Les protégés du Prophète/ Ces Compagnons venus d’ailleurs(6) Par Moussa Hormat-Allah

29 March, 2018 - 02:05

Dans l’inconscient collectif, quand on évoque les noms de Bilal, Ammar, Salem…, la première chose qui vient à l’esprit, est qu’il s’agit de gens du petit peuple mecquois qui ont été sauvagement torturés par les mécréants Koraïches pour avoir embrassé l’Islam. De pauvres esclaves démunis, sans soutien tribal ou clanique, auxquels on a fait subir les châtiments les plus cruels pour les forcer à renier leur foi dans le message de l’Islam.

Rarement, on mesure à sa juste valeur le rang éminemment élevé et l’aura que leur a conférée, en pionniers, leur adhésion bénie au message divin de Mohammed.

Rarement, on se souvient des versets coraniques et des hadiths qui ont magnifié ces croyants de la première heure et les ont propulsés au firmament de la spiritualité, de la vertu et de la ferveur religieuse.

Rarement, on se souvient que le Prophète et ses califes leur ont donné la prééminence sur la quasi-totalité des autres Compagnons pourtant à la généalogie prestigieuse et dont certains, de surcroît, sont de proches parents du Messager de Dieu.

On a comme l’impression diffuse que le souvenir de ces monuments de l’Islam s’est quelque peu étiolé au fil du temps et qu’ils sont, c’est le moins qu’on puisse dire, relégués au second plan dans la mémoire collective.

En revanche, le souvenir de leurs compagnons est encore vivace. Est-ce parce qu’ils étaient issus d’une classe prétendument inférieure – ce qui est loin d’être une tare ? Peut-on, doit-on mesurer les mérites des Compagnons du Prophète à l’aune de leurs origines sociales ? Nullement.

Autant du vivant du Prophète, ils étaient respectés, honorés et parfois mêmes vénérés autant, au fil des siècles, les musulmans, consciemment ou non, semblent les confiner – non sans une admiration ambiguë – dans le statut clivant d’anciens esclaves qui ont bravé la mort pour conserver leur foi.

(…) Ces illustres Compagnons doivent retrouver la place qui leur sied dans la mémoire collective. La seule place qui vaille, celle où les ont placés Dieu et Son Prophète. 

Le Calame vous propose de découvrir ces éminents Compagnons venus d’ailleurs. Chaque semaine nous proposerons à nos lecteurs de faire plus ample connaissance avec l’un de ces Compagnons à partir d’extraits du livre de M. Moussa Hormat-Allah, intitulé : Les protégés du Prophète ou ces Compagnons venus d’ailleurs. Aujourd’hui Salem, l’affranchi d’Abou Houdhayfa

 

Salem, l’affranchi d’Abou Houdhayfa

 

Salem, l’affranchi d’Abou Houdhayfa

 

Il s’agit de Salem, l’affranchi d’Abou Houdhayfa, l’un de ces Compagnons venus d’ailleurs.

S’agissant principalement de Salem, une mise au point s’impose, d’entrée de jeu. Deux témoignages – et pas n’importe lesquels – donnent, déjà, une idée de la dimension exceptionnelle de la personnalité de cet illustre Compagnon. Ainsi, le Prophète lui a dit : « Louange à Dieu qui a donné à ma communauté un homme comme toi(1) ».

Pour sa part, Omar, sur son lit de mort, dit aux Compagnons du Prophète : « Si Salem, l’affranchi d’Abou Houdhayfa, était encore parmi nous, je l’aurais nommé pour me succéder(2) ».

Les deux témoignages qui précèdent appellent une petite explication de texte. Dans l’absolu, celui du Prophète est on ne peut plus parlant. Pour le Messager de Dieu, Salem est, sans doute, sinon le meilleur de la Oumma du moins, l’un des tous meilleurs.

Le témoignage d’Omar est tout aussi explicite. « Si Salem, l’affranchi d’Abou Houdhayfa, était encore parmi nous, je l’aurai nommé pour me succéder ». Omar dont la rigueur, la droiture, la dévotion et la piété sont légendaires met ainsi en exergue les qualités intrinsèques de Salem. Ce témoignage est d’autant plus fort qu’il a été fait à l’article de la mort devant le comité des six Compagnons convoqués par le calife mourant pour désigner parmi eux son successeur(3). Omar s’adressait à Othman, Ali, Saâd, Zoubeïr, Talha et Abderrahmane Ibn Awf. Des monuments de l’Islam naissant.

