive de leur rapprochement.
Dans l’hypothèse de l’obtention du feu vert français pour un troisième mandat présidentiel, Ould Abdel Aziz procédera alors à une modification de la constitution, à la faveur d’un référendum derrière lequel la France pourrait se faire bonne conscience.
Dans le cas contraire, Ould Abdel Aziz modifiera le régime présidentiel en régime parlementaire avec un premier Ministre élu par le parlement et doté de tous les pouvoirs d’un président, un régime qui lui sera plus favorable. Il pourra succéder à lui-même, autant de fois qu’il le voudrait, en dehors bien sûr de tout incident extérieur indépendant de sa volonté. Le seul regret pour Ould Abdel Aziz sera de ne plus porter le titre de président ; un titre désormais honorifique qu’il pourra décerner, de façon alternative, tantôt à un hartani tantôt à un mauritanien noir du Sud.
Quelle réflexion vous inspire la campagne d’adhésion à l’UPR, lancée par le pouvoir depuis plusieurs jours ?
Que l’on ne trouve pas d’autre but à cette campagne d’adhésion au parti du Président que la préparation du pays à un nouveau référendum modificatif de la Constitution dans les deux hypothèses : celle d’un 3ème mandat présidentiel ou celle d’un changement du régime politique, de présidentiel en parlementaire. Comme l’a écrit récemment un journaliste, il en a fait d’ailleurs le titre de son article, «une campagne d’adhésion qui fait peur».
En effet, les fonctionnaires, les agents de l’Etat, les maires et les administrations, les civils et les militaires, oui les militaires, sont tous en campagne d’adhésion à l’UPR, le parti du Président et tous les moyens de l’Etat sont mis à leur disposition. Chaque personne est chargée de recueillir le plus de cartes d’identité nationale dont beaucoup sont achetées ; le prix varie de 5, 10, voire 15 mille anciennes unités monétaires. Il arrive de voir des personnes très opposées au pouvoir remettre leur carte d’identité à leur frère ou sœur permettant à ces derniers de s’en prévaloir auprès des autorités, préservant ainsi la stabilité de leur emploi.
Les C.I. des habitants de Nouakchott sont transportées, sans leur titulaire, à l’intérieur du pays ou convoyées de l’étranger. La semaine dernière, un Mauritanien, venant de Guinée Bissau, a été trouvé (au passage du Bac entre le Sénégal et la Mauritanie) en possession de plus de 200 cartes d’identité. Après avoir été arrêté quelque temps, les autorités frontalières ont reçu l’ordre de le libérer, lui et tout ce qu’il transporte. Il ne sera donc pas étonnant de se trouver confronté, le jour du vote, à des doubles, voire triples votes de la même personne sur l’ensemble du territoire. Dans certaines régions, qui ne sont pas des plus peuplées, les adhésions au parti du Président ont déjà atteint 180.000 personnes, alors que l’ensemble des inscrits au dernier referendum est de 1.389.092 électeurs, le oui avait obtenu 573.935 voix, fraudes comprises. Nous avons été interpellés plusieurs fois par des personnes égarées cherchant les sièges de l’UPR, encombrés de ‘’militants’’ amenés dans des bus. Certains sièges et centres ouverts à cette occasion ont dû faire appel aux services d’ordre. On se croirait en jour de vote, pour une campagne commencée le 28 mars et qui se termine le dimanche 15 avril, après une prolongation de 4 jours. Il est à noter qu’Ould Abdel Aziz est au pouvoir depuis août 2008, il a certainement déjà fait plusieurs campagnes d’adhésion à son parti. C’est dire que la campagne actuelle n’est pas une campagne comme les autres ; elle laisse présager, à n’en pas douter, une consultation nationale en prévision d’une modification de la constitution, en vue d’un 3ème mandat présidentiel ou d’une modification du régime politique, de présidentiel en parlementaire.
Connu pour être un pourfendeur des institutions de Bretton Woods ; certains en riaient d’ailleurs. Le temps a fini par vous donner raison. Pour vous l’ajustement structurel, la mondialisation et les institutions Bretton Woods, FMI, BM et l’OMC avaient pour but de ramener à la case de départ les raisons pour lesquelles les anciennes puissances coloniales se sont ruées vers l’Afrique. Comment tout cela s’est-il réalisé ?
Les anciennes puissances coloniales se sont ruées vers les colonies, pour trois raisons principales : recherche de matières premières bon marché pour les usines du Nord ; recherche des marchés pour écouler les produits finis, industriels de ces usines au risque d’interdire au génie autochtone l’imitation des produits finis venant du Nord et enfin accomplir une mission ‘’civilisatrice’’ des ‘’indigènes’’ par l’extension de la culture judéo-chrétienne en les christianisant.
