Dans l’inconscient collectif, quand on évoque les noms de Bilal, Ammar, Salem…, la première chose qui vient à l’esprit, est qu’il s’agit de gens du petit peuple mecquois qui ont été sauvagement torturés par les mécréants Koraïches pour avoir embrassé l’Islam. De pauvres esclaves démunis, sans soutien tribal ou clanique, auxquels on a fait subir les châtiments les plus cruels pour les forcer à renier leur foi dans le message de l’Islam.
Rarement, on mesure à sa juste valeur le rang éminemment élevé et l’aura que leur a conférée, en pionniers, leur adhésion bénie au message divin de Mohammed.
Rarement, on se souvient des versets coraniques et des hadiths qui ont magnifié ces croyants de la première heure et les ont propulsés au firmament de la spiritualité, de la vertu et de la ferveur religieuse.
Rarement, on se souvient que le Prophète et ses califes leur ont donné la prééminence sur la quasi-totalité des autres Compagnons pourtant à la généalogie prestigieuse et dont certains, de surcroît, sont de proches parents du Messager de Dieu.
On a comme l’impression diffuse que le souvenir de ces monuments de l’Islam s’est quelque peu étiolé au fil du temps et qu’ils sont, c’est le moins qu’on puisse dire, relégués au second plan dans la mémoire collective.
En revanche, le souvenir de leurs compagnons est encore vivace. Est-ce parce qu’ils étaient issus d’une classe prétendument inférieure – ce qui est loin d’être une tare ? Peut-on, doit-on mesurer les mérites des Compagnons du Prophète à l’aune de leurs origines sociales ? Nullement.
Autant du vivant du Prophète, ils étaient respectés, honorés et parfois mêmes vénérés autant, au fil des siècles, les musulmans, consciemment ou non, semblent les confiner – non sans une admiration ambiguë – dans le statut clivant d’anciens esclaves qui ont bravé la mort pour conserver leur foi.
(…) Ces illustres Compagnons doivent retrouver la place qui leur sied dans la mémoire collective. La seule place qui vaille, celle où les ont placés Dieu et Son Prophète.
Le Calame vous propose de découvrir ces éminents Compagnons venus d’ailleurs. Chaque semaine nous proposerons à nos lecteurs de faire plus ample connaissance avec l’un de ces Compagnons à partir d’extraits du livre de M. Moussa Hormat-Allah, intitulé : Les protégés du Prophète ou ces Compagnons venus d’ailleurs. Aujourd’hui Bilal Ibn Rabah
Bilal Ibn Rabbah
Il faut, d’entrée de jeu, tordre le cou à un cliché, à une idée reçue qui fait passer Bilal dans la mémoire collective, pour quelqu’un issu d’une caste inférieure – ce qui du reste, est loin d’être une tare. Peu de gens savent, en effet, que Bilal est un prince de sang. Il est le neveu d’Abraha Al-Achram, prince chrétien de l’Abyssinie, l’actuelle Ethiopie(1).
A la tête d’une puissante armée, Abraha fut chargé par le Négus de l’expansion de son empire dans la sous-région. Abraha soumit le Yémen et se proclama roi, s’émancipant ainsi de la tutelle du Négus.
Il édifia à Sanâa une cathédrale aux proportions et au luxe sans égal.
Dans sa folie des grandeurs, il décida de détruire la Kaâba qui rivalisait, pensait-il, avec sa merveilleuse cathédrale. Il voulait faire de cette cathédrale de Sanâa, l’unique lieu de pèlerinage pour tous les Arabes.
Pour détruire la Kaâba, il marcha donc sur La Mecque avec soixante milles hommes et treize éléphants(2). On verra plus loin, que son expédition se transformera en désastre. On verra aussi comment sa nièce la princesse Hamamah, la mère de Bilal fut capturée et réduite en esclavage. On verra, enfin, comment celle-ci épousera, chez les Béni Jumuh, Rabah. De cette union naîtra Bilal qui connaîtra un destin hors du commun.
