Guidumakha.com : Bonjour, monsieur le président, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et présenter, également, l’ONG ARMEPES-France et le Mouvement Ganbanaaxu Fedde ?
Gaye TRAORE : Bonjour, merci tout d’abord de m’avoir donné l’occasion de présenter notre ONG Armepes-France et le mouvement Ganbanaaxu Fedde. Pour répondre rigoureusement à votre question, je m’appelle Gaye Traore, Gaye Tène pour les intimes. Je suis natif de Sélibaby, une ville qui me tient particulièrement à cœur. Nombre de nos cadres du Guidimakha lui doivent beaucoup, ainsi qu’à ses établissements scolaires. J’ai poursuivi des études en lettres modernes, à la Faculté des lettres et sciences humaines de Nouakchott, avant de me lancer dans un Master 2 en sciences de l’Éducation, option : « Pouvoirs, discours et sociétés », à Créteil-Université, actuel UPEC. Quant à l’ONG ARMEPES-France, elle est née d’un affront – c’est, en tout cas, ainsi que nous l’avons ressenti et il ne peut en être autrement – d’un érudit de la communauté soninké basé en Arabie saoudite, auteur d’un très long exposé sur l’esclavage et la communauté soninké.
On peut en écouter une partie sur https://www.youtube.com/watch?v=LcXt1j4Vcl4. Disons que, globalement, il entend justifier l’esclavage en notre Soni Karaa. Il nous fallait impérativement réagir. À partir de Mars 2008, nous avons donc commencé à organiser des réunions de sensibilisation, dans les différents foyers de travailleurs immigrés à Paris et alentours. C’est de ces consultations qu’est née l’Association mauritanienne pour l’éradication des pratiques de l’esclavage et ses séquelles-France (ARMEPES-France). Notre objectif premier est de débarrasser notre Soni Karaa de toutes ses tares liées à la féodalité, au système de castes, à la hiérarchisation statutaire entre personnes ayant vécu ensemble depuis de tant d’années. ARMEPES-France fut raillée, au début ; on ne nous donnait, comme champ d’action, que le combat contre les laada (pacte subtil de domination qui se traduit par un échange de travaux domestiques, lors des cérémonies de mariage, baptême ou décès, entre ancien maître et ancien esclave, voire maître et esclave), comme si nous étions myopes de la condition humaine. Or nous sommes porteurs d’un vaste et varié plan d’actions nécessaires et vitales à la communauté Soni Karaa.
Quant à Ganbanaaxu Fedde, c’est un forum transnational qui embrasse la Mauritanie, le Mali, la Gambie et le Sénégal ; plus généralement, toute la diaspora soninké à travers le monde. Ganbanaaxu Fedde est un fruit D’ARMEPES-France ; notre devise est : l’égalité en dignité et en droits dans nos communautés respectives. Aucun patronyme ne doit plus être passe-droit ni, à l’inverse, objet de rejet ou discrimination. C’est inadmissible, en ce XXIème siècle. Or la charpente de Soni Karaa est basée sur une catégorisation patronymique et déterministe : certains naissent nobles de statut, d’autres esclaves ou esclaves statutaires. C’est ce que j’ai appelé, en Décembre 2016, sur la chaîne Télé-Sud : assignation patronymique.
Cette assignation patronymique rend certains postes inaccessibles à certaines personnes. Pour représenter la communauté, il faut disposer d’un patronyme sans consonance étrangère (bambara, par exemple) ou, quand il s’agit de nominations ministérielles, être dans le moule de la rotation patronymique en vigueur, selon l'ordre féodal intracommunautaire. Voyez la séquence vidéo suivante, elle vous édifiera : https://www.youtube.com/watch?v=rbksq8xchC8&t=43s. N’est-ce pas braver la République d’entendre des membres de la féodalité soninké soutenir qu’être maire, c’est être chef de village ? Un discours toujours bien en place, même s’il n’est tenu qu’en cercle restreint, avec la plus grande attention possible [rires].
- Comment vous est venue l’idée de fonder des forums Ganbanaaxu Fedde sur Whatsapp ? Pourquoi ces groupes dérangent-ils, voire agitent certains hommes politiques et les conservateurs extrémistes féodaux soninkés ?
