Il était presque 18 h, Ramadane et Ahmed, son confident, sirotaient tranquillement leur thé, à l’ombre d’une petite baraque, en face d’un hangar recouvert de tôles et haillons. C’est là ma demeure depuis 1984.
Après les salamalecs d’usage, la conversation s’engage sur des chapeaux de roues. L’homme s’est dit assuré et réconforté parce que, c’est la première fois qu’il a à faire à un journaliste qui pourrait transmettre son message sur la vie de cette Gazra.
« Nous sommes installés ici depuis 1984. Que d’injustices avons-nous vécues dans cette portion de terre, s’est-il exclamé avant de poursuivre : je vous dirai tout ce qui s’est passé depuis notre installation ici, parce que je détiens beaucoup de papiers sur la lutte permanente que nous menons contre l’injustice, et mon ami Ahmed qui m’apporte chaque soir à manger- je suis malade- pourra vous le confirmer parce que nous avons mener bataille ensemble.
A l’origine, un projet de développement
Nous nous sommes installés ici donc en 1984 autour d’un projet de développement (Mechroua’a) ; nous cultivions du mil, des pastèques et des haricots pour nourrir nos familles. Nos femmes écoulaient le surplus de la production dans les marché d’Arafat 4, du 5e arrondissement et d’El Mina pour se procurer d’autres produits (poissons, viandes, légumes ou habits des enfants.) Et depuis que perdure notre lutte, les nombreuses femmes de la Gazra se livrent au petit commerce de beignets, de bonbons, de cigarettes, cousent des voiles…pour entretenir leurs familles.
Aujourd’hui, après moult menaces et autres tentatives de déguerpissements, avec des tracteurs, qui sait, plus de 1500 familles continuent à vivre ici, sous les baraques, tous recensés par les autorités (Hakem ou ADU). L’ADU en a recensés un certain nombre (75 familles) qu’elle a fait reloger ailleurs. Pour notre part, nous exigeons qu’on nous attribue cette terre que nous avons valorisée, conformément à la législation, et sur laquelle nous vivons depuis des années. Ceux qui sont recensés et figurant sur la voie publique peuvent être déguerpis, mais les autres, non. Et c’est tout simplement parce que, à mon avis, tous ces gens là sont des démunis, qu’ils ne méritent de s’installer ici.
Et dans ces conditions que des enfants ont naquit au sein de ces familles, démunies, hantées aussi et surtout par les menaces perpétuelles de déguerpissement. Ils ont grandi loin de l’école – il faut aller jusqu’à l’école de Kossovo, quartier installé, bien après nous, pour le primaire et à Arafat 4 pour le secondaire. J’ai un fils étudiant à l’université, je l’accompagne, chaque jour, jusqu’au Poteau III, d’où il prend le bus pour l’université et enfin, une fille au lycée d’Arafat I, explique Ahmed.
Certes, il y a des enfants sans papiers d’état civil dans la gazra, mais nous nous battons parce que c’est un devoir pour doter notre progéniture de ce sésame ; personne ne viendra le faire à notre place ; des parents ont passé des nuits entières à l’agence d’état civil d’Arafat ou d’ailleurs pour décrocher lesdits papiers.
Poursuivant sa narration, Ramadane ajoute, comme vous le constatez, c’est une véritable guerre perpétuelle que nous livrons contre les injustices. Chaque fois que les autorités envoient des gardes, comme aujourd’hui, pour recenser ou menacer les populations du site de déguerpissement avec des tracteurs, on découvre des noms d’individus n’ayant jamais vécu ici, c’est injuste , et moi, et certainement beaucoup d’autres, je ne supporte pas l’injustice, c’est pourquoi je me suis battu contre les forces de sécurité envoyées ici, vous voyez les stigmates de ce combat sur mon corps. Suite à cette bagarre, mes amis et moi sommes allés demander une réquisition chez le Hakem qui, après l’avoir délivrée s’est rétracté et a envoyé nous rattraper, avant notre arrivée à l’hôpital National, pour éviter justement que nous ne portions plainte contre les forces qui m’ont battu.
Je contestais le fait que l’un des gardes veuille faire inscrire le nom d’un individu inconnu de la Gazra, et pour la première fois, un autre garde m’a soutenu. C’est fait rare pour être souligné.
Squat près Marché des femmes
C’est aux alentours de midi et demie que nous dénichons quelques baraques et un hangar, accolés à une clôture non habitée. Sous le hangar, un homme d’une soixantaine d’années, Mohamed Salem M’Bareck se reposait ; il recherchait un sommeil qu’il croit perdre de plus en plus à cause des soucis de la vie. Ce repos forcé est le signe du désœuvrement de cet homme qui devrait, à cette heure-ci, être ailleurs, à la recherche du pain quotidien. Des deux baraques en face, l’une de ses filles cherchait à faire taire sa petite sœur qui pleurait. Elle a faim ? Je n’ai pas osé poser la question.