Après l’attaque de son cortège, la princesse Hamamah, échoua donc comme esclave chez la tribu des Bani Jumuh. Elle se mariera par la suite avec Rabah. De cette union naquirent trois enfants : Bilal, Khaled et une fille du nom de Ghufra.
Bilal, devenu adulte, se verra confier, chez ses maîtres, la surveillance du temple des idoles. Bilal passait de longues journées à contempler ces statues en pierre. A-t-il jamais entendu parler de l’histoire d’Abraham avec les idoles que son peuple adorait et qu’il finit par briser ? Toujours est-il qu’il ne cessait de se demander comment ces statues façonnées par la main de l’homme et qui sont incapables de se protéger pouvaient être considérées comme les créateurs du monde.
Bilal prêtait parfois l’oreille aux discussions de ses maîtres. Le nom de Mohammed revenait souvent dans ces discussions. « Il lui vint à l’esprit que la personne qui souhaitait abolir les différentes classes sociales de façon à ce que les maîtres et les esclaves se retrouvent tous sur un même pied d’égalité était un homme qui appartenait à la classe la plus noble de La Mecque. Par conséquent, Bilal comprit que cet homme ne pouvait être que le véritable Messager et Prophète du Créateur. Pour lui, il était impossible qu’une personne jouissant d’une si grande popularité dans toute La Mecque et qui imposait un si grand respect au peuple mecquois risquât de perdre sa bonne réputation, à moins qu’il ne fût le Messager du Seigneur, qui ne fait aucune distinction entre les nobles et le peuple, entre les riches et les pauvres, entre les Arabes et les non-Arabes(3) ».
Bilal sentait que la ferveur pour le Message de Mohammed gagnait doucement mais inexorablement le peuple mecquois. Cette adoration d’un Dieu unique, incréé, immatériel, éternel, créateur et maître de l’univers, l’ébranla profondément. Poussé par une force irrésistible, il ira, de nuit, rejoindre le Prophète à la Kaâba pour prononcer devant lui les deux chahadas : « Il n’y a de dieu que Dieu et Mohammed est Son prophète ».
On verra plus loin, toute la panoplie des supplices que lui infligera son maître, Omayyah Ibn Khalaf pour lui faire renier sa foi. On verra aussi l’irrésistible force intérieure du supplicié qui n’a jamais fléchi et encore moins abjuré sa religion.
Pour délivrer ce musulman de son calvaire, l’Envoyé de Dieu demanda à ses Compagnons si l’un d’eux pouvait racheter et affranchir Bilal pour le soustraire des mains de son tortionnaire. Abou Bakr s’empressera d’exécuter la volonté du Prophète.
« Tandis que Bilal s’éloignait en compagnie de son sauveur, Oumaya Ibn Khalaf interpella Abou Bakr en lui disant : « Prends-le avec toi. Par Lat et El Ouzza, je te l’aurais vendu pour seulement une once ». Abou Bakr, qui savait combien ces paroles étaient blessantes pour Bilal devenu maintenant un musulman libre, lui répliqua : « Par Dieu, tu m’aurais demandé cent onces pour son rachat, je te les aurais données(4) ».
Bilal rejoindra donc, en homme libre, le Prophète et ne le quittera jamais plus. Il émigrera à sa suite à Médine. Il participera activement à la construction de la mosquée de Quouba, la première en Islam, puis à celle de Médine. Et il sera le muezzin attitré du Prophète. Il participera à plusieurs batailles aux côtés du Messager d’Allah. Sa sagesse, sa piété et sa droiture lui valurent l’estime et la considération de tous. Omar disait souvent : « Notre maître Abou Bakr a affranchi notre maître Bilal ».
Honneur suprême, le Prophète demanda un jour à Bilal «Ô Bilal ! Parle-moi donc de la bonne action que tu as faite depuis ta conversion à l’Islam et dont tu attends le plus grand salaire. J’ai entendu en effet le bruit de tes sandales devant moi au Paradis ». Il dit : « L'action dont j'attends le plus grand salaire est que je ne fais jamais des ablutions de jour ou de nuit sans les faire suivre de ce que Dieu m'a écrit comme unités de prière(5)».