Ces six Compagnons font partie des dix personnes promises au Paradis.

Ils rivalisaient de courage, de piété, de dévotion et de vertu. Sans oublier qu’ils sont issus de la fine fleur des Koraïches avec une généalogie prestigieuse et des liens de proche parenté avec le Prophète dans la proximité duquel ils ont toujours vécu.

Comment donc Omar pouvait-il donner la prééminence sur eux à Salem, un ancien esclave, de père inconnu ?

Mais Omar avait ses raisons. L’Islam ne fait-il pas abstraction de la condition matérielle, de l’origine sociale ou ethnique des croyants ? Le Coran ne dit-il pas que le plus noble d’entre vous auprès de Dieu est le plus pieux ?

Salem était donc un esclave qui appartenait Abou Houdhayfa, un oligarque Koraïchite. Dès que le Prophète commença à prêcher la nouvelle religion, ils s’empressèrent tous les deux pour faire leur profession de foi. Aussitôt après leur conversion, le maître libéra l’esclave. Mieux encore, Abou Houdhayfa adopta Salem comme son fils, une pratique courante dans l’Arabie préislamique.

Mais avec la Révélation du Verset coranique abrogeant et interdisant l’adoption, on n’appela plus Salem dont le père était inconnu que sous l’appellation : Salem, l’affranchi d’Abou Houdhayfa.

Une enfance passée ensemble, une amitié née des épreuves et des liens affectifs très forts ont tissé une relation fusionnelle entre les deux hommes. Avec l’Islam, la foi et la piété viendront cimenter cette relation. Autant de facteurs qui feront qu’Abou Houdhayfa et Salem deviendront inséparables. Ils subiront ensemble les brimades et les persécutions des mécréants Koraïchites. On leur infligera toutes sortes de supplices. Mais ils résisteront avec courage et stoïcisme.

Pour fuir les persécutions, ils émigreront avec d’autres musulmans en Abyssinie chrétienne(4) avant d’émigrer, à nouveau, à Médine où ils attendront l’arrivée du Prophète dans la Ville lumineuse.

A Médine, Abou Houdhayfa donnera en mariage sa nièce Fatima Bint Al-Walid Ibn Outba à Salem. Ce qui scellera définitivement l’appartenance de ce dernier à la famille de son ancien maître.

Avant l’arrivée du Prophète et durant tout le séjour des Mouhajirines (émigrés) à Qouba, station située à la périphérie de Médine, ce fut Salem à qui revint l’insigne honneur de diriger la prière. Il fut ainsi le premier imam des musulmans après l’émigration. Car en plus de la piété et de la dévotion, Salem était aussi un grand érudit. Il récitait par cœur le Saint Coran. De plus, il le déclamait d’une voix envoûtante.

A ce sujet, Aïcha témoigne : « Un jour, je me suis attardée plus que de coutume à la mosquée. En revenant à la maison, le Messager de Dieu m’a dit : « Où étais-tu ? » J’ai répondu : « Nous étions en train d’écouter un de tes Compagnons nous réciter le Coran à la mosquée. Ô Messager de Dieu, je n’ai jamais entendu pareille lecture, ni pareille voix parmi tes Compagnons ». Il se leva et nous partîmes ensemble à la mosquée. L’Envoyé de Dieu se mit à écouter puis se tourna vers moi et me dit : « C’est Salem, l’affranchi d’Abou Houdhayfa ! Louange à Dieu qui a mis au sein de ma communauté un homme comme lui(5) ».

Salem excellait non seulement dans la déclamation du Coran mais aussi dans son interprétation. Il était l’un des meilleurs exégètes de son époque. Le Prophète a dit de lui : « Prenez les sciences du Coran de ces quatre personnes : Abdallah Ibn Messaoud, Salem, l’affranchi d’Abou Houdhayfa, Oubey Ibn Kaâb et Mouad Ibn Jebel ».

Salem prit part à toutes les campagnes menées par le Prophète. D’une grande intrépidité, il fut un vaillant combattant. Mû par une foi inébranlable, il se distinguera par son franc parler, Salem savait en user quand il était en face d’une injustice ou d’un acte condamnable et ce quel qu’en soit l’auteur. La querelle verbale qui l’opposa, un jour, à Khalid Ibn Al-Walid en est la meilleure illustration.

