Après des années de souffrance sillonnées d’humiliations et de privations, les anciens esclaves savourent, désormais, la liberté et recommencent une nouvelle vie, grâce à l’action conjuguée des abolitionnistes. Un nouveau combat pointe à l’horizon. Après avoir recouvré leur dignité, ils doivent apprendre à vivre, à se prendre en charge, en se dotant d’une nouvelle demeure, à se munir de papiers d’état civil. Le plus difficile commence, sans doute, pour des gens qui, une fois consommés les premiers secours d’urgence, devront passer à d’autres paliers. Tout apprendre et survivre dans un nouvel univers.
Beaucoup d’espoirs et de projets, mesurés. Nous leur donnons l’opportunité de narrer leur passé douloureux et de leur vie présente d’hommes et de femmes libres, de faire part de leurs rêves et des perspectives qui s’offrent à eux. Les opportunités sont sans doute grandes mais pour des gens qui n’ont jamais bénéficié de la moindre formation professionnelle, ça ne sera pas des parties de plaisir. Il s’agit donc de faire part, à l’opinion, via des témoignages poignants et émouvants mais sans animosité aucune, de faits ayant marqué tant de nos compatriotes,. Quand les langues se délient, c’est la parole libérée des anciens esclaves qui s’élève.
Mbeïrika
J’étais esclave à Ichimim, chez une femme qui s’appelle Mint Eytoumoul. C’est avec elle que j’ai pris conscience. Mes parents étaient aussi esclaves. Je les ai retrouvés à Bassiknou, après avoir fui. Je n’allais pas à l’école. Je pilais le mil. Mes maîtres ne m’ont rien enseigné. Ma tante est encore chez eux. Je ne suis pas recensée.
Khdeija mint Ahmed
J’étais à Outeïd Laadham, chez les Ehl Nama des Oulad Sidi, une fraction Laghlal. Ils sont mauvais, méchants, ils frappent mes enfants, nous insultent. Lorsque SOS Esclaves est venu nous chercher, les maîtres nous ont fait fuir pour une autre cachette à Aqoz, près de Bassiknou. Arrivée là-bas avec mes enfants, nous n’avions rien à manger. La femme du frère de mon maître m’a donné un sac de riz et mon maître m’a donné 600 ouguiyas […] A Outeid Laadham, ma journée commençait par aller au puits puiser de l’eau, puis je pilais le mil pour les repas. Une fois la cuisine achevée, je partais en brousse rejoindre les animaux. Avant d’aller au puits, je préparais la bouillie, redressais les tentes, puis j’allais chercher les ânes, pour l’eau du puits.
Du matin au soir, je me partageais entre les travaux domestiques et les animaux […] Il y a des jours où je faisais boire, le soir, les animaux du maître […] Quand je tombais malade, ils me disaient que c’était un prétexte pour ne pas travailler. Il y avait souvent des bagarres à cause des enfants.
Mes deux garçons, mes trois filles et moi-même étions tous au service des maîtres. Ceux-ci ont chassé mon mari alors que j’étais en état de grossesse avancée. Lorsque je l’ai réclamé, ils m’ont dit que même si je mourais, je ne le verrai plus. Je n’ai jamais eu de ses nouvelles. Je suis même allée voir une mission militaire de passage, pour les informer que mon mari avait été chassé et que nous n’avons plus de ses nouvelles. Mes enfants ne dormaient pas avec moi. Les maîtres refusaient que je dorme avec eux et qu’ils apprennent le Coran, de peur que je fuie avec eux.