- Dans la vie de toute organisation, mollesse et relâchement apparaissent toujours, à un moment ou un autre. Pour relancer la dynamique des débuts d’ARMEPES-France, il m’était impératif – à l’époque, en tant que secrétaire général – d’imaginer une solution à ma portée. J’en profite, ici, pour vous rappeler que je fus secrétaire général d’ARMEPES-France, de sa fondation à Novembre 2016, date de mon élection à la présidence de l’ONG. Bref, Ganbanaaxu Fedde sur Whatsapp fut conçu pour redynamiser et faciliter la communication, entre les membres d’ARMEPES-France. Ouvert sur mon lieu de travail, à une heure creuse, l’après-midi du 5 Octobre 2016, ce groupe WhatsApp a connu un foudroyant succès transnational, en à peine deux mois. Ses membres dépassent la communauté mauritanienne. Un nouveau lien s’est tissé, entre les esprits progressistes de Soni Karra, toutes fonctions sociales confondues.
Venons-en maintenant au second volet de votre question. La société soninké a ses codes de valorisation sociale. Ils ne reposent pas sur une fonction sociale d’utilité commune : médecin, avocat, ingénieur, enseignant, par exemple. On a beau avoir la qualification et la promotion qu’on veut, dans sa vie professionnelle, ce n’est pas suffisant pour être valorisé, dans notre Soni Karaa. Comme rappelé tantôt, on naît esclave ou noble. Un ami, issu d’une illustre famille maraboutique de Podor, m’a dit, au boulot : « Traoré, ça [le système de castes, ndr], on ne peut pas le changer ». Je lui ai répondu : « Si l’on a pu combattre l’ignorance, on peut le changer car cela relève de l’ignorance ». Le débat ainsi clos, voilà pourquoi les conservateurs extrémistes veulent que les choses restent comme elles étaient déjà, au temps de Medi Kaama Kanoute, philosophe et sage soninké, qui ne cessait de rappeler : « Na ganbanaaxu sebetindi o me naxaa a wa kefinii ladaa siru », soit, en traduction approximative sous contrôle du sage Yero Sylla : mettre, entre nous, l’égalité en dignité et droit fait partie des bonnes pratiques culturelles à promouvoir.
Notre société Soni Karaa est réfractaire à toute réforme. C’est ce qui explique l’animosité, la mauvaise foi, les calomnies, les intimidations et agressions contre nos membres ; ainsi que les tentatives de sabotage du mouvement Ganbanaaxu. Mais nous avons notre bouclier : constance en nos principes et clarté d’un projet de société que nous ne gardons pas sous le manteau, ce n’est pas un discours chuchoté en cachette. Certains ont réuni des dizaines de milliers d’euros, pour casser le mouvement : la cagnotte a disparu à Nouakchott, certains de nos membres ont perdu leur boulot, d’autres se sont vu refuser les services religieux de nos marabouts, d’autres encore ont été expropriés, au seul tort de s’affirmer solidaires de notre communauté Ganbanaaxu Fedde pour l’égalité en dignité et en droit.
Le troisième volet de votre interrogation est relatif aux politiques et sa lecture en est simple : la couche d’extraction servile est considérée, depuis des lustres, comme une simple clientèle politique, pour ne pas dire « cheptel votant », et, pour maintenir ce cheptel en situation d’homme-chameau, selon Nietzsche qui sut blesser son orgueil pour mettre en dérision sa sagesse, on met en avant les tribus : Barane, Botokholo, Hayane Hokolou, maure versus soninko, peulh versus soninko… Ces tendances politiques datent depuis belle lurette. Une partie de ma famille a gardé des traces indélébiles de l’affrontement politique entre Yaya Kane et Djermouna Soumaré. La docilité des descendants d’esclaves entretient certains politiciens en barons politiques incontestés, chacun en son fief respectif. Tout discours, surtout nouveau, des gens de Ganbanaaxu, remettant en cause cette réalité, doit affronter calomnies et intimidations, comme à Dafort où le chantier d’un hangar privé fut suspendu, sur injonction du ministère de l’Intérieur, motivée par des cadres de Dafort. La polémique a enflé sur les réseaux sociaux et un communiqué fut adressé, par la communauté Ganbanaaxu de Dafort, aux autorités publiques.
- Avez-vous reçu des menaces de mort, d’atteinte à votre vie ou à celle de vos membres ?
Les menaces de mort sont courantes, tout comme les insultes, les chantages d’attaques mystiques qui me font sourire… Ces fulminations à mon encontre datent de bien avant le forum Ganbanaaxu Fedde, elles se sont développées dès la fondation d’ARMEPES-France, en 2010, et le lancement de notre site internet : www.mauritanie-egalite.org. Certains me recommandent de ne pas jamais sortir seul mais je suis croyant : ce qui doit arriver arrivera, à l’heure décrétée !
