De tous les secteurs publics de l’Etat, c’est quasiment celui de l’éducation le plus dégradé. Un malaise profond, pour ne pas dire que notre école agonise. A ce point profond, d’ailleurs, que ce sont carrément les pouvoirs publics que le précipitent, ouvertement depuis quelques années, vers l’anéantissement. Il n’est certes plus exagéré d’affirmer que l’Etat s’en fout de ce qui se passe en ce secteur. Ses réformes en cascade, systématiquement basées sur des positions idéologiques et inégalitaires, en sont une parfaite illustration. Résultat des courses, l’école est déconnectée de la réalité, sans aucune réflexion sérieuse. Ses états généraux d’il y a quelques années n’ont apporté aucune solution, alors qu’il lui fallait un véritable remède de cheval. Nous n’avons pas compris ou feignons de ne pas comprendre que réfléchir sur l’école d’aujourd’hui, c’est envisager la société de demain. Quels hommes et femmes voulons-nous former, dans un monde en pleine évolution, dans un monde où nous risquons de disparaître, pour n’avoir pas accepté de nous adapter ? Notre paradoxe, c’est que nous vivons comme en vase clos, malgré un monde qui bouge autour de nous. Sans éducation adaptée mais chevillée à nos valeurs, nous nous condamnons à marcher à reculons. Comme notre démocratie, hélas !
Mauvaise gestion des ressources humaines
Général, le constat est omniprésent. Partout nos écoles manquent d’enseignants. Grèves et autres protestations ponctuent le début de l’année scolaire 2016 -2017. Elèves et parents d’élèves se dressent pour réclamer des enseignants et le gouvernement n’a d’autre réponse que les grenades lacrymogènes et les arrestations, comme à Sélibaby, depuis quelques semaines.
Selon diverses sources concordantes, proches du ministère de l’Education, il n’existe, aujourd’hui, aucune école fondamentale de cycle complet qui fonctionne avec plus de deux enseignants, dont un directeur. Résultat, les enfants sont, soit renvoyés chez eux, soit gardés par des surveillants, quelque temps, avant d’être libérés. Outre les parents d’élèves, ce sont les syndicats des enseignants, notamment le SNES, qui ruent dans les brancards, pour dénoncer le manque de maîtres, l’absence d’équité et de visibilité, dans la gestion de l’existant, et le retard, dans le recrutement des contractuels. Cela fait déjà quelques années que le ministère fait appel à ce personnel, pour combler le déficit grandissant, comme un tissu qui se déchire, sans qu’on tente seulement de lui trouver une solution idoine. Les contractuels sont, dans leur grande majorité, recrutés selon des critères discutables et présentent de lourdes lacunes dont les conséquences sont patentes, pour les apprenants. Une autre paire de manches. Le ministère serait bien inspiré de penser à en titulariser certains, après rigoureuse sélection, et à les former, pendant les vacances, comme jadis, avec les recyclages linguistiques des années 2000. Il existe un vivier de jeunes chômeurs d’un niveau acceptable, pour s’engager dans le secteur. Sans conviction, me rétorquera-t-on, ils ne s’engageront qu’à seulement gagner une fiche budgétaire. Il faudra donc les motiver et les inciter à rester dans les classes.
Mais, Bon Dieu, comment en est-on arrivé là ?
C’est la question que le gouvernement ne devrait cesser de se poser. Il a ouvert, dans les régions intérieures, des Ecoles Nationales d’Instituteurs (ENI) et beaucoup de jeunes chômeurs cherchent du travail. A quoi donc servent ces centres de formation ? Pourquoi ne résolvent-ils pas le déficit ?
Premier écueil, la prolifération des établissements primaires et secondaires. La politique publique en la matière est une véritable catastrophe. Naguère, l’ouverture d’une école obéissait à des critères objectifs et rigoureusement appliqués ; aujourd’hui, chaque chef de tribu, chaque élu, chaque colonel, général ou même notable, voire cadre de la République peut s’offrir un établissement, avec des effectifs dérisoires. Résultat ? Une véritable pagaille dans la gestion du personnel qu’on ne cesse de redéployer. Chaque année, le ministre de l’Education annonce, dans son discours d’ouverture, la fondation de nouvelles écoles, sans penser au personnel…qui ne suit pas, hélas. Des écoles, voire des collèges ne sont plus séparés par de quelques petits kilomètres. Tel village voisin a son collège ; pourquoi pas nous ? Voilà la règle qui prévaut aujourd’hui, avec des classes de quelques élèves seulement, alors qu’ailleurs, les sureffectifs s’alourdissent. Un professeur de physique nous a déclaré avoir enseigné, dans un établissement de la capitale, une 7èmeD de cent soixante élèves et « aucun ne s’absentait », précise-t-il. Plus de la moitié était assis à même le sol et dans les allées. Imaginez le calvaire de ce professeur et de ses élèves en période de chaleur. Comment, dans ces conditions, dérouler un cours digne de ce nom ?
La prolifération des établissements a, comme autre conséquence, de séparer, d’un côté, les professeurs qui ne remplissent pas leur volume d’heures hebdomadaires ; de l’autre, ceux qui sont surchargés de travail, avec, comme seule récompense, une prime de craie de vingt mille ouguiyas par mois, payable par trimestre. Dans certaines écoles fondamentales, on assiste à un phénomène typiquement mauritanien : deux enseignants tenant ensemble une seule classe et s’y relayant pour enseigner une seule matière. Cette pratique profite, généralement, aux enseignantes qui ne veulent pas s’éloigner de chez elles ou sortir de leur village. Un système nuisible aux élèves, anti pédagogique, casant la progression dans le programme... Mais qui s’en soucie ?