Mais que l’on ne s’y trompe pas, Bilal est loin d’être le seul à avoir souffert dans sa chair des affres de la torture et des persécutions des polythéistes Koraïches. Les supplices se sont généralisés contre le petit peuple mecquois, sans défense.
Dans l’Arabie préislamique, ce petit peuple était constitué essentiellement d’esclaves et d’apatrides, taillables et corvéables à merci. Un système esclavagiste infernal sur fond de xénophobie et de racisme. L’Islam viendra rendre aux esclaves leur humanité et accélérer le processus de leur émancipation.
Comme on vient de le mentionner plus haut, quand on parlait d’Abou Bakr et de Bilal devant Omar, celui-ci disait : « Abou Bakr est notre maître, qui a libéré notre maître Bilal ».
Pourtant, rien ne prédestinait Bilal à cette notoriété. Ni son physique, ni son origine sociale, ni sa condition matérielle. C’est grâce à sa conversion à l’islam, qu’il se hissera au summum de la célébrité et occupera un rang très envié parmi les musulmans.
Par la force de sa foi en Dieu et en Son prophète, il surmontera les tortures les plus inouïes. « On le faisait sortir chaque jour, au soleil de midi, pour le jeter sur le sable brûlant et le laisser souffrir sous le poids insupportable d’un rocher très chaud. Ses tortionnaires voulaient le détourner de sa foi tandis que lui voulait être musulman. Comme sa situation de supplicié durait, on lui proposa de dire un mot de bien, un tout petit mot en faveur de leurs dieux, pour faire cesser son supplice. Même ce petit mot, Bilal ne le prononça pas, lui qui pouvait le dire de façon superficielle, sans perdre sa foi, afin d’être soulagé. Oui, il refusa de le dire et se mit à répéter son chant éternel : Ahadoun, Ahadoun (Il est l’Unique, Il est l’Unique).
Ses tortionnaires lui disaient : « Dis ce que nous disons ». Mais lui leur disait : « Ma langue ne sait pas dire cela ».
Les sévices reprenaient alors de plus belle jusqu’à l’après-midi. A ce moment-là, on enlevait le rocher de sa poitrine, on lui mettait une corde au cou et on le laissait à la merci de leurs garçons, qui le faisaient courir dans les rues de La Mecque et sur les montagnes(6) ». Mais « Bilal ne vendrait pas sa profession de foi même pour tout l’or du monde. Et il ne la concéderait jamais même au péril de sa vie(7) ».
Soit dit en passant, c’est ce refrain Ahadoun, Ahadoun, que répétait invariablement Bilal sous la torture qui deviendra le cri de guerre des musulmans lors de la mémorable bataille de Badr.
Bilal était d’une modestie, d’une probité, d’une piété et d’un ascétisme qui forçaient l’admiration. Il abhorrait les flatteries et les compliments. Il répétait sans cesse : « Je ne suis qu’un Abyssin. Il n’y a pas longtemps encore, j’étais esclave ».
Le Prophète l’admirait et l’aimait beaucoup. Bilal aura l’insigne honneur d’être le premier muezzin du Messager d’Allah. Le jour de la conquête de La Mecque, il lancera de sa voix envoûtante, du haut de la Kaâba – dans la ville sainte purifiée de la souillure du paganisme – al-Adhan, cet appel à la prière et au salut qui ne cessera depuis de résonner sur terre et dans les cieux jusqu’à la fin des temps.
Bilal a été élevé dans la tribu des Béni Jumah. Cette voix harmonieuse qu’il avait était-elle une caractéristique des membres de cette tribu ? Coïncidence ou pas, les autres muezzins du Prophète comme Abou Mahdhoura et Amr Ibn Oum Kelthoum étaient, eux aussi, originaires de cette même tribu des Béni Jumah et se distinguaient par la beauté de leur voix.
A croire que chaque tribu arabe avait sa spécificité : les Béni Jumah, la beauté de la voix et les Béni Saâd, par exemple, pour l’apprentissage de l’arabe pur. Il en fut ainsi avec le Prophète lui-même lorsqu’il fut confié à sa nourrice, Halima Bint Abou Douwaïb de la tribu des Béni Saâd. Cette tribu nomade qui vit dans le désert parle un arabe pur non altéré par le contact d’idiomes étrangers. C’est peut-être là, l’explication de ce timbre à nul autre pareil de Bilal.
