Dégradation de l'Etat de droit en Mauritanie : l’AMDH tire sur la sonnette d’alarme

2 March, 2018 - 19:57

L’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH) pointe un doigt accusateur sur le recul des libertés, la situation alarmante dans les prisons et le sort peu enviable des défenseurs des droits de l'Homme. L’AMDH exprimait ainsi, vendredi 2 Mars, ses vives craintes, quant à la dégradation de la situation de l'État de droit en Mauritanie. A deux mois de la réunion, à Nouakchott, de la 62ème session de la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples.  « […] Les entraves à la liberté́ d'association, de manifestation, de circulation et de réunion sont constantes et grandissantes dans le pays. En effet, malgré́ les recommandations, répétées, de la Société́ civile mauritanienne, les libertés, acquis garantis par la Constitution, ne sont pas respectées », déplore l’AMDH, dans un communiqué diffusé à la fin de la conférence de presse animée, conjointement, par maître Fatimata M’Baye, présidente, entourés de M’Bow Amadou, secrétaire général, et de leurs collaborateurs Ousmane Chérif Touré  et Pierre Brunisso.

Les militants alertent les autorités sur la nécessité d’appliquer les textes qu’elles ont, elles-mêmes, promulgués. « A travers le projet que nous exécutons, nous avons constaté beaucoup de problèmes. Il va falloir dépasser les obstacles administratifs qui empêchent la Société civile d’assister les populations vulnérables confinées dans des lieux de non-droits, de faire prévaloir les droits des migrants. D’autant que les populations-cibles – enfants et femmes vulnérables – se retrouvent dans des situations inacceptables en 2018. Il est nécessaire de sensibiliser les populations, afin qu’elles puissent connaître les lois sur la torture et l’esclavage », plaide  Ousmane Chérif Touré, coordinateur du projet « État de droits », au sein de l’AMDH.

La situation empire : « Nous avons constaté une dégradation des libertés, notamment celle de circuler, avec des rafles continues ; alors que les enfants migrants sont confrontés à des problèmes liés à l’inscription aux examens nationaux, l’accès à l’état-civil est réduit et ils n’arrivent pas à s’enrôler, alors que les concours (santé et éducation) sont les seuls espoirs d’emploi », souligne Touré.

Les patrouilles, dans les quartiers périphériques, sont également indexées par les défenseurs des droits humains. Selon eux, les citoyens sont acculés par  la police  et la Garde qui ont, certes, le droit de mener des fouilles et  de contrôler l’identité des personnes mais dans le respect des règles. Des plaintes sont sans cesse formulées, à un rythme vertigineux, mais n’aboutissent jamais. «  Dès qu’ils nous attrapent, ils nous accusent de vol. Nous sommes insultés et frappés », se plaignent de nombreux jeunes de ces quartiers. Un phénomène devenu récurrent.

Autre récriminations : l’usage disproportionné de la force, par la police anti-émeute, lors de manifestations pacifiques. « La police se doit de protéger les manifestants contre les intrus. Alors qu’en Mauritanie, les forces de police répriment les manifestants pacifiques ».  Pour maître M’baye, c’est une obligation de l’État de protéger les citoyens. Les plaintes pour torture sont classées sans suite et les réquisitions de médecin, en cas d’allégations de sévices, sont systématiquement rejetées, par le Parquet. Les médecins ont une peur bleue de délivrer des certificats médicaux ou de décès, lors  de mort suite à un emprisonnement ou arrestation. « Le fossé se creuse, entre les populations et les autorités », déplore Ousmane Touré. Malheureusement, la Société civile censée jouer le rôle de tampon et de contrepouvoir n’existe pas. La loi relative à la Société civile n’a pas été promulguée. Et les défenseurs des droits humains sont considérés, à l’instar des militants de l’ MDH,  sont considérés comme des opposants

 

Niet catégorique

« La situation des lieux de privation de liberté́ ne s'est pas améliorée. Particulièrement alertée, ces derniers mois, l'AMDH s'inquiète de la situation des détenus et personnes interpellées. En contradiction avec les instruments nationaux et internationaux ratifiés par la Mauritanie, les plaintes concernant les allégations de torture ne sont pas prises en compte par les autorités judiciaires compétentes et font souvent l’objet d’un classement sans suite. […] En outre, l'accès aux lieux de détention est désormais impossible, pour les différents acteurs de la Société civile mauritanienne. Depuis 2017, l'AMDH n'a obtenu  aucune autorisation en ce sens, malgré ses multiples démarches et courriers adressés aux services compétents des ministères de la Justice et de l’intérieur, renseigne le communiqué.

« Le projet « État de droit » initié fin 2017 se retrouve bloqué », se désole Pierre. Car 70% des activités de soutien juridique aux personnes exposées à  l’extrême vulnérabilité sont programmés dans les lieux de détention. Le français et ces collègues s’interrogent  sur les raisons de ce blocage. « Les différentes demandes d’accès aux lieux de détention ont  pris des chemins tortueux », remarque Touré. « Ce refus  est inquiétant. Les prisons sont des lieux de torture par excellence et c’est symptomatique d’une dégradation qui ne dit pas son nom ». Le projet « État de droit » entend fournir un soutien juridique, en plusieurs prisons et quartiers déshérités de Nouakchott. « Par son seul silence, la direction des services pénitenciers durcit la procédure d’accès aux lieux de détention. Face à cette situation de non-droit, l'AMDH exige la fin immédiate de ce blocus, pour permettre, aux détenus, de bénéficier des aides juridiques et judiciaires nécessaires ».

Le SG de l’AMDH, Amadou M’Bow, abonde dans le même sens : « C’est un signe fort d’un recul des acquis, avec, notamment, la requête formulée, par diverses organisations internationales, pour une  rétrogradation de la Commission nationale des droits de l’homme du statut A à celui de B. Cette forte demande montre la suffisance et  l’incompétence de la CNDH ». Convaincue que la Société́ civile est un des piliers d'une démocratie qui progresse, l'AMDH s'inquiète, également, des restrictions adressées à l'égard des organisations de protection des droits de l'Homme et des défenseurs de droits humains. « La fondation d'association », constate enfin le communiqué, « est soumise à un régime d'autorisation qui ne respecte pas le Pacte International des Droits Civils et Politiques, signé et ratifié par la Mauritanie. Au surplus, la possibilité de se réunir est également soumise à ce régime et les évènements organisés par la Société́ civile sont, désormais, systématiquement refusés ».

 

Compte-rendu THIAM