Après avoir expliqué l’objet de de ma présence, l’homme se livre, sans hésitation aucune. « J’ai atterri ici en 1996, d’abord comme gardien des engins et matériaux de construction du marché des femmes que vous voyez devant nous. A la fin du chantier, j’ai déplacé mes baraques derrière cette rue et devant cette clôture non occupé. C’est une propriété d’un Touareg, vivant à l’étranger et qui n’a jamais cherché à nous vider d’ici. Une famille et des enfants ? Oui. Et d’expliquer :
J’ai 4 enfants dont l’un, après l’échec scolaire est parti à Nouadhibou, à la recherche d’une formation professionnelle, les autres sont au collège et leurs sœurs au fondamental. L’école n’est pas à côté, les enfants doivent faire un long parcours pour rejoindre celle de Tevragh Zeina, ou celle du Ksar. Ce n’est pas facile, nous avons demandé une école, comme des lopins de terre, en vain.
A Tevragh Zeina, les enseignants ne sont pas sérieux, ils poussent certains enfants à quitter les bancs, c’est pourquoi j’ai transféré mes enfants à l’école du Ksar, même si elle n’est pas à côté. D’ailleurs sur ce plan, je sensibilise les membres de notre rassemblement, je leur fais comprendre que nous sommes nés dans ce pays et nous devons y mourir. C’est la raison pour laquelle, il est un devoir, pour chacun d’entre nous, de se battre pour l’obtention de papiers d’état civil pour sa famille, d’envoyer les enfants à l’école. C’est un message extrêmement important, à mon avis. Certains le comprennent, d’autres malheureusement, non.
C’est une grosse communauté Harratine qui vit dans cette contrée, perdue entre le Ksar et Tevragh Zeina. Elle est composée de manœuvres, de domestiques, de gardiens. Leurs épouses se livrent, pour certaines à la vente de couscous le soir, mais, avec l’invasion du couscous industriel, elles trouvent très peu de preneurs, regrette Mohamed Salem
Pour défendre nos « intérêts », dans cette partie de la capitale où nous cohabitons avec les riches, nous nous sommes constitués en Mouvement en 2009, pour soutenir le Mouvement de la Rectification ; Tevragh Zeina a gagné à l’époque, nous avons ensuite créé un bureau de 12 membres, mais nous avons peiné à avancer parce que nous étions tous des bédouins, explique Mohamed Salem. Et toujours dans cette optique, nous avons décidé, de soutenir la candidature de Maty Mint Hamady, en 2013. Elle sera élue la tête de la Communauté Urbaine de Nouakchott (CUN), mais, nos efforts n’ont pas été récompensés. Le manque de maturité politique de la personne que nous avions désignée pour nous représenter y est pour quelque chose, avoue-t-il. On nous a inondés de belles paroles, mais à l’arrivée, aucun lopin de terre de distribué aux membres du Mouvement.
Les conditions de vie dans les squats semblables à celui de du Marché des femmes est plus que précaires ; les occupants vivent, comme on le dit au jour le jour.
A la questions de savoir si les services publics de l’Etat, ses organismes humanitaires, comme le CSA, le commissariat aux droits de l’homme et à l’action humanitaire (CDHAH), l’Agence Tadaamoun ou les organisations de défense des droits humains s’intéressent à leur sort, Mohamed Salem affirme que seule le parti Tawassoul apporte son appui matériel aux populations pauvres de la zone et aide les enfants à apprendre le Coran.
Parlant avec une espèce de pincement au cœur, Ould M’Bareck déplore le grand incendie qui a ravagé le squat situé non loin de l’hôpital ophtalmologique Bouamatou. C’était horrible, Dieu merci, nous avons échappé.
Squat Socogim Ksar
C’est vers 18 h, que nous dénichons ce squat du Ksar, autrement appelé, quartier potences SNDE. M’Bareck s’activait à rassembler ses bagages dont certains étaient déjà empaquetés. Son épouse était sortie. « Je m’apprête à retourner, d’ici quelques jours, à la badya (campagne) pour la culture de décrue, notre barrage vient de lâcher les eaux et on doit entamer les travaux », nous apprend, ce chef de famille, une soixantaine révolue. C’est un parent qui viendra vivre ici, jusqu’à mon retour, Inchallah.
Arrivé de son Djonaba natal (Brakna) en 1989, l’homme raconte comment il a squatté la devanture d’une maison non occupée et dont le propriétaire se trouve à l’étranger.