L’honnêteté et l’intégrité de Bilal étaient de notoriété publique. C’est pourquoi, le Prophète lui confia l’administration de Beït Almal (le Trésor public). Bilal avait aussi en charge le ménage du Prophète et la distribution de l’aumône aux démunis.
Le Prophète lui disait souvent : « Bilal, une certaine quantité de richesses s’est accumulée chez moi et je ne veux point les garder ; alors prends-les et distribue-les aux nécessiteux afin que mon cœur soit soulagé de ce fardeau ».
C’est également le Prophète qui organisa lui-même le mariage de Bilal avec une fille de grande famille. « Un jour, les fils d’Abou al-Khoulaniyat vinrent voir le Prophète et dirent : « Ô Messager d’Allah, nous aimerions que tu trouves un mari pour notre sœur Hind. « Le Prophète répondit : « Pourquoi ne la mariez-vous pas à Bilal ? » En entendant cela, ils s’en allèrent mais revinrent quelque jours plus tard et firent la même demande, à laquelle le Prophète répondit la même chose. Ils s’en allèrent à nouveau et revinrent, encore une fois, quelques jours plus tard et firent la même demande. Cette fois le Prophète, après leur avoir répondu la même chose, ajouta : « Bilal est des habitants du Paradis ; vous devriez marier votre sœur à lui ». Alors, en entendant cela, ils marièrent leur sœur à Bilal(8) ».
Bilal était bien conscient – comme du reste tous les vrais croyants – qu’il tire son aura du seul fait de son appartenance à l’Islam. Une fois, il intercéda en faveur de son frère auprès d’une noble famille pour lui demander la main de leur fille. Devant le père, il dit : « Je suis Bilal et voilà mon frère. Deux esclaves d’Abyssinie. Nous étions des égarés mais Dieu nous a guidés. Nous étions des esclaves mais Dieu nous a libérés. Si vous nous donnez la main de votre fille, alors louange à Dieu, si vous refusez, alors Dieu est grand(9)».
Après délibération, la famille répondit favorablement à la requête de Bilal.
Sur le chemin du retour, le soupirant dit à Bilal : « Pourquoi n’as-tu pas mis en exergue notre seule relation privilégiée avec le Prophète ? » Bilal répondit : « Tais-toi ! C’est parce que j’ai dit la vérité que tu as obtenu la main de la fille ». Bilal était, en effet, un homme véridique. Son épouse, Hind, contesta, un jour, le bien fondé d’un Hadith qu’il lui a cité. Il vint alors trouver le Prophète et lui fit la relation de ce qui s’est passé. Le Messager d’Allah alla lui-même chez Bilal pour parler à son épouse : « Sache que tout ce qu’il vient de te raconter vient de moi et il dit la vérité, Bilal ne ment jamais. Ne mets jamais en colère Bilal, car toutes tes actions seront vaines, je te mets en garde, ne mets jamais en colère Bilal(10)».
Par delà sa piété, c’est cette modestie, cette humilité et cette intégrité morale qui valurent à Bilal l’affection, l’estime et la considération du Prophète.
L’Envoyé de Dieu prêtait une attention et une bienveillance particulière à Bilal et à ces autres Compagnons venus d’ailleurs.
« Un jour, une dispute verbale opposa Abou Soufiane à Bilal, Salman et Souhaïb. Ces derniers lui reprochèrent son ancienne animosité à l’égard de l’Islam. Abou Bakr qui avait entendu ces paroles leur dit : « Comment pouvez-vous dire cela au doyen et au maître de Koraïches ? » Et il alla en informer le Messager de Dieu, celui-ci lui dit : « Peut-être les as-tu vexés, Ô Abou Bakr ? Et si tu les as fâchés, tu as certainement fâché ton Seigneur. » Abou Bakr s’en alla alors demander pardon aux trois pieux Compagnons(11)».
