Le Calame : Le 24 septembre marque l’anniversaire de votre retour au pays, après 23 ans d’exil forcé. Pouvez-vous nous dire ce qui s’est passé depuis ?
Samba Thiam : Vaste question ! Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis ! Je ne saurais donc, ici, m’attarder sur tout, mais seulement sur quelques points forts …
Lorsque nous considérons d’où nous venons, il serait difficile de nier les effets bénéfiques engendrés par ce retour au bercail …Nous venons de loin !
Prenons d’abord le regard, nouveau, porté maintenant sur Nous …Il m’arrive parfois d’arpenter les rues du centre ville, abandonnant la voiture ; bien souvent je croise sur mon chemin de jeunes mauritaniens –Haratines, Négro-africains, Arabo-berbères – que je ne connais pas, mais qui s’arrêtent, se présentent et me saluent respectueusement, cela bien avant les bains de foule du dialogue « national » ou du G8 . Deux évènement m’ont particulièrement ému à ce sujet ; l’un s’est produit aux abords du marché aux poulets, l’autre à la chaîne de télévision El Watanya . J’entrais dans le marché , frôlant une voiture garée à proximité lorsque deux jeunes arabo-berbères me reconnaissant , en surgissent et s’avancent vers moi avec un sourire, juste pour me dire bonjour … Le second évènement eut lieu à la Télé El Watanya où, en fin de débat, un jeune haratine a tenu absolument à prendre une photo avec moi …Ces jeunes, par leur attitude loin du rejet, témoignaient au contraire que ces ‘’ anciens flamistes’’ aujourd’hui militants des FPC , sont passés du statut de pestiférés à celui d’hommes dignes de considération , respectables et respectés. C’est leur manière de reconnaître et saluer la légitimité et la justesse de notre combat…
Il n’y eut pas deux ou trois rencontres de ce genre, mais plusieurs, avec des personnes matures, de toutes races et de toutes catégories sociales. Ce sont de rares points de réconfort moral dans ce combat de tous les jours …
La glace est brisée, les FPC sont aujourd’hui une force politique reconnue, crédible, qui pèse dans l’échiquier politique. Les lignes bougent …
J’y ajoute un autre élément, fondamental celui-là ; en interpellant, sans répit, la classe politique sur les préoccupations de l’heure, nous avons replacé au centre du débat actuel la question cruciale du ‘’ vivre –ensemble ‘’ ’. Le Pouvoir en place, bien que vicieux, ne peut plus esquiver cette question vitale, existentielle aigue.
-Après ce retour, vous avez décidé de créer un parti, les FPC que le pouvoir a refusé de reconnaître. Vous aviez enclenché une procédure pour attaquer ce rejet. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
-C’est exact. Le recours court toujours à la Cour suprême. Le dossier est chaque fois programmé pour être jugé, mais à chaque fois reporté. On devine pourquoi !!! .Sur le plan des normes légales requises, notre dossier est inattaquable .Nous sommes simplement victimes d’un blocage politique.
Dans notre pays, je l’ai déjà dit, le Prince se substitue au droit, se considère comme ‘’ la loi personnifiée’’ ! Vous comprendrez qu’avec une telle mentalité, nous sommes mal partis…
-Pouvez-vous nous dire comment les FPC sont perçues aujourd’hui par la composante « maure blanc du pays »?
Positivement je crois, par un bon nombre de nos compatriotes. La campagne active de sensibilisation menée après le redéploiement en direction de la classe politique, son élite intellectuelle et ses acteurs économiques et sociaux, a donné des fruits. N’oubliez pas les deux évènements décrits plus haut, entre autres, qui illustrent le changement, positif, du regard porté sur nous, la modification du prisme initial déformant qui nous enserrait et nous desservait.
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-Vous avez pris part au dialogue politique de 2016, ce qui vous a valu des critiques de vos détracteurs. Vous vouliez passer votre message. Quel était-il ? Comment a-t-il été perçu ? Vous reconnaissez-vous dans les résolutions de ce dialogue ? Sinon, regrettez-vous aujourd’hui d’avoir pris part à ce conclave ?
-Vous dites bien ‘’ vos’’ détracteurs, ils ne nous intimident pas, car ils ne nous épargneront pas de toute façon, quoiqu’on fasse. Personnellement je fais mienne cette remarque d’E. Roosevelt qui disait, à propos justement de la peur qui entourait les critiques, que de toute façon, que vous agissiez ou non, vous serez critiqué. Alors, suggérait-elle, en filigrane, agissez ! J’en fais ma philosophie …
Quel message nous voulions passer au dialogue ? D’abord expliquer, rappeler à ceux qui semblent l’ignorer, le méconnaître ou délibérément l’oublier, comment la Mauritanie a été constituée, historiquement, par la France. Le colonialisme français a rassemblé, pour faire ce territoire, deux espaces géographiques ou deux aires culturelles distinctes, deux peuples aux traditions et habitudes mentales différentes, deux entités politiques historiques, avec chacune son organisation politique et sociale propre. Vouloir gommer cette réalité têtue, c’est manquer de clairvoyance, c’est se fourvoyer et maintenir le pays dans l’instabilité permanente …
Tel était le message, entre autres, que nous voulions passer, perçu –il est vrai- de façon mitigée…Mais le plus important à nos yeux n’était pas, nécessairement, d’obtenir une adhésion massive à nos vues, mais plutôt de susciter, disons de forcer un débat sur ces questions jusque-là, toujours esquivées, sinon escamotées.