Les anciennes colonies sont devenues des ‘’Etats indépendants’’ dont personne ne semble aujourd’hui contester le caractère formel de leur indépendance. Les anciennes puissances coloniales sont devenues, quant à elles, des ‘’Etats démocratiques’’ pour eux-mêmes, pas pour les autres, une démocratie qui s’essouffle, de plus en plus délaissée au profit des taux d’abstention élevés, exemple en France, 57% ; soucieux du respect des Droits de l’Homme, mais pas de tous les Hommes ; de la liberté d’expression, cela dépend de ce qui est à exprimer, de la liberté tout court, liberté des hommes, des capitaux et des marchandises, chaque fois que cela les sert. Devancés sur le plan militaire par la Russie, sur le plan économique par la Chine, ils reviennent au mercantilisme, un mercantilisme primaire et ressortent les vielles armes des périodes sombres : la Guerre Froide et les mensonges d’une certaines presse, ‘’cette prostituée du siècle’’, à en croire un célèbre avocat. Les gouvernements, et non les peules de ces Etats, (car nous avons encore la mémoire les manifestations par millions de Paris, Londres et Madrid, contre l’occupation de l’Irak, par une coalition occidentale de 47 pays à l’exception de la France de Chirac, pendant que Macron, aujourd’hui avec Trump, comme hier Hollande avec Obama, s’agite pour savoir qui va tirer le premier sur l’armée syrienne pour secourir des terroristes défaits) ont formé un groupe solidaire dénommé tantôt ‘’monde Occidental’’, tantôt ‘’Communauté Internationale’’ ou simplement ‘’le Monde Libre’’, utilisant de façon pernicieuse le système des Nations-Unies, pour instaurer une politique de deux poids deux mesures, développant des effets de domination à l’égard du reste du monde.
Pour s’industrialiser, les anciennes puissances coloniales ont toutes emprunté le même chemin ; le même processus d’industrialisation («richesse des nations», selon Adam Smith) : la protection des industries naissantes, connue également sous le nom du Colbertisme du nom du puissant Ministre et contrôleur général des Finances de Louis XIV, mais devenue une doctrine économique.
Quand leurs industries naissantes sont devenues mûres, capables d’affronter la concurrence, ces pays ont opté pour le libéralisme économique ; mais elles ont empêché les anciennes colonies, devenues ‘’Etats indépendants’’, d’emprunter la voie de l’industrialisation. Les produits industriels, on peut toujours les reproduire autant de fois qu’il est nécessaire. Par contre, un train de minerai ne peut être reproduit, il viendrait en déduction d’un stock de matières premières condamné à l’épuisement.
Le Monde Occidental, c’est-à-dire les anciennes puissances coloniales, pour continuer à dominer les anciennes colonies avait soumis celles-ci à une politique d’ajustement structurel les années 80, pour les préparer à la mondialisation, une intégration économique à l’échelle mondiale qui prend le contrepied des enseignements des manuels d’économie, lesquels nous apprennent que les pays candidats à une intégration économique doivent répondre au moins à deux conditions : ces Etats doivent être de même niveau de développement économique (sinon le géant mange le petit) et ils doivent avoir satisfait à un certain niveau d’intégration politique, car des Etats candidats à mettre ensemble leur économie ne doivent pas avoir des politiques opposées.
Dans une intégration économique, on ne doit pas être perdant sur tous les fronts, le principe gagnant-gagnant doit prévaloir. Chaque Etat doit faire d’abord ses calculs ; s’il est finalement perdant, il doit se protéger ; mais les nouveaux gendarmes du monde BM, FMI, OMC le lui interdisent ; c’est ainsi que les anciennes colonies, nos ‘’Etats indépendants’’, ne pouvant pas concurrencer les anciennes puissances coloniales, sont réduits au statut de consommateurs universels, de pourvoyeurs de matières premières bon marché.
L’intégration économique s’apparente davantage aux règles régissant la boxe : on boxe selon les catégories de poids. Un combat qui oppose un poids lourd de plus de 100 kg à un gringalet de 50 kg n’intéresse personne, son issue est connue d’avance.
Il est à noter que l’Union européenne est une intégration plus politique qu’économique. La zone Euro comprend moins de la moitié des 28 Etats composant l’Union Européenne. Les petits Etats sont régulièrement laminés par les autres Etats plus grands. Finalement c’est l’Allemagne qui en profite le plus, mais qui donne aussi le plus. Sans les énormes subventions accordées aux autres Etats, l’Union Européenne aurait éclaté depuis longtemps. Déjà quatre Etats : Hongrie, République Tchèque, Pologne, Slovaquie déclarent déjà leur opposition ouverte à l’Union Européenne. Quant à la Grèce qui perd chaque jour, elle aurait dû être déjà sortie.
On est bien revenu à la case de départ : les anciennes colonies sont redevenues ce qu’elles ont été :
- Des pourvoyeurs des matières premières bon marché. Les prix de ces matières sont arrêtés par les acheteurs dans des bourses de commerce situées dans les anciennes puissances coloniales ;
- Ne pouvant protéger leurs industries naissantes contre la concurrence des produits du Nord, les anciennes colonies sont devenues des marchés d’écoulement pour les produits du Nord ;
- S’agissant de la mission ‘’civilisatrice’’ et de l’extension de la civilisation judéo-chrétienne, l’image du curé portant sa soutane à côté de l’administrateur colonial, est désormais remplacée par des sociétés multinationales : Caritas, World Vision, cette dernière est chargée, en plus de sa propre mission, de distribuer le Programme Alimentaire Mondial (PAM) des Nations-Unies et les trente millions de dollars de l’OMS, en faveur des victimes des trois maladies : la tuberculose, le paludisme et le Sida ; une façon de faciliter leur mission originelle.
Propos recueillis par AOC