Mieux encore, lorsque certains dignitaires Koraïchites exigèrent du Messager de Dieu qu’il chasse de son assemblée Bilal et certains de ses compagnons parmi les plus faibles, c’est tout un verset qui fut révélé du haut des sept cieux pour mettre en garde l’Envoyé de Dieu contre une telle éventualité : « Et ne repousse pas ceux qui, matin et soir, implorent leur Seigneur, cherchant Sa face. Leur demander compte ne t’incombe en rien, et te demander compte ne leur incombe en rien. En les repoussant donc, tu serais du nombre des injustes(12) ».
Après la mort du Prophète, les califes auront à cœur d’entourer Bilal et ces Compagnons venus d’ailleurs avec autant d’attention et de bienveillance. L’épisode suivant illustre bien cette réalité : « Un jour, Abou Soufiane Ibn Harb et Souhail Ibn Amr, accompagnés d’autres chefs arabes bien en vue, vinrent solliciter une audience au calife (Omar). Par pure coïncidence, Bilal et Souhaïb (qui était aussi un ancien esclave) arrivèrent peu après et avec la même intention. Lorsque Omar apprit leur arrivée, il fit aussitôt entrer Bilal et Souhaïb tandis que les chefs arabes, arrivés les premiers, restèrent attendre à l’extérieur. Incapable de se contenir plus longtemps, Abou Soufiane se tourna vers ses compagnons et observa : « C’était notre destin de subir cette humiliation. Les esclaves sont reçus en audience tandis que les nobles d’Arabie attendent à la porte ». Ce à quoi Sohail Ibn Amr rétorqua : « Mais qui devons-nous blâmer pour cela ? Le Messager d’Allah nous a tous invités à l’Islam, mais nous avons non seulement refusé de répondre à son appel, nous lui avons également opposé une forte résistance. Par contre, ces esclaves ont immédiatement répondu à son appel. Il est don de leur droit, aujourd’hui, d’être favorisés par rapport à nous, en ce monde comme dans l’au-delà, et nous n’avons aucune raison de nous plaindre(13) ».
Bilal et ces Compagnons venus d’ailleurs méritaient bien cette estime et cette considération. Bilal, par exemple, ne quittait presque jamais le Prophète. Il était quasiment à son service jour et nuit, en permanence, en toutes circonstances. Dans la mosquée, hors la mosquée, sur le champ de bataille, en voyage.
Bilal aura pratiquement pris part à toutes les batailles livrées par le Prophète. Toutes les batailles. De la mémorable bataille de Badr – la première en Islam – où il tua son ancien maître et tortionnaire Oumeyya Ibn Khalef, jusqu’aux ultimes campagnes de Syrie.
Le Messager d’Allah était toujours en première ligne face à l’ennemi. A ses côtés, Bilal relayait ses ordres et ses instructions aux combattants musulmans en se faufilant sur le théâtre des opérations.
Un autre aspect de la vie de Bilal reste méconnu du grand public. Bilal fut, en effet, le secrétaire particulier du Prophète(14). Il fit aussi partie des trois ou quatre personnes qui eurent l’insigne honneur d’accomplir pour le Prophète la lotion funéraire (15).
Bilal se vit aussi confier certaines responsabilités sous le califat d’Omar. A ce sujet, un épisode est resté dans la mémoire collective. Omar dont la droiture était légendaire, convoqua un jour Khalid Ibn Al-Walid pour s’expliquer sur certaines irrégularités qui auraient été commises par le célèbre Compagnon. Bilal, « devant toute une assemblée, retira son turban à Khalid pour lui attacher les mains avec, et il ne le délit de ses liens qu’après que Khalid eût offert des explications satisfaisantes sur les charges qui pesaient sur lui, après quoi Bilal lui offrit ses excuses les plus sincères(16) ».
Mais le nom de Bilal reste, surtout et pour toujours, attaché à l’Adhan, cet appel à la prière. Quand la prière fut prescrite pour les musulmans, le Prophète et ses Compagnons se demandèrent quel moyen adopter pour avertir les fidèles de l’heure de la prière. On suggéra de hisser un drapeau sur la mosquée. On pensa aussi à la corne juive, à la cloche chrétienne, etc. Tous ces moyens seront écartés les uns après les autres. Finalement, on optera pour la voix humaine, qui sera l’un des éléments fédérateurs de la Oumma islamique. Et l’unanimité se fera sur Bilal comme muezzin.