Outre la multiplication des établissements qui poussent comme des champignons, sous l’effet d’un inacceptable mimétisme, c’est le règne de l’interventionnisme et du clientélisme, dans les affectations des enseignants. Ils sont, aujourd’hui, des centaines casés à ne rien faire, dans les différentes directions du ministère. Intouchables, le ministre ne pense même pas à les redéployer, pour réduire son déficit. Le voilà, du coup, à se réfugier dans la bricole, avec les contractuels. On nous affirme cependant que« le ministère aurait décidé de de s’attaquer au problème et c’est, d’ailleurs, ce qui retarderait le recrutement des contractuels ». Le redéploiement du personnel non actif, par le DREN du Hodh El Gharbi, lui aurait ainsi attiré les foudres des enseignants et professeurs qui se sont mis en grève. Le ministère va-t-il le soutenir ? Avant lui, Mohamed Saleck ould Taleb, le DREN de Nouakchott Sud, avait engagé des redéploiements d’enseignants en piètre volume horaire. Après s’être penché sur tous les emplois de temps des professeurs dont les établissements se plaignaient de déficit, il avait conclu que cette situation était, en grande partie, le fruit d’une mauvaise gestion du personnel, par les directeurs. Il y aurait donc complaisance dans la confection des emplois de temps.
C’est ce désordre qui génère la graduelle baisse de niveau, du fondamental à l’université. Une dégradation accentuée par un bilinguisme sinon complaisant, du moins très approximatif, et les classes multigrades. Faut-il également incriminer la disparition de ce qu’on appelait, naguère, la conscience professionnelle ? Tout un chacun ne rechercherait, d’abord, qu’à se soustraire de la mission qui lui est assignée. La classe des Fall, Ould Boubout, Bâ Malick Cheikh est-elle définitivement révolue ? Le développement des écoles privées représente une réelle opportunité, pour les enseignants et professeurs, d’arrondir les fins de mois devenus de plus en plus insaisissables. Il est devenu aujourd’hui difficile pour ne pas dire impossible de rencontrer, à Nouakchott, un seul enseignant, toutes catégories confondues, qui ne travaille pas dans un établissement privé. Au détriment, bien évidemment, de l’école publique. Comme les établissements privés accueillent, surtout, les fils à papa, du président de la République au dernier cadre, en passant par les ministres, les secrétaires généraux et les directeurs centraux, on comprend bien pourquoi le gouvernement a vite abandonné sa décision de retirer, à ces écoles, l’enseignement du fondamental. Cela aurait, pourtant bien servi cette unité nationale dont on nous vante tant les vertus, alors qu’on ne fait rien pour la construire, au quotidien, à partir de nos écoles, de nos rues, de nos quartiers. Ceux qui ont connu l’enseignement d’avant les années 80 connaissent tout le bien qu’on a pu tirer de cette « cohabitation à la base».
On aurait pu « récupérer » tout ce personnel des établissements privés au profit de l’école publique. Mais qui s’en soucie ? On veut une Mauritanie des riches et une Mauritanie des pauvres. Des pauvres qu’on voudrait davantage enfoncés dans leur misère. Et pour mieux consacrer cette partition, on a fondé ces « écoles d’excellence », avant, lors de la rentrée scolaire passée, les «écoles-pilotes ». Excellence, pilotes, en quoi le sont-elles, ces nouvelles trouvailles ? Allez savoir. Leurs enseignants n’ont rien de particulier, les programmes sont les mêmes qu’au public. Mais peut-être voudrait-on, à l’image de nos « grandes écoles » fondées par la Rectification, trouver place à la classe « intermédiaire », entre les pauvres, incapables d’envoyer leurs enfants au privé, et les nantis. L’an dernier, un directeur d’une école privée, connu pour ses retards répétés et absences à son service public, fut prié, par son DREN, de choisir entre « son » école, dont il s’occupait toujours en premier, et celle de l’Etat dont les élèves passaient le temps à l’attendre.
Enfin parmi les causes de la gangrène de notre école, on peut citer le laxisme du ministère qui laisse faire et se refuse à reconnaître son incapacité à trouver des solutions. Le tieb-tieb, encore et toujours. La rentrée scolaire n’est jamais préparée par un comité interministériel, par exemple, pour bien en évaluer les besoins. Juste une brève présentation de rapport, en conseil des ministres. Aujourd’hui, force est de constater que notre école va de mal en pis et, malheureusement, les pouvoirs publics ne s’en préoccupent pas plus aujourd’hui qu’hier. L’Année de l’Education décrétée en 2015 ne fut que poudre aux yeux de l’opinion nationale et des bailleurs de fonds. Et c’est « presque tout le temps », comme le dit la publicité sur Canal +. Aucun bilan de l’année dernière n’a été tiré et porté à la connaissance des Mauritaniens. Aucune amélioration.
La méthode Nebghouha
Confrontée à une même situation, madame Nebghouha Mint Mohamed Vall, ministre de l’Education en 2007-2008avait osé secouer le mammouth. Regroupement des écoles dont certaines n’en avait que le nom, redéploiement du personnel, en le motivant avec une prime de craie et autres intéressements et en ne responsabilisant aucun enseignant en directeur chez lui. Des mesures qui firent beaucoup de bruit, en 2008, mais ne durèrent qu’une année.
Lors de sa nomination au département, Isselmou ould Mohamed Valla hérité d’une situation plus que chaotique, avec un laxisme sans précédent et un laisser-aller sans commune mesure. Ses nombreuses réunions peinent à porter des fruits. Venu des finances, cet homme de Ghoudiya cherche encore ses marques. Il mettra du temps car le département est plus que difficile ; les politiques y sont pour quelque chose. Cette année, recourra-t-il, comme on lui en prête l’idée, à la méthode de sa cousine Mint Mohamed Vall ? Wait and see.
DL