Comme je l’ai dit plus haut, certains de nos membres ont été violemment agressés : notamment à Modibougou, le vieux Fily Cissokho ; à Diandioumé, côté malien, le vieux Mountakha Diarrisso... Des intimidations sans effet dissuasif : une république ne doit-elle pas combattre les pratiques esclavagistes, voter et faire appliquer les lois en ce sens ? Cela dit, toutes ces affaires ont été étouffées, notamment à Modibougou, suite à de fortes pressions diverses et autres mystérieuses missions, dites « conciliatrices ». En cette occurrence, c’est l’influente tribu des Oulad Nassr qui a eu raison de la résistance du vieux Fily Cissokho. À Diandioumé, c’est la victime, Mountakha Diarisso, qui se retrouve convoquée, de gauche à droite… Son seul délit : refuser toutes pratiques esclavagistes et tenir des réunions de sensibilisation à son domicile…
- Décrivez-nous l’esclavage ou ses séquelles, en milieu soninkara ? Les autorités mauritaniennes ont-elles pris en compte vos revendications ?
- Dans la société Soni Karaa, la pratique esclavagiste varie en fonction des zones géographiques. Elle est subtile, au premier regard, mais non moins révoltante qu’ailleurs. Pendant l’hivernage, en certains villages du Kingui malien, des esclaves cultivent encore, les samedis, pour leur maître. C’est l’agression de Mountakha Diarisso qui nous a éclairés sur ces faits. L’esclavage, en Soni Karaa, est héréditaire. On hérite de ses esclaves comme on hérite de la mosquée, c’est ce que j’ai qualifié, tantôt, d’assignation patronymique. Dans cette société, on reconnaît généralement un esclave ou un noble par son nom de famille. La répartition des tâches et des fonctions s’organise à la lumière de cette suprématie patronymique.
Cette situation entretient beaucoup l’endogamie. Tout mariage hors cadre est sujet à des tensions, on agresse le couple ou une des deux personnes du couple banni, les unions entre castes différentes rebutent, même, les lettrés occidentalisés… Il arrive, hélas, que de tels couples cèdent à la pression familiale ou villageoise ; d’autres, une infime minorité, résistent et vivent leur vie, mais toujours sous pression. Quant aux séquelles de l’esclavage en communauté soninké, parlons-en ! La plupart de temps, les arguments qu’on m’oppose à ce sujet évoquent une forme « douce » de la domination, autrement dit, sa forme « acceptable ». Caricaturons : en quoi les séquelles d’un accident de voiture seraient-elles acceptables ? Celles d’une mauvaise intervention chirurgicale ? Le fait d’échapper à la mort suffirait-il à absoudre le dol ? Le guérir ?
L’absence de propriété foncière, selon le régime coutumier et féodal, marque la situation actuelle de la majorité des komos, c’est une conséquence évidente de la pratique esclavagiste. En certains villages dont je tairais toujours le nom – une précaution indispensable à la sérénité des débats – la femme esclave n’accomplit que la moitié du veuvage prescrit par le Saint Coran et la Sunna, alors que le droit de cuissage – rare, il est vrai – reste encore coutumier, ici et là. L’autre aspect des séquelles de l’esclavage – on peut le constater banalement – c’est l’accès limité à la science religieuse : en telle instruction, l’esclave est grossièrement appelé « seralanma », un sobriquet très parlant, dérivé de l’arabe « sha’ir » : poète. Selon les anciennes coutumes, les seules sciences « réservées » au seralanna, ce sont, officiellement, les louanges à la gloire du prophète (PBL) mais, en réalité, plutôt à celles des dignitaires maraboutiques.
Aujourd’hui, la société soninké est en pleine mutation. Le mouvement Ganbanaaxu Fedde avance. Qu’on l’aime ou le déteste ne changera rien à la dynamique et à la nécessité des réformes. Celles-ci commencent à toucher les victimes des vestiges discriminatoires et ségrégationnistes, conséquences de l'esclavagisme naguère affreusement pratiqué. Les choses bougent. Nous avons transmis deux courriers, au président de la République islamique de Mauritanie, et, pour alerter les autorités, publié plusieurs communiqués, via les réseaux sociaux, par notre cellule de communication. Nous en avons reçu des échos favorables. Mais, quand des affaires concrètes se présentent – expropriation sur fond d’esclavage ou apologie de ce crime, par exemple – et qu’il s’agit d’appliquer, tout simplement, la loi, la main de l’État chancelle.