Le célèbre général musulman fut envoyé par le Prophète pour une mission bien définie auprès de tribus arabes dans la péninsule arabique. Un regrettable malentendu amènera Khalid à combattre et à tuer des hommes alors que ceux-ci venaient d’annoncer leur conversion à l’Islam. Salem qui était très au fait des Textes fondateurs de l’Islam, c’est-à-dire le Coran et la Sounna, s’opposa énergiquement à cet agissement de Khalid et le condamna en des termes sévères. A cet instant précis de l’altercation, Salem ne voyait plus Khalid comme un noble Koraïchite, commandant de l’expédition, mais en musulman qui a failli à son devoir et qui devait être ramené dans le droit chemin. Dès qu’il fut informé de cet acte répréhensible, le Prophète, courroucé, s’adressa à Dieu en ces termes : « Mon Dieu, je désapprouve ce qu’a fait Khalid ». Puis, le Messager de Dieu demanda si quelqu’un dans l’armée musulmane avait désavoué l’acte de Khalid. On lui dit que Salem l’avait désavoué. La colère du Prophète s’apaisa alors : se réjouissant ainsi que dans sa communauté, il y a et il y aura toujours des hommes qui s’opposeront à tout ce qui est contraire aux valeurs de justice, de morale et d’équité prônées par l’Islam. Khalid fut profondément affecté par cet incident regrettable. Il présenta ses excuses à Salem. Mais il ne tardera pas à se racheter. En effet, après la mort du Prophète, l’Etat musulman naissant allait traverser une zone de turbulence qui menaçait jusqu’à ses fondements même.

C’est ainsi que beaucoup de tribus arabes voulurent s’affranchir de la tutelle de l’Etat de Médine en refusant de payer la Zakat, l’impôt dû par les riches aux pauvres. Abou Bakr les combattit avec beaucoup de fermeté. Il livra contre eux des guerres connues sous le nom de « guerres d’apostasie ».

Concomitamment, on assista à l’apparition de faux prophètes comme Moussaylima, l’imposteur.

C’est dans ce contexte particulièrement sensible que se déroula la bataille historique d’Al-Yamama qui opposa les musulmans aux apostats conduits par Moussaylima, l’imposteur. L’issue de cette bataille pouvait décider du destin de l’Islam naissant.

Lors de cette bataille d’une férocité inouïe, Salem et son ancien maître Abou Houdhayfa étaient, comme toujours, en première ligne.

Dès le début des hostilités les charges de l’ennemi furent d’une violence telle que les lignes de l’armée musulmane furent défoncées. Un début de débandade commença à s’emparer du camp musulman. Mais avec l’aide de Dieu, l’intervention de deux hommes allait changer le cours des événements. Ces hommes n’étaient autres que Khalid Ibn Al-Walid et Salem, l’affranchi d’Abou Houdhayfa.

Meneur d’hommes doué d’un charisme, d’une intelligence et d’un courage hors du commun, Khalid Ibn Al-Walid, excellait dans la stratégie et l’art militaire.

Juché sur un monticule, il lança du haut de son cheval un regard enveloppant sur le champ de bataille.

Le visage fermé, le nez aquilin, les yeux rivés sur les belligérants, il avait l’ai d’un rapace qui allait fondre sur sa proie. Sur le monticule, son imposante silhouette se détachait à l’horizon sur fond d’un paysage montagneux, grandiose et tourmenté. Sa stature semblait taillée dans le roc. Ceint de son épée, il portait sa cote de maille et tenait d’une main son bouclier et de l’autre sa lance. Il était, pour le moins qu’on puisse dire, impressionnant. Il avait quelque chose de surhumain. Il semblait venir d’une autre galaxie. Sa seule vue devait donner la trouille au plus valeureux des combattants. Il continuait toujours à scruter le champ de bataille à la recherche de quelque chose qu’on ne voyait pas.

Il était d’un calme olympien. Il demanda qu’on fit, un instant, le silence autour de lui pendant qu’il réfléchissait.

Le regard perdu au loin, il semblait faire défiler dans sa tête les multiples batailles qu’il a livrées et dont il est toujours sorti vainqueur. Lui, auquel le Prophète avait accolé le surnom tant envié de « glaive de Dieu et de Son Prophète » pouvait-il perdre une bataille qui engage l’avenir et le devenir de l’Islam ? Que pourra-t-il dire, demain, au Prophète devant le Souverain Juge ? Obnubilé par la bataille qu’il a engagée, il faisait et refaisait, mentalement, les plans d’attaque. Il comprit que l’attaque frontale n’était pas la solution en raison de la supériorité numérique de l’armée des mécréants.