Ne perdons pas de vue que notre participation à ce dialogue, qu’on ne peut en aucun cas regretter , a permis à certains acteurs traditionnels de la vallée du fleuve de s’enhardir à cette occasion , en se ralliant ouvertement à nos positions contre les politiques d’exclusion qui frappent les Négro-africains ! Cette participation, par ailleurs, n’a pas été sans retentissement jusque dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale ...
Pour ce qui concerne notre position sur les résolutions du dialogue, nous nous sommes déjà largement exprimés là-dessus à travers d’abord vos colonnes, ensuite dans une déclaration post-dialogue, publiée immédiatement après la clôture de celui-ci.
- Que pensez-vous de la mise en œuvre des résolutions du dialogue?
- Le Président Ould Abdel Aziz a choisi, arbitrairement, les points qui lui convenaient mais qui ne reflétaient nullement tous la lettre des débats pendant ces assises. Il a délibérément et arbitrairement éliminé un point qui avait fait objet de consensus, à savoir l’officialisation de toutes les langues nationales. Un des points aurait pu être la régionalisation si elle n’était pas vidée de sa substance. Alors ‘’ mise en œuvre ou pas des résolutions du dialogue ’’, sur des points mineurs, qu’importe ?
-Que vous inspire l’hymne national concocté ?
- N’ayant pris connaissance du texte en question que par bribes, je me garderai de parler du contenu. Par contre , sur la procédure pour élaborer l’hymne , notre position est de ferme réprobation , tant pour la représentativité de notre diversité , encore une fois gommée , que pour le choix des membres de la commission de rédaction qui pose , semble-t-il , comme condition obligatoire la connaissance de la langue arabe ; comme pour attribuer exclusivement aux uns l’habileté ou le monopole à concevoir les normes patriotiques pour tous !
Or, à notre avis, des symboles nationaux aussi forts comme le drapeau et l’hymne devraient être conçus de manière à susciter l’adhésion massive des mauritaniens, sans distinguo.
-Une partie de l’opposition démocratique, comme les partis de la majorité présidentielle considéraient que les FPC n’étaient pas « fréquentables ». Que s’est-il passé pour que votre parti intègre le G8 qui a combattu les amendements constitutionnels ?
- Rien, sinon peut-être que les préjugés et les stéréotypes sont tombés, que l’intoxication ayant conduit à notre diabolisation ne prend plus ! Les éléments arabo-berbères honnêtes ont compris, enfin, que les FPC étaient un parti politique sérieux, ouvert ; un partenaire crédible, juste soucieux de l’intérêt supérieur des mauritaniens …
-La question nationale demeure pour les FPC la priorité N°1. Pensez-vous que vos vis-à-vis du G8 ont la même compréhension que vous ?
Je vous remercie de nous reconnaître au moins ce label ... Ce qu’on peut, je crois , dire pour l’heure , c’est qu’un bon nombre au sein du G8 s’accorde ou reconnaît qu’il se pose un problème d’Unité nationale, chez nous…Maintenant dans le diagnostic ou dans les solutions, il pourrait y avoir des nuances, voire de sérieuses différences …Mais le plus important à mes yeux réside dans le changement de l’attitude de déni , assez courant, pour reconnaître et accepter de débattre des problèmes dans la sérénité , dans un esprit ouvert et tolérant, avec une volonté réelle de trouver des solutions …’’Un problème débattu est à moitié résolu’’ , disait l’autre. Il nous faut débattre, communiquer, voilà, pour moi, le plus important.
J’ai bon espoir que dans les prochains jours, les prochaines semaines, nous nous y acheminerons…
Nous demeurons , au niveau des FPC, ouverts aux uns et aux autres , dès lors qu’il s’agira de s’attaquer à la question de la cohabitation qui , vous le savez , nous tient à cœur. Nous demeurons intransigeants dans sa prise en charge dans tout partenariat. Cela doit être entendu.
-Quelle appréciation vous faites du dossier « Bouamatou et consorts » ?
-Ce dossier indique , à mon sens , que nous sommes entrés dans une ère de dérive autocratique…Il n’y a pas si longtemps , à travers mes prises de position régulières, j’alertais sur les premiers signes , appelant l’opposition à ouvrir les yeux et à réagir …Cette dérive est maintenant là , bien visible, installée, ouvertement déclarée et assumée par le Prince….
Vous m’offrez l’occasion ici de condamner, avec la plus grande fermeté, l’intimidation, les vexations et le harcèlement quotidiens dont sont victimes ces journalistes courageux , à l’image du modèle que s’en faisait A. Londres , c’est-à-dire qui ‘’ mettent le doigt dans la plaie’’.. . Pour le reste, je ne voudrais pas entrer dans une guéguerre de clans ou de réseaux …
Je voudrais enfin dire aux partenaires de la Mauritanie, qu’il ne faut pas que ‘’ des raisons de sécurité ‘’ l’emportent sur celles de stabilité de notre pays …
-Pensez-vous que le président Ould Abdel Aziz quittera le pouvoir en 2019, conformément à la Constitution ?
-Rien ne le laisse supposer, absolument rien ! Vous savez, le Président excelle dans l’art de mener les gens en bateau … Mais bon, wait and see !
Propos recueillis par Dalay Lam