Ce n’est pourtant que l’application rigoureuse de la loi 031-2015 qui peut nous garantir la paix sociale. Les lois de la République doivent l’emporter sur les bon-vouloir d’un chef coutumier, chef de clan ou autre, il ne peut pas en être autrement dans un État de droit crédible. Le 6 Mars 2018, lors de la célébration, à Sélibaby, de la Journée nationale de lutte contre l’esclavage, nous avons tous entendu « le juge Bâ Aliou, président de la Cour spéciale de justice chargée des crimes esclavagistes de la zone Est, qui regroupe les deux Hodhs, l’Assaba et le Guidimakha, largement expliquer le contenu de la Loi 2015-031 criminalisant les pratiques esclavagistes ». Mais ce qui laisse perplexe, c’est de nous avoir annoncé que sa Cour ne compte que trois dossiers traités, depuis 2015, sur l’ensemble du territoire ! Sommes-nous sérieux dans ce combat ? Manquons-nous d’informations ? Dans ce déni, quelle est la part de responsabilités des ONG ?
- Est-il vrai que les descendants d’extraction servile ne peuvent être imams ni chefs de village ; ne parviennent que difficilement à se présenter à des postes électifs ; et ne sont pas enterrés dans les mêmes cimetières que leurs anciens maîtres ?
- En chacun de nos villages comme en toute entité le représentant, la loi des castes et la féodalité crachent le souffre pour caricaturer ; entendez par là : sèment la discorde. Des divers points de nos réformes, c’est, en effet, surtout la gestion de l’imamat qu’on met en avant. Lors de mon entretien avec le conseiller du président de la République, monsieur Sidney Sokhona, j’ai pourtant évoqué tous ces points, en détail et globalité, tous importants et nécessaires, dans l’intérêt même de nos communautés respectives, surtout celles de sensibilité mandingue ou sénégalo-guinéenne où le système de castes fait de la résistance. Soyons clair : en ce qui concerne l’imamat, nous ne voulons déposséder personne de « sa » mosquée, ni le traîner hors d’une quelconque autre. Nous voulons, tout simplement, être autonomes et c’est cela ce qui fait peur, au fond : construire nous-mêmes nos mosquées et y prier, sans personne pour les gérer à notre place, ni bénédiction de quiconque, ni cooptation patronymique. Qui souhaite y venir est bienvenu, en frère de religion.
Nous ne ruminons ni haine, ni rancœurs. Nous ne cherchons pas, au nom de la fraternité, à venger nos aïeux usés, abusés, abattus comme des lapins, pour certains ; enterrés comme des piquets, quand ils étaient petits, pour d’autres ; avec changements de nom de famille ou déshéritage, parfois. En ce qui concerne la chefferie, un chef de village ne pèse pas, aujourd’hui, sur la gestion de celui-ci, compte-tenu de la proximité de l’administration, mais c’est un référent coutumier qui nécessite réforme. C’est encore un point sur lequel Ganbanaaxu Fedde a été longtemps caricaturé et incompris. Cette incompréhension arrange peut-être certains ; serait-elle donc volontairement entretenue ? Que les tenants de l’ordre féodal se rassurent ! Nous proposons un débat de société et poser des éléments objectifs en ce sens n’est pas lancer un ultimatum pour la fin de la chefferie. Cette chefferie, oui, nous la voulons autrement et proposons, à cette fin, le recours au droit d'aînesse, sans condition patronymique, de sorte que le plus âgé soit notre chef coutumier à tous. On peut adhérer ou ne pas adhérer à cette proposition mais c’est un débat de société. Aujourd’hui, une seule lignée ou quelques familles ont droit à la chefferie ; on avance, en ce sens, des justifications historiques ou généalogiques mais ces arguments ne sont manifestement plus adaptés, comme en témoigne le nombre croissant de frictions et de tensions.