Après ma liberté, ils ne sont jamais venus me voir et ni moi ni mes enfants ne vont les voir. L’association [SOS Escaves, ndlr] m’a ramenée ici, elle m’aide à l’éducation de mes enfants. Il n’y a rien à reprocher à l’association. Mes maîtres étaient Tawoul Amrou ould Nama, Hamana ould Nama, Azchaq ould Nama, Sidi Mohamed ould Nama, Qair ould Nama, Mohamed ould Nama et Mteytou, leur sœur (maîtresse de Mboirika). Pour ce qui est de la conciliation j’ai reçu du bétail. Je n’en connais pas le nombre. Il n’y a pas d’argent. Depuis mon jeune âge, j’ai travaillé pour ces gens, j’ai éduqué et me suis occupée de tous leurs enfants. Moi, je n’ai pas profité des miens, rendus bergers à un âge précoce, rien ne peut compenser tout cela. Mais, quand les musulmans me demandent de concilier, je ne peux pas refuser. […] Femme libre, j’ai acheté un terrain, j’ai construit. J’ai un petit commerce.
Mboirika mint Mbarek
J’ai été libérée à 15 ans à Ichimin, mon frère Khair est venu avec des gendarmes, j’ai préféré partir, plutôt que de rester avec ma maîtresse qui prétendait me traiter comme sa fille. En fait, je m’occupais de tout : laver les habits de la famille, qu’il pleuve, qu’il fasse froid, qu’il vente, laver les tapis, servir les beaux-parents de ma maîtresse, leur laver les mains, préparer les repas, dresser les couchettes et les moustiquaires. J’accompagnais le mari de ma maîtresse pour la traite des animaux. Quand elle se rendait à Outeidat, je voulais toujours l’accompagner pour voir ma mère, mais ma maîtresse refusait. Elle et son mari me frappaient quand je disais que j’étais fatiguée, chaque fois, ils m’insultaient. Parfois, l’homme me faisait entrer dans la maison et me menaçait avec un couteau, si je refusais de lui céder (il abusa ainsi de moi, sous la menace). Au moment de quitter les maîtres, j’étais en état de grossesse du neveu du mari de ma maîtresse (Zadna). Mais, lors de ma déposition à la gendarmerie, on ne m’a pas permis de dire tout ceci.
Je veux construire, avoir ma maison, faire du commerce : je veux que ma fille soit éduquée […].Mon dossier est en justice, je ne sais pas à quel niveau. Je veux que mon dossier aboutisse et que je puisse recouvrer mes droits, avec ma maîtresse et aussi cet homme qui abusait de moi, jusqu’à ce que je sois enceinte de ma fille. Je ne suis pas pressée et n’accepterais aucune négociation, jusqu’à ce que justice soit faite.
Mestoura
J’étais esclave chez les gens avec qui j’ai vécu. On avait faim, on avait soif et l’on a rien appris. Parfois, on passait la nuit à surveiller les moutons, tandis que la pluie tombait. Ils ne nous ont jamais demandé de faire la prière. Nous n’avions aucune autre relation que celle d’esclaves à maître. Ma fille vivait dans une famille et moi dans une autre. Et mon fils de 15 ans, avec encore une autre qui ne lui a appris que la servitude.
Zaïda mint M’barek
J’ai été libérée avec ma sœur. La voiture de mon maître a eu un accident et des gens sont morts. Le maître est allé à la gendarmerie, et c’est alors que ma mère en a profité, pour informer que le monsieur était notre maître et qu’elle réclamait notre libération. Un monsieur est venu nous informer que notre maître avait été arrêté et que notre mère nous attendait à la gendarmerie. Avant notre départ, la famille nous a conseillé de ne rien signer et de dire que nous n’avions jamais été frappées ni maltraitées.
Esclave, je cuisinais, suivais et trayais les animaux, m’occupais des invités jusqu’à les mettre au lit, on m’injuriait, quand j’étais fatiguée et ne pouvais plus travailler, on me traitait d’esclave, d’enfant gâtée. Tant que je n’ai pas eu d’enfant, on me frappait et je mangeais avec eux mais, depuis que j’ai eu un enfant, on m’a donné une tente à part. Pour m’habiller, je n’avais qu’un voile, quand il était complètement usé, on m’en donnait un autre, je me rappelle que le monsieur chez qui j’étais, avait un frère, Tourad Aymar, qui essaya d’abuser de moi, Il m’a étouffé avec son turban mais je me suis débattue, j’ai crié et je l’ai griffé. Il a alors pris peur et s’en est allé, j’étais jeune, je n’avais pas encore d’enfant. Trois ou quatre ans avant, ça se passait souvent au puits, au bétail ou quand il n’y avait personne à la maison. Je me rappelle aussi que le fils de Bouna a frappé ma fille de 7 ans et ce fut l’occasion d’une bagarre entre nous. Ma fille surveillait, à cet âge-là, les moutons, à l’entrée du village, jusqu’au crépuscule.
