Plus d’un observateur non averti, peut trouver paradoxal, disproportionné, socialement inexplicable, historiquement sans précèdent--exception faite du différend qui a opposé il y a trente-six ans l’homme d’affaires Haba a l’ancien président Haidalla- l‘actuel conflit qui oppose M. Bouamatou à son cousin de président.
La particularité de ce nouveau duel est qu’il est en train de prendre la forme d’une métastase aux développements si rapides et si dramatiques, qu’elle s’étend à des domaines sociopolitiques aussi différents que la représentation nationale (sénateurs), la presse, les syndicats et, probablement bientôt, des partis politiques dans une incompréhension totale de l’opinion quant aux véritables enjeux de ce duel de Titans.
En effet, il est difficile pour le mauritanien moyen, se référant aux seuls outils traditionnels d’analyse : appartenance tribale, défense de l’intérêt personnel immédiat, occupation d’un espace politique donnant un accès facile à la manne de l’Etat, de comprendre comment un homme aussi intelligent que Bouamatou et un président si aussi soucieux de la défense de ses intérêts personnels qu’Aziz, n’aient pas réussi à trouver un compromis mutuellement avantageux, donnant à chacun la possibilité de se mouvoir et d’être seul maître dans son domaine « naturel » : le business pour l’un, le politique et le sécuritaire pour l’autre.
Le but de ces lignes est de donner quelques clefs d’analyse permettant de comprendre les origines et les perspectives de ce conflit. Avec l’ambition, de susciter un débat dans les milieux de la presse qui, à travers des contributions individuelles permettra de disposer d’une boite à outils conférant la possibilité de suivre objectivement ce conflit et surtout d’en anticiper les développements futurs. Car, à n’en pas douter, ce différend, s’il n’est pas contenu dans des proportions raisonnables, peut à terme menacer la stabilité du pays.
Un conflit né à la suite du coup d’Etat de 2008.
Beaucoup de Mauritaniens en sont conscients : Monsieur Bouamatou a apporté un soutien décisif à la réussite du coup d’Etat contre Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Mais peu ont une idée précise de la forme que ce soutien a pu prendre. Mais surtout, ils ignorent combien la facture payée par l’homme d’affaires pour la réussite du putsch a été à la fois extrêmement lourde et multiforme.
Avant d’énumérer les éléments constitutifs de la douloureuse payée par le Président de la GBM, et qui explique la haine froide qu’il nourrit à l’égard d’Aziz, Il importe de rappeler qu’il n’était pas dans l’intention profonde de ce dernier en 2008, de faire un coup d’Etat. Tout comme il n’était personnellement pas préparé à occuper les hautes sphères de l’Etat comme il le fait aujourd’hui.
Se sentant marginalisé par un Président dont il n’avait pas parrainé la candidature, mais auquel il avait apporté un soutien décisif, Aziz que sa nature porte peu à pardonner « l’ingratitude », a décidé de jouer un jeu dangereux : tordre le bras au marabout et lui montrer que la majorité dont il dispose n’était pas la sienne. Et montrer à Sidi Ould Cheikh Abdallahi qu’il était, certes, un président démocratiquement élu, mais qu’il avait des obligations et des devoirs à l’égard de partenaires qui avaient été les véritables artisans de son élection, et qui, de ce fait, entendaient s’arroger une sorte de « régence démocratique ».
C’est cette stratégie qui a abouti à la naissance des députés frondeurs, agissant sous l’ordre des généraux et ne reconnaissant comme autorité que celle du général commandant du BASEP. Une situation que le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi ne pouvait tolérer, sauf à accepter l’infamie d’être un président par procuration. Jaloux de ses prérogatives et poussé par des conseillers ignorant que la légitimité politique n’a d’effet qu’adossée à un rapport de force militaire favorable, Ould Cheikh Abdallahi commit l’irréparable en destituant les généraux.
Le tourbillon ainsi créé mettait Ould Abdel Aziz dans une position des plus inconfortables. Pris entre les deux termes d’une alternative tout aussi douloureux l’un que l’autre, il n’avait le choix qu’entre se faire évincer du centre de décision d’un pouvoir qu’il a arraché pas de haute lutte, ou faire le ‘’le coup d’Etat de trop’’ comme il le reconnaitra lui-même, mettant ainsi fin à la jeune et prometteuse démocratie Mauritanienne.