Pour solidifier nos liens, je crois que nous devrions choisir, ensemble, notre référent coutumier, les modalités de désignations de notre chef, natif du village ou descendant des natifs du village, sur le seul critère de l’âge, sinon d’autres, à discuter ensemble, mais, en tous les cas, le statu quo n’a plus d’avenir. C’est un débat de société, je le répète, qui ne devrait ni énerver ni exciter personne. Quant à l’accès des descendants d’esclaves aux postes électifs, les premières élections municipales ont animé des discours qu’on croyait ne jamais entendre, de la part de certains dignitaires connus pour leur esprit d’ouverture. Je rappellerai simplement, ici, un cas souvent cité en exemple, celui de l’ancien maire de Bouanze, monsieur Dio, que j’ai rencontré personnellement, chez mon cousin, à Sélibaby, il y a quelques années, alors qu’il était encore en fonction. Constatons aussi qu’à l’UPR, le premier parti politique actuellement au pouvoir, la plupart des maires et députés, toutes ethnies confondues, sont issues de la féodalité. Justifier cette réalité par le seul fait colonial est, tout-à-la-fois, maigre et aigre. A tout le moins, la promotion politique des descendants d’esclaves, dans les grands appareils politiques, méritent un colloque ; en tout cas, une attention particulière. Pour ce qui est des cimetières, enfin, je n’ai entendu parler que d’un ou deux villages dont les ressortissants m’ont confirmé la réalité d’une pratique aussi honteuse qu’à peau dure. Cimetières séparés ou un même cimetière cloisonné – nobles enterrés à l’Est, esclaves à l’Ouest – mais je préfère, ici encore, ne pas citer de nom, tant sensible reste cette question.
- Cette discrimination, qui touche des lieux cultuels et mortuaires, mobilise-t-elle des érudits soninkés au Guidimakha ?
- De ce que je peux en dire, personnellement, je n’ai jamais eu, depuis mon jeune âge, le moindre écho d’une remise en cause de cette réalité, pas même dans un sermon ou conférence d’un quelconque érudit. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas, parmi ces savants, des gens que cette situation offusque et interpelle. L’islam est une religion de réformes, tout musulman sincère devrait donc être progressiste…
- Beaucoup de conflits se sont déclarés dans les villages, sur fond d’expropriation de terres ou mosquées, voire d’expulsions : Diaguily, Coumbandao, Daffort, Bouanze, Oulouboni, Tachott, etc. Avec un même point commun : le rejet des coutumes esclavagistes. Pourquoi la loi n’a-t-elle pas été appliquée, en chacun de ces cas ?
- Il faut dire qu’à chaque fois où des litiges de cette nature arrivent sur les bureaux des autorités régionales, l’aspect esclavagiste n’est jamais mis en avant. Aussi les plaignants doivent-ils exiger copie de leurs procès-verbaux, se faire accompagner par quelqu’un sachant lire le contenu dudit document, refuser tout compromis et exiger la formulation explicite du dol, pour que la loi puisse s’appliquer. L’argument du « C’est sa terre » ne vaut rien, quand la loi stipule, expressément, que la terre appartient à celui qui la met en valeur. Beaucoup de dossiers liés à l’expropriation sont en souffrance au tribunal de Sélibaby, les protagonistes n’arrêtent pas de faire des aller-retour, parfois toute la journée à attendre dans la cour, sans un seul mot des autorités judiciaires, sinon s’entendre fixer un autre rendez-vous ! À Tachott Botokholo, il y a eu quatorze expropriations. Le représentant local d’AMEES, monsieur Sidibé Moro, et son homologue de Sélibaby, monsieur Diaguily Traoré, ont réalisé un travail remarquable. Le préfet en personne s’est déplacé mais, si j’ai bonne mémoire, seuls deux des quatorze expropriés se sont présentés. L’un de ces deux n’a pas pu présenter de témoins – c’est ce qu’exige le procureur de Sélibaby – le second attend d’être à nouveau convoqué par celui-ci.
Quant à l’affaire de la mosquée de Coumbado, le bâtiment est à la communauté de Ganbanaaxu, ils veulent la récupérer pour y prier les vendredis. La décision a été prise pour éviter tout conflit, dans le seul lieu de culte dédiée à la grande prière hebdomadaire, je ne peux pas donner plus de détails, sensible, la question est en cours d’examen, mais nous restons vigilants à ses développements. Précisons ce que j’ai dit tantôt : la loi n’est pas appliquée, parce que toute plainte sur fond d’esclavage indispose les autorités et la féodalité régionale, qu’on l’admette ou non, n’est pas innocente, dans le processus foireux des plaintes. La logique appliquée systématiquement est la suivante : négociation, négociation… quand ça les arrange! Lorsque nous avons demandé de négocier, quand nos frères d’Ouloumbonni étaient en prison, de l’argent a été collecté, pour prolonger leur détention à la prison civile de Sélibaby ! J’en ai la preuve.
- Après la célébration de la Journée nationale contre l’esclavage et ses séquelles, à Sélibaby, avez-vous l’espoir que la loi soit appliquée, pour mettre fin, dans les villages, aux conflits qui risquent dégénérer, un jour ou l’autre ?