Puis un déclic se produisit sous la forme d’un mot : Badr ! Instinctivement, il décela les failles et les points faibles du dispositif ennemi. Il procéda alors à un redéploiement tactique de ses unités centrales et latérales.

Bien qu’il fût alors dans l’autre camp, il s’inspira ainsi du plan du Prophète lors de la mémorable bataille de Badr.

En formation de combat, l’armée du Messager de Dieu était disposée en cinq parties : l’avant-garde, l’arrière-garde, le cœur et les ailes. Son schéma d’attaque arrêté, Khalid fit circuler le mot d’ordre et donna l’assaut général.

C’est à ce moment précis qu’intervint Salem. Il hissa l’étendard et fendit les lignes ennemies en donnant des coups d’épée à droite et à gauche. De sa voix puissante, il haranguait les musulmans pour les pousser à combattre avec plus de conviction et de vigueur. Il ne cessait de crier : « Ce n’est pas de cette façon que l’on combattait avec le Messager de Dieu ». Puis, il récitait à haute voix ce Verset coranique : « Combien de prophètes ont combattu, en compagnie de beaucoup de disciples, ceux-ci ne fléchissent pas à cause de ce qui les atteignit dans le sentier de Dieu. Ils ne faiblirent pas et ils ne cédèrent point. Et Dieu aime les endurants(6) ».

Les combattants musulmans essayèrent de le retenir, en vain. « Nous craignons pour toi, donne l’étendard à un autre. Salem répondit : « Quel mauvais homme ayant appris le Coran par cœur serais-je alors ? »

Mais ce qui devait arriver, arriva. Les partisans de Moussaylima l’imposteur remarquèrent, en effet, ce combattant musulman qui non seulement se battait avec courage mais, en plus, par ses propos galvanisait l’armée musulmane. Ils cherchèrent alors à le neutraliser. Il fit encerclé et mortellement blessé.

« A la fin de la bataille, tandis que les musulmans victorieux s’enquerraient des blessés et des martyrs, on le trouva avec le dernier soupir. Il leur dit : « Qu’a fait Abou Houdhayfa ? » On lui dit : « Il est tombé en martyr ». Il dit : « Enterrez-moi à côté de lui ». On lui dit : « Il est à côté de toi, Salem. Il est tombé en martyr au même endroit que toi ». Alors, il esquissa son dernier sourire et ferma les yeux pour toujours.

Ainsi, Salem et Abou Houdhayfa vécurent ensemble, embrassèrent l’Islam ensemble, combattirent ensemble sur le chemin de Dieu et tombèrent en martyr ensemble(7) ».

« Ainsi mourut cet homme juste et véridique à propos duquel Omar Ibn Al-Khattab avait dit, sur le point de mourir : « Si Salem était encore vivant, c’est à lui que j’aurai confié ma succession ». Comme hommage, on ne pouvait trouver mieux(8)».

Salem était l’un de ces Compagnons venus d’ailleurs qui par leurs qualités morales et spirituelles exceptionnelles se sont hissés au summum de la Oumma. Mais quelques grandes qu’étaient ses qualités intrinsèques, il n’était pas le seul à occuper ce rang tant envié. L’Ecole du Prophète, à nulle autre pareille, à produit d’autres illustres Compagnons parmi les faibles et les démunis, à l’instar d’Othman Ibn Madhoun.

(A suivre Othman Ibn Madhoun)

 

(1) Hadith du Prophète rapporté par Al-Hâkim d’après Aïcha, approuvé par Ad-Dahabî.

(2) Il s’agissait notamment d’Othman, Ali, Saâd Ibn Ebi Waquass, Zoubeïr, Talha et Abderrahmane Ibn Awf.

(3) cf. Moussa Hormat-Allah, Mohammed, le vrai visage du Prophète de l’Islam, op.cit.PAGE ?

(4)  cf. Amina Yagi, op.cit.p.121.

(5) cf. Messaoud Abou Oussama, op.cit.p.192.

(6) Coran, III, Verset 146.

(7)  Khalid Mohammed Khalid, op.cit, p.129 et s.

(8)  Messaoud Abou Oussama, op.cit, p193.