Celui-ci grimpa sur le toit de la mosquée, et de sa voix mélodieuse lancera le tout premier appel à la prière :
- "الله أكبر" (مرتين)
- "أشهد ان لا إله إلا الله" (مرتين)
- "أشهد أن محمداً رسول الله" (مرتين)
- "حيّ على الصّلاة" (مرتين)
- "حيّ على الفلاح" (مرتين)
- "الله أكبر" (مرتين)
- "لا إله إلا الله" (مرة واحدة)
- Dieu est le plus grand ! (deux fois)
- J’atteste qu’il n’y a de vraie divinité sauf Dieu (deux fois)
- J’atteste que Mohammed est le Messager de Dieu (deux fois)
- Venez à la prière (deux fois)
- Venez à la félicité (deux fois)
- Dieu est le plus grand (deux fois)
- Il n’y a de vraie divinité sauf Dieu (une fois)
C’est l’ange Gabriel qui rendit visite au Prophète pour l’informer de ces modalités de l’Adhan(17).
Abdallah Ibn Omar a dit qu’il a entendu le Prophète dire : « Lorsque vous entendez l’appel à la prière, répétez ce que le muezzin a dit, puis demandez à Allah de m’accorder sa bénédiction, car celui qui prie pour moi une seule fois Allah priera pour lui dix fois autant.
Ensuite demandez à Allah de m’accorder la place éminente qui ne sera accordé qu’à un seul serviteur, mon intercession lui sera alors due le jour de la résurrection (18) ».
Si Bilal n’a pas eu de descendance, l’Adhan le fera passer pour toujours à la postérité. Après la mort du Prophète, Bilal continua un certain temps à lever l’Adhan. Mais ses appels à la prière étaient entrecoupés par des sanglots. Finalement, chaque fois qu’il devait prononcer : « J’atteste que Mohammed est le Messager de Dieu », la nostalgie du Prophète prenait le dessus et il s’effondrait en pleurs.
C’est pourquoi, « il alla trouver Abou Bakr, alors calife, et lui demanda l’autorisation d’aller combattre dans la voie de Dieu. Le calife lui répondit : « Et qui donc appellera à la prière, Ô Bilal ? » Celui-ci, étreint par le chagrin, ajouta : « Je ne pourrai plus appeler à la prière après le Messager de Dieu ». Abou Bakr insista en lui disant : « Reste, Ô Bilal, et continue pour nous à appeler à la prière ». Mais Bilal lui rétorqua : « Ô Abou Bakr, si tu m’as affranchi pour que je sois à ton service, fais de moi ce que tu veux, mais si tu l’as fait pour l’amour de Dieu, alors laisse-moi au service de Celui pour qui tu m’as affranchi ». Abou Bakr répondit : « Ô Bilal ! Je ne t’ai affranchi que pour l’amour de Dieu ».
Après cette entrevue avec Abou Bakr, certains chroniqueurs rapportent que Bilal partit immédiatement s’établir en Syrie. D’autres plus nombreux affirment, au contraire, qu’il ne partira pour Damas qu’au cours du califat d’Omar. Cette dernière thèse semble plus crédible.
Bilal s’installera donc avec sa famille en Syrie.
Il fera l’acquisition d’un lopin de terre dans la banlieue de Damas qu’il cultivera de ses propres mains pour subvenir à la subsistance des siens. Il vivra reclus, entièrement voué à l’adoration de Dieu.
Deux circonstances exceptionnelles amèneront Bilal à lever encore, par deux fois, l’Adhan. Une première fois, il vit en songe le Prophète tout vêtu de blanc. Le Messager d’Allah lui dit : « Quand vas-tu nous rendre visite Ô Bilal ? »
Cette vision véridique – Satan ne prends jamais les traits du Prophète – convainc Bilal de la nécessité de se rendre toute affaire cessante au tombeau de l’Envoyé de Dieu à Médine.