- La prise de conscience des victimes augmente de jour en jour. Notre credo, à Ganbanaaxu Fedde, est de jamais corrompre la justice de notre cher pays. Oui, j’ai espoir que la loi s’applique, non pour se satisfaire des démêlés judiciaires d’un quidam, mais pour la paix sociale. Les lois de la République doivent être appliquées à tous, elles doivent l’emporter sur les coutumes féodales.
- Question politique, comment expliquez-vous que tant de partis, de la majorité au pouvoir comme de l’opposition, refusent si souvent de parrainer, lors d’élections, des candidatures de personnes d’extraction servile ?
- C’est une question de myopie politique et d’égoïsme. À dire vrai, si la politique est rude – un vrai combat de gladiateur – c’est aussi gestion de la cité. Comment donc ne pas se rendre compte, si l’on a une once de sincérité, qu’il y a problème, à l’Assemblée nationale ? Une couche sociale en est pratiquement absente. Pour ce qui est plus précisément de votre question, j’y ai répondu en partie, un peu plus haut. La couche d’extraction servile n’est que clientèle politique, « cheptel votant », disais-je. C’est à elle de s’organiser. Attendre manne et cailles d’un politicien équivaut à volonté de suicide politique. Y échapperait-elle qu’elle se retrouverait alors en coma politique profond, comme un pot de Gloria – sitôt usé, bon à jeter – une image souvent évoquée par Mamadou Wagui Korera, dans une de ses récentes émissions.
La couche d’extraction servile doit s’organiser, non pas en revanchards mais en réformateurs. L'un de nos objectifs prioritaires, en cette attitude, est d'éveiller et de promouvoir une conscience politique libre et citoyenne, parmi nos membres.
- Avez-vous un message à transmettre au pouvoir, aux partis de l’opposition, aux ONG et à la Société civile mauritanienne ?
- Ganbanaaxu Fedde propose beaucoup de réformes à mener, pour le bien de Soni Karaa. Nous n’avons de compte à régler avec personne, nous ne sommes pas obsédés par les filles de tel ou tel patronyme, nous voulons une société de progrès, de fraternité, la vraie fraternité ! Comprenant l’animosité des uns et des autres envers notre volonté de réformes, nous leur disons : chaque société à sa phase de transition, inéluctable. Que les esprits progressistes conjuguent leurs efforts pour réformer notre Soni Karaa ! Les anciens us et coutumes n’ont plus la même teneur, les codes de valorisation sociale doivent être transférés sur les mérites, au nom de l’utilité commune !
Aux autorités mauritaniennes d’entendre qu’en un minimum de temps, beaucoup de choses peuvent être accomplies, si l’arsenal juridique criminalisant les pratiques de l’esclavage et de ses séquelles est appliqué sans faillir. L’agence TADAMOUN devrait se pencher sur d’autres communautés, pour réaliser, partout, les infrastructures nécessaires, en divers domaines, partout, sans perdre de vue les zones prioritaires.
Aux partis politiques de prendre en compte tous les enjeux, dans les colloques et débats. L’obsession de nos partis d’opposition, c’est tant exclusivement le pouvoir que beaucoup de jeunes ne croient plus en leur discours : trop de querelles internes, stériles, bloquant toute alliance efficace. Le problème est que cette opposition n’arrive à se donner une même priorité. Minée par des opportunistes et l’impatience de certains, ralliés, en catimini, au pouvoir, sans pouvoir l’assumer. Être avec le pouvoir n’est pas, en soi, un défaut mais, trop opportuniste ou impatient, on devient moins crédible ! L’opposition devrait enterrer, à jamais, la stratégie du boycott. Celle-ci a distingué certains de nos députés qui font honneur à notre hémicycle, mais d’autres qui… je n’ai rien dit !
La Société civile constitue un immense espoir pour des milliers de Mauritaniens. Je lui souhaite une plus grande autonomie, dans ses mouvements, libre de toute fibre sensible. Restons constants dans nos principes, le combat pour la liberté et la dignité humaine demande des sacrifices, de la patience et de la lucidité, face aux épreuves ! Mes sincères salutations et encouragements à votre site Guidumakha.com
Source : http://guidumakha.com/index.php/14-sample-data-articles/133-mauritanie-m...
* ARMEPES-France: (Association des Ressortissants Mauritaniens pour l'Éradication des Pratiques Esclavagistes et ses Séquelles)