Je me suis installé ici comme gardien d’abord d’un chantier, après les travaux, j’ai ensuite profité de cet espace pour planter mon hangar au milieu. Et depuis, je n’ai fait que me déplacer un petit peu quand l’un des propriétaires des maisons voisines, (il la montre du doigt) s’est plaint de ma présence dans le parc. Il trouvait que j’importunais le voisinage. Il a fait venir le maire et les gardes pour me contraindre à quitter, mais celui-ci s’est montré compréhensible et m’a prié de déplacer ma baraque. Ce qui fut fait. Informé de mes mésaventures, le propriétaire de cette maison devant laquelle nous vivons depuis longtemps, nous pria de nous installer ici, où nous nous trouvons, vous et moi. Dieu, merci, ajoute M’Bareck, là où il des méchants, il y a heureusement des bons, des gentils ; c’est le cas de certains de mes voisins. Il indique deux maisons dont l’une fournit à ses baraques de l’eau et de l’électricité, en plus d’autres gestes. « Que Dieu les récompense pour cela », pria M’Bareck avant d’ajouter, il y a un arabe (arby) qui m’apporte, à la fin de chaque mois, 25 kg de riz, son boy le décharge de sa voiture devant le hangar. Avec quoi vivez-vous d’autres? Allah est grand, je cours la ville à la recherche de petits boulots pour nourrir la famille, et certains de mes voisins très gentils, font le reste.
Pendant que nous discutions, sa fillette se dirigea vers nous, portant sa petite sœur.
Alors, elle ne fait pas l’école cette fillette ? Vous allez l’arracher des bancs pour la campagne, elle risque de rater des cours non, lui demandai-je. Si, si, elle fait bien l’école, nous avons pris les dispositions nécessaires, elle est déjà transférée, nous avons informé l’école du village, indique M’Bareck.
Des efforts de l’Etat à faible impact
Pourtant face à la pauvreté, à la misère qui gagne, la Mauritanie a élaboré un Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (CSLP) pour la période 2001-2015, adopté par la loi d’orientation sur la lutte contre la pauvreté n° 050/2001 du 25 juillet 2001.
Le CSLP, qui prend en compte les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) reposait initialement sur quatre axes stratégiques : (i) accélérer la croissance économique et stabiliser le cadre macroéconomique ; (ii) ancrer la croissance dans la sphère économique des pauvres ; (iii) assurer le développement des ressources humaines et l’expansion des services de base et ; (iv) améliorer la gouvernance et renforcer les capacités.
La Mauritanie a également mis en place, dans le cadre de la lutte contre les séquelles de l’esclavage, l’agence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’insertion, (Tadaamoun) puis, une feuille de route. Mais, en dépit de ces efforts et du taux de croissance qui a enregistré des progrès, il y a quelques années, la pauvreté ne recule que très lentement. Elle frappe de plein fouet les couches les plus démunies. La Mauritanie demeure confrontée à des défis importants, pour asseoir les bases d’une croissance économique accélérée et soutenue, de nature à créer les emplois, à réduire le chômage et à améliorer durablement les conditions de vie des populations.
C’est d’ailleurs ce que tend à confirmer le rapport de Philip Alston, rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté en Mauritanie, où il a effectué une mission du 2 au 11 mai 2016.
Le rapporteur de l’ONU pointe l’extrême pauvreté dans laquelle vivent les trois quarts de la population et l’exclusion qui frappe les Haratines, d’origine esclave. Les conclusions qu’il en a tirées ne sont dans un pas réjouissantes, constatant que « si la Mauritanie avait réalisé des progrès notables dans la lutte contre la pauvreté ces dernières années », les trois quarts de la population vivent « un état de pauvreté multidimensionnelle ou dans un état proche ». Outre l’insuffisance de leurs revenus, ils affrontent des difficultés multiples, peut-on lire dans une synthèse de JA, publié, le 23 juin 2017.
Selon une enquête gouvernementale de 2014, la pauvreté (revenu d’un ménage inférieur à 1,34 dollar par jour) a été ramenée de 42 % en 2008 à 31 % cette année-là ; 74 % des pauvres vivent dans les zones rurales. Le taux de pauvreté des ménages grimpe à 59,6 % quand le chef de famille est agriculteur.
Analysant l’exclusion qui frappe les Haratines (Maures noirs descendants d’esclaves) et les Afro-Mauritaniens (Peuls, Soninkés, Wolofs), Philip Alston note que ces groupes qui représentent plus des deux tiers de la population, « sont systématiquement absents des postes de responsabilité et constamment exclus de nombreux aspects de la vie économique et sociale ». Il s’appuie sur un rapport de 2014 d’après lequel « seulement 5 des 95 sièges à l’Assemblée nationale étaient occupés par des Haratines et un seul sénateur sur 56 appartenait à ce groupe. De plus, seulement 2 des 13 gouverneurs régionaux et 3 des 53 préfets régionaux sont Haratines ». Les proportions sont comparables chez les officiers de l’armée et les gradés de la police.
Reportage réalisé par Dalay Lam
Au service du programme : « Liberté, droit et justice
pour combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie »
du Département d’Etat des Etats Unis d’Amérique