Dans le sanctuaire sacré de la Cité lumineuse, Bilal rencontra Al Hassan et Al Housseïn, les deux petits-fils du Prophète. Ces retrouvailles furent particulièrement émouvantes. Al Housseïn demanda à Bilal de leur faire la faveur de lever l’Adhan à la prière de l’aube. Dès qu’ils entendirent sa voix qui réveilla en eux la nostalgie du Prophète, les Médinois accoururent, les larmes aux yeux, vers la mosquée. Avec une sensation de douleur mêlée de joie.
La dernière fois ou Bilal leva l’Adhan fut à l’occasion de la visite du calife Omar à Damas. Les Compagnons pressèrent l’Emir des Croyants pour demander à Bilal de faire appel à la prière. Ce dernier finit par accéder à la supplique d’Omar. Il lança alors un appel si émouvant que tout le monde pleura.
Bilal lança cet appel à la prière du haut du plateau du Golan. Car malgré sa piété et l’immense stock de bonnes actions qu’il a déjà amassées, Bilal tenait aussi à participer à la conquête de Jérusalem (en 638) et à mourir en martyr.
Bilal n’avait pas peur de la mort. Bien au contraire, il l’attendait avec impatience car il était heureux et pressé de retrouver le Prophète et ses Compagnons qui avaient déjà quitté ce monde.
Au moment où il s’apprêtait à rendre l’âme, sa femme se mit à pleurer. Il trouva alors la force de dire : « Ne pleure pas. Pourquoi pleures-tu ? J’ai hâte de retrouver le Prophète, ainsi que les autres Compagnons, après une si longue séparation. Si Allah le veut, je les reverrai tous demain ». Et en effet, il expira le lendemain.
Bilal mourra vers 641 pendant le califat d’Omar. Il fut enterré au cimetière de Bab al Saghir dans le quartier de la vieille ville de Damas. Son tombeau est devenu un lieu de pèlerinage.
Par la force de la foi et la piété et par sa résistance aux tortures les plus inouïes, Bilal est devenu un symbole pour les musulmans.
Sur ces traces, d’autres Compagnons, issus du petit peuple, connaîtront les affres de la torture. Ils surmonteront les supplices les plus atroces pour se hisser, comme lui, au summum de la dévotion et de la vertu.
A l’instar donc de Bilal, bien d’autres esclaves seront torturés, martyrisés par les Koraïchites pour leur faire renier leur foi.
Parmi ces esclaves battus et martyrisés, on peut encore citer, entre autres, d’illustres Compagnons – parmi ces Compagnons venus d’ailleurs. Il s’agit de Souhaïb Ibn Sinan, de Salem, l’allié d’Abou Houdheïfa, Ammar Ibn Yassir…
(A suivre: Souhaib Roumi)
(1) cf. Frédéric P.Miller, Bilal Ibn Rabah, Alphascript Publishing, 2010, page 1.
(2) Ibid.p.1.
(3) cf. CISDP du 14 mai 2003.
(4) Messaoud Abou Oussama, op.cit.page 144.
(5) Hadith rapport par Al-Boukhari et Mouslim.
(6) Khalid Mohammed Khalid, op.cit.page.37.
(7) Frédéric Brabant, op.cit.p31.
(8) cf. CISDP, op.cit.
(9) Khalid Mohammed Khalid, op.cit.page 40.
(10) Mohammed B.Al-Hachem, Bilal, muezzin du Prophète d’Allah, Editions Al-Bouraq, 2002, p.57.
(11) Hadith rapporté par Mouslim.
(12) Coran, Les Troupeaux, verset 52.
(13) CISDP, op.cit.
(14) cf. Hilyat Al-Awliya, ouvrage encyclopédique de Abou Noueïma.
(15) ibid.
(16) cf. CISDP, op.cit.
(17) Mohammed B. Al-Hachem, Bilal, muezzin du Prophète d’Allah, Al Bouraq, 2002, page 38.
(18) Hadith rapporté par Mouslim et par Boukhari.