Je ne les vois plus. Il n’y a plus aucune relation entre nous. La seule chose que je veux, c’est avoir mes droits. Ils ont cherché à récupérer ma fille, mais j’ai refusé. Ma relation, avec SOS, est bonne. J’ai suivi des cours d’alphabétisation. C’est grâce à elle que j’ai été libérée, que j’apprends à défendre ma cause. On me donne de l’argent, à chaque fin de mois, pour survivre. Je fais du couscous pour des familles qui me paient, chaque mois. J’ai trois enfants, deux garçons : Mahmoud, 5 ans ; Ahmed, 8ans ; et une fille, Hama, 7ans.
Je me suis mariée l’année dernière. Mes maîtres étaient les mêmes que ceux de ma sœur, M’barka M’barek. Je veux avoir ma propre maison, mes propres animaux, mon eau courante. Je veux avoir de l’argent, pour faire face à toutes des dépenses, voyager, acheter, vendre. Je veux recouvrer tous mes droits sur l’esclavage que j’ai subi, les privations, la soif. Je veux être indemnisé et que les maîtres aillent en prison, pour tout ce qu’ils m’ont fait, à moi et mes enfants. Jamais je ne retirerai ma plainte, sans avoir trouvé mes droits.
Mabrouka mint Mohamed
Je m’appelle Mabrouka mint Mohamed. Je ne connais pas mon âge. J’étais esclave d’un homme, Tawal Oumrou ould Mohamed Nagi. Très jeune, je me suis retrouvée dans sa famille. J’ai toujours pensé en faire partie et qu’il était mon père. En 2014, lorsqu’on a parlé de Birame et de ses actions, Tawal Amrou a décidé de m’amener à Léré, une localité vers la frontière du Mali pour me remettre à une dame, prétendant qu’elle était ma tante. C’est là que je suis partie. Après un certain temps, on m’a ramenée dans la famille. C’est à ce moment que j’ai pris conscience et compris que je n’étais pas traitée comme les autres enfants de la famille. Je passais tout le temps à travailler, alors que tous les autres allaient à l’école.
Lorsque j’ai en fait le constat, j’ai voulu repartir chez ma prétendue tante. J’ai ainsi profité d’un voyage de notre voisin qui se rendait souvent aux marchés forains hebdomadaires, pour fuir avec son aide et rejoindre ma « tante » à Léré. Mes maîtres ont entrepris des recherches et l’ont contactée. Le maître lui a proposé de l’argent et a tout fait pour la convaincre de me laisser retourner chez eux. Elle a refusé. Après l’attaque de Léré par les rebelles, ma tante et moi avons rejoint le camp de Mbérra à Bassiknou. Mon oncle, frère de ma mère qui habite Néma, vient souvent à Bassiknou. Des gens l’ont informé que j’étais en esclavage avec la famille de Tawal Amrou et que j’avais rejoint ma tante M’barka. Il nous a retrouvées à Mberra, avec Idoumou, le point focal de SOS-Esclaves. J’ai ainsi retrouvé mon oncle maternel et sa famille. Je ne sais pas où se trouve ma mère. Tawal Oumrou prétend qu’elle se trouve dans la localité de Douteidat. Mon maître a proposé de nous montrer la place mais mon oncle me dit de n’accepter qu’à condition de partir avec la gendarmerie et Tawal Amrou, ce que ce dernier refuse. Je ne me souviens pas de ma mère, je ne pourrais pas la reconnaître, si je la rencontrais. Je ne sais même pas quand ai-je été séparée d’elle.