Mais le plus difficile n’était pas d’accomplir une forfaiture aussi énorme, mais plutôt de la faire avaler à l’opinion publique nationale et, surtout, triompher des réticences d’une communauté internationale devenue intransigeante vis-à-vis des changements antidémocratiques. La tache paraissait d’autant plus grande, que le général et ses compères de l’armée étaient inconnus sur le plan international. De plus, l’image que l’opinion nationale avait de certains des officiers les plus déterminés dans la réussite du putsch, les colonels Ould Hadi et Ould Baye, notamment, était tout sauf glorieuse.
Dans un tel contexte, et face à l’enjeu crucial qu’était la vie ou la mort d’une jeune démocratie défendue par un front politique alliant la légitimité démocratique et une exceptionnelle (et inhabituelle) capacité de mobilisation, l’attelage putschiste semblait peser d’un poids bien léger, et peu se seraient risqués à parier une ouguiya sur la réussite du coup d’Etat.
Et c’est en cela que l’engagement de l’homme d’affaires sera déterminant comme le montrera la suite.
Bouamatou ou le Superman du coup d’Etat.
Disons le tout de suite et le plus clairement du monde : Aucun démocrate digne de ce nom, ne saurait pardonner à Monsieur Bouamatou d’avoir contribué aussi efficacement, à l’assassinat de cette expérience politique, fruit d’un débat démocratique sans précèdent dans l’histoire de notre pays, les fameuses journées de concertation.
Bouamatou a initié de nombreuses actions de bienfaisance, intelligentes, bien ciblées et réellement désintéressées. La plus emblématique et la plus noble d’entre elles est l’hôpital ophtalmique qui porte son nom. Une idée de génie que tout le monde lui envie. Rien de tout cela, pourtant ne pourra atténuer la responsabilité historique qui est la sienne dans le succès de la forfaiture d’Aziz.
Pour la réussite du coup d’Etat, Bouamatou a agi sur plusieurs plans.
- 1/ En direction de l’Elysée : C’est là l’action la plus déterminante. En effet, on se rappelle que le Quai d’Orsay avait publié, dès les premières heures du putsch, un communiqué condamnant fermement le coup d’Etat. Une réaction d’autant plus inquiétante pour les généraux, qu’ils ne disposaient ni individuellement ni collectivement d’entrée significative auprès du Président de l’époque M. Sarkozy. Ould Abdel Aziz avait certes entrepris quelques semaines auparavant, un voyage ‘’explicatif’’ au Maroc et en France, pour entre autres, donner sa version du différend qui l’opposait à son président, faisant valoir le prétendu laxisme de ce dernier quant à la lutte contre le terrorisme. Mais il n’a été reçu que par un responsable de la cellule Afrique au Quai d’Orsay. Rien qui puisse servir de caution a un acte aussi grave qu’un coup d’Etat.
Bouamatou, lui, agira à des niveaux beaucoup plus élevés, et donc plus efficaces. Il ira activer son réseau d’affaires par l’intermédiaire d’une personnalité connue dans les milieux de la France-Afrique de ces dernières décennies, en l’occurrence l’avocat franco-libano-Sénégalais Robert Bourgi. Né au Sénégal, ayant fait ses armes sous l’aile de Jacques Foccart, l’homme des louches ‘’affaires africaines’’ de de Gaulle, Bourgi, était en 2008 bien introduit dans les hautes sphères de l’exécutif français. Il se vantait d’être ‘’un ami très écouté de Nicolas Sarkozy", comme il le dira au quotidien le Monde un an plus tard, en 2009. Une assertion difficile à démentir quand on sait que le président Français l’avait décoré en 2007 de la prestigieuse légion d’honneur. L’avocat d’affaires et ami de Bouamatou avait aussi un intime dans le sérail présidentiel en la personne de Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée, et de fait patron du Quai d’Orsay, Bernard Kouchner, ministre d’ouverture, ne jouissant que modérément de la confiance de Sarkozy.
Une amitié assumée par Claude Guéant, même aux plus mauvais moments de sa carrière. Apres la défaite de Sarkozy, et mis en examen pour corruption , Bourgi avoue a la justice française avoir livré, de la part de chefs d’Etats africains, des valises remplies de billets de banque, destinées aux hauts responsables politiques français et cite son ami Claude Guéant. Ce dernier, tout en niant être impliqué, concède aux juges ‘’Oui, je le voyais quand j'étais à l'Elysée comme secrétaire général (entre 2007 et février 2011), parce que c'était un bon connaisseur de l'Afrique’’. De là à penser que, parmi ces valises, on puisse compter une ou deux qui viennent de la Mauritanie, il n y a qu’un pas, si l’on tient compte de l’enjeu, la réussite d’un putsch contre une jeune démocratie.
En plus du réseau Bourgi, on parle même de l’engagement d’un autre homme, Vincent Bolloré. Á la tête d’un empire de logistique et de transport dont il est propriétaire, gérant de dizaines de terminaux dans les ports africains les plus actifs, propriétaire du groupe de presse CANAL+, Bolloré est aussi l’ami intime du président Sarkozy dont il a financé en grande partie la campagne. On se rappelle en France, que la nuit de l’élection du président Français, c’est sur le Yacht de Bolloré que la fête fut célébrée ; en dépit de l’indignation de l’opinion publique française contre ce qui peut être considéré comme un ‘’inceste politique’’ entre le milliardaire à l’empire tentaculaire et le nouveau président
Quoi qu’il en soit, l’action de lobbying mise en place par le réseau Bouamatou, inhiba toute volonté internationale de revenir sur le fait accompli du cout d’Etat et s’attèlera à la gestion de l’après putsch. Ce fut un tournant décisif dans la réussite du projet mal préparé d’Aziz.
- 2/ Sur le plan continental : Le réseau français sera aussi mis en branle pour obtenir la bénédiction du dirigeant libyen, Kadhafi avec lequel les relations françaises étaient alors au beau fixe. Lui aussi, avait contribué au financement de la campagne de Sarkozy. Le guide libyen s’apprêtait à prendre la tête de l’Union Africaine (février 2009) et comptait de nombreux appuis sur le continent, en particulier chez nos amis Maliens. On se rappelle son cri « six, six » au Palais des congrès de Nouakchott.
De l’autre côté du fleuve, le réseau Bourgi/Bouamatou qui s’étend jusqu’ à la famille du Président Wade, (Bourgi est un intime de Karim Wade, le fils du président sénégalais de l’époque) a lui aussi été mis à contribution, en dépit de la vielle amitié qui lie ce dernier à Sidi Ould Cheikh Abdallahi.
A ce propos, les négociateurs des accords de Dakar se rappellent l’évolution lente mais inexorable de la position de Cheikh Tidiane Gadio, ministre sénégalais des Affaires étrangères vers un soutien au fait accompli du putsch, entrainant dans son inclination l’Algérien et tout puissant commissaire pour la Paix et la Sécurité de l’Union Africaine, le très habile Ramtane Lamamra, futur ministre des Affaires étrangères de son pays, envoyé comme médiateur dans le conflit Mauritanien..
S’agissant du soutien du Maroc, WikiLeaks en donna une version détaillée. Il a permis de neutraliser la farouche hostilité américaine au coup d’Etat, matérialisée par les relations exécrables qui existaient entre l’ambassadeur américain à Nouakchott, Mr Brown et le président putschiste Aziz. Selon l’organisation internationale, la diplomatie marocaine, par l’intermédiaire de son groupe de lobbying aux USA, aurait convaincu le Département d’Etat de ne plus exiger le retour du Président renversé et de donner leur chance aux négociations de Dakar. Mieux encore et plus difficile, la diplomatie Marocaine a obtenu du Département d’Etat que ce soit l’Ambassadrice américaine dans la capitale sénégalaise qui représentera son pays dans les négociations de Dakar en place et lieu de Mr Brown auquel revenait ce rôle. En effet, la question étant mauritanienne, ce sont les ambassadeurs accrédités à Nouakchott qui devaient représenter leurs pays aux négociations, même si celles-ci avaient lieu à Dakar. Mr Brown fut le seul absent, sans doute en raison de son hostilité au putsch. A ce propos, il importe de noter que le Président de l’UFP, Mohamed Ould Maouloud , qui négociait au nom du front soutenant Sidi Ould Cheikh Abdallahi, dira plus tard à certains de ses proches, que tout au long des négociations, l’opposition la plus farouche et la plus déterminée qu’il eut à rencontrer fut celle de l’ambassadrice américaine à Dakar. ‘’Cette dame s’est appliquée à déjouer tous les scenarios que j’ai élaborés, elle agissait avec une détermination et une vigilance qui m’ont paru suspectes’’ se rappelle Ould Maouloud.
Si on peut supposer que le Maroc ait pu apporter son soutien pour des raisons qui lui soient propres : les principaux auteurs du putsch, Aziz et Ghazwany sont des anciens des écoles militaires marocaines. Aziz a en plus eu la délicatesse de venir quelques semaines avant le coup d’Etat plaider sa cause à Rabat, reconnaissant par ce fait ‘’un droit d’ingérence du Maroc dans les affaires mauritaniennes’’. Le général est aussi, matrimonialement parlant, le beau-fils du royaume. Autant d’atomes crochus auront-ils été suffisants pour obtenir la bénédiction des diplomates marocains ? On ne saurait le dire. Mais même dans ce cas, l’engagement de Bouamatou, ses nombreuses relations dans le milieu des affaires à Rabat ont sans doute constitué une opportune cerise sur le gâteau.
- 3/ Au plan national : Bouamatou a agi au moins sur trois fronts : (a) Eteindre des foyers de tension sociale créé par le putsch, (b) empêcher la création d’un large front politique anti-putsch, (c) financer la campagne.
- S’agissant des fronts sociaux, il s’est attelé dans l’immédiat à traiter le problème de la première dame : Khatou Mint Elboukhary. Cette dernière dont le mari a été enlevé de ses bureaux de la présidence, est restée avec sa famille dans un palais encerclé. N’étant pas du genre à se faire malmener sans réagir, elle commençait à téléphoner aux medias internationaux criant à la séquestration et à la prise d’otage. Il a fallu toute la diplomatie de Bouamatou pour (1) convaincre Aziz de le laisser gérer cette sensible question (2) persuader cette tigresse en furie de Khatou de se faire extraire du palais en emportant tous ses effets personnels. Ce qu’elle fit en étant large sur l’inventaire, selon certaines rumeurs.
Ce ne fut pas là le seul foyer duquel il fallut s’occuper : Au lendemain du coup d’Etat, Aziz avait mis aux arrêts quelques cadres qu’il accusait d’hostilité à son égard. La finesse n’étant pas sa qualité première, cette chasse aux sorcières a pris une tournure tribale du plus négatif effet pour le nouveau régime. Bouamatou, à l’époque président du patronat, engagea son organisation dans le conflit, et entreprit de payer les cautions réclamées, cautions que les détenus refusaient, à juste titre, d’honorer. Tout comme il se démènera pour qu’une solution à l’amiable soit trouvée aux problèmes des hommes d’affaires proches de l’ancien régime, eux aussi mis aux arrêts dans le sillage du coup d’Etat.
- Sur le front politique, Bouamatou entreprit des démarches au sein des différents partis pour les convaincre que la page Sidi Ould Cheikh Abdallahi appartenait au passé. Une tâche d’autant plus facile pour lui que lors de l’élection présidentielle précédente, les largesses du milliardaire avait profité à tous les candidats, indépendamment de leur positionnement politique. A ce propos, il est permis de penser que les profondes amitiés qui lient l’homme d’affaires à plusieurs cadres influents du RFD, n’ont pas été de nul effet sur la position de ce parti qui a pris acte du putsch et a refusé de se joindre au front mobilisé pour la restauration de la légalité.
- Le soutien à la campagne, prit quant à lui trois formes : (a) un soutien moral : on se rappelle son cri de désespoir, au cours du meeting d’Arafat clôturant la campagne, quand il supplia ceux qui lui étaient redevables de quelque effet que ce soit, de voter pour Aziz. Ce faisant, Bouamatou demandait aux Mauritaniens un retour d’ascenseur pour ses actions sociales. (b) Un soutien logistique : on se rappelle les voitures de la Fondation en campagne, l’hôtel servant de siège de la campagne présidentielle. (c) Un soutien financier, sans doute le plus déterminant. Pour ce faire, Bouamatou a non seulement mobilisé des soutiens financiers internationaux, on parle ainsi de plusieurs centaines de millions de dollars obtenus des libyens, mais Bouamatou a été aussi généreux de son argent personnel. Je me rappelle ce jour, à la veille du premier tour, ou un proche parent parti retirer de l’argent a la GBM, me raconta que l’un des directeurs de la banque lui a gentiment demandé de surseoir à son retrait parce que, lui a-t-il expliqué sur le ton de la confidence, nous sommes en train de bloquer deux milliards d’ouguiyas en liquide dans nos caisses !!! En perspective d’un second tour. Aussi, nous demandons à tous nos clients, qui ne sont pas dans l’urgence, de passer la semaine prochaine. C’est dire à quel point le Groupe Bouamatou s’était mobilisé dans la campagne, parfois aux dépens des intérêts de ses propres clients.
Tout cela pour quoi ?
L’engagement de M. Bouamatou, qui passait pour être un démocrate, en faveur d’un projet aussi funeste, et de surcroit aux côtés d’un homme comme Aziz, était pour moi un mystère. Et cela, d’autant plus qu’ils n’avaient jamais été intimes, évoluant dans des sphères professionnelles très différentes. J’étais curieux de savoir quelles motivations profondes expliquaient cet engagement et, surtout, pourquoi le riche homme d’affaires n’avait pas choisi de s’allier à son vieil ami et longtemps soutien dans le système Taya, à savoir Ely Ould Mohamed Vall.
Ne connaissant pas personnellement le milliardaire (on ne s’était rencontrés qu’une seule fois - sans avoir été présentés- au chevet d’un ami commun, victime d’un accident de la circulation-) il m’était difficile de trouver l’occasion de satisfaire ma curiosité.
Aussi, ai-je demandé à une connaissance commune de se faire mon porte-voix auprès du patron des patrons mauritaniens, et de lui poser lui-même la question. La réponse fut aussi claire que bien argumentée, teintée certes d’un léger voile d’opportunisme. ‘’S’agissant du coup d’Etat, je n’ai fait que prendre un train en marche, je ne suis pour rien dans son déclenchement. Mon intervention a consisté à en limiter les effets négatifs pour la collectivité nationale. Quant au soutien à Aziz plutôt que Ely, il est motivé par mon positionnement professionnel. Le pire qui puisse arriver à un homme d’affaires est d’avoir à la tête de l’Etat un président intéressé par l’accumulation de la fortune. Entre les deux hommes, le choix était pour moi tout fait : par expérience, Ely Ould Med Vall est dans l’âme un homme d’affaires averti et intéressé. A l’inverse, mon intuition me dit que Aziz est plutôt intéressé exclusivement par l’exercice du pouvoir politique’’.
Monumentale et dramatique erreur de jugement ! Qui illustre plus que tout autre fait cette réalité désormais évidente : les deux hommes n’avaient jamais été dans l’intimité l’un de l’autre, voire ne se connaissaient qu’à peine. Autrement, il aurait été impossible à un esprit aussi aiguisé que Bouamatou, spécialiste de la psychologie humaine, de se tromper à ce point sur les motivations profondes d’Ould Abdel Aziz. En exagérant à peine, on peut dire que les problèmes dans lesquels la Mauritanie se débat depuis une décennie, ont pour origine cette monumentale erreur d’appréciation.
On pourrait penser, si l’on veut être généreux, que c’est d’avoir pris conscience de sa responsabilité historique dans le sort actuel de son pays, qui pousse, depuis lors, l’homme d’affaires à courir derrière les évènements, et à multiplier les fronts d’attaque, indéfiniment, inlassablement.
Dès les premiers mois d’exercice du pouvoir par Ould Abdel Aziz, Ould Bouamatou fut édifié sur un point crucial : Ould Abdel Aziz a l’inverse de ce qui était supposé, ne lui reconnaissait aucun statut particulier. Et surtout pas celui de partenaire que lui aurait conféré sa contribution majeure à son élection.
En clair, Aziz refuse à Bouamatou ce que lui-même avait exigé de Sidi Ould Cheikh Abdallahi à savoir la fameuse ’régence démocratique’’, faisant ainsi preuve à son tour ‘’d’ingratitude politique’’. Comme quoi, chez nous, l’histoire a l’art de bégayer, à une périodicité d’à peine un an.
Ould Bouamatou était d’autant plus contrarié et furieux, qu’il avait dû prendre de multiples engagements nationaux et internationaux devant tous être honorés au terme de l’élection de son poulain de général président.
Sur le plan national, Bouamatou rêvait d’un patronat reconnu comme partenaire à part entière par les autorités publiques et ce sur tous les plans : Élaboration des politiques d’investissement, assise au niveau de la Commission centrale des marchés, pour assurer la transparence des décisions, participation au conseil d’administration de la BCM, pour agir sur la politique monétaire, implication dans les négociations avec les partenaires au développement et les institutions de Brettons Wood. Autant de rêves vite envolés.
Mais Bouamatou a aussi, très probablement, pris des engagements vis