Chez Tawal Amrou, je faisais tous les travaux de la maison : je pilais le mil, avec un pilon, dans le mortier, lavais le linge des adultes et des enfants, faisais la cuisine et les commissions, pour tous ceux qui habitaient dans la maison. Les enfants m’envoyaient pour leurs moindres besoins. J’ai été battue
pour diverses raisons : quand je refusais un ordre des enfants, quand je me disputais ou me battais avec l’un d’eux, c’était toujours l’occasion de me frapper, m’insulter et m’injurier. J’ai été brutalisée physiquement et verbalement mais je n’ai jamais eu à faire face à des violences sexuelles.
J’ai deux enfants, une fille, Azza mint Eida, et un garçon, Belkheir ould Eida. Mon fils, je l’ai eu hors mariage, alors que j’étais encore avec les maîtres, et la fille je l’ai eu après mariage avec le père de mes enfants.
Aujourd’hui, je n’ai plus aucune relation avec mon maître. J’ai porté plainte contre eux, je réclame la libération de ma mère. Mon maître est prêt à donner tout ce que je veux mais, devant le juge, j’ai refusé et insisté que je veux qu’il ramène ma mère seulement. Le juge m’a répété plusieurs fois son offre, en m’expliquant que Tawal Amrou voulait me donner ce que je voulais. Il m’a chassé de son bureau parce que j’ai refusé et lui ai dit que je ne vendais pas ma mère. J’ai appris que j’ai un frère et une sœur. Je ne serai pas tranquille tant que je n’aurai pas vu mon maître en prison. Ma relation avec SOS-Esclaves est bonne. Depuis que je suis à Bassiknou, mon oncle m’a amenée chez Idoumou, [point focal de SOS-Esclaves, ndlr], pour lui expliquer que je portais plainte. Dès ce moment, les maîtres ont essayé de chercher la conciliation. Depuis que je suis avec SOS-Esclaves, je reçois les encouragements des femmes, elles m’aident et me soutiennent. L’association me donne de l’argent. Mes relations avec l’association me font oublier les souffrances par lesquelles je suis passée.
Mes maîtres sont de la tribu Wasra de Tajakant. J’étais au service de Tawal Amrou ould Mohamed Nagi. Son épouse s’appellait Zeina mint Mohamed Nagi [décédée, ndlr]. Il y avait la mère de Tawal Amrou, Yesadha. Sa fille Mematti mint Tawal Amrou, son fils Mohamed et leur petit frère. Pour l’avenir, je veux tout pouvoir faire. Construire ma propre maison, pour que, si je retrouve ma mère, je puisse l’y accueillir. Je veux avoir une vie avec de belles choses, de l’or, de beaux habits. Avec ce que je gagne avec l’association [fonds d’urgence, ndlr], chaque mois, plus ce que je gagne en travaillant comme domestique dans une famille, je suis bien. C’est mieux que d’attendre les dons des autres. J’attends que la justice me ramène ma maman et me donne tous mes droits, ainsi qu’à ma mère. Ma priorité est de la retrouver. Elle est esclave chez Hel Arwata, cousin de Tawal Amrou.
Actuellement, je sens que je me suis améliorée, je profite des cours d’alphabétisation. J’ai construit un mbar, avec le fonds d’urgence. Je compte monter une AGR. Quand je me compare, de chez les maîtres à aujourd’hui, je me sens et me sais libre ; avant, j’étais comme enfermée dans une bouteille. Par rapport aux femmes qui n’étaient pas esclaves, je me sens comme elles, comme si je n’avais jamais été en esclavage. J’ai été mariée une fois, je suis actuellement divorcée. (A suivre).
Propos recueillis par THIAM Mamadou
Au service du programme : « Liberté, droit et justice
pour combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie »
du Département d’Etat des Etats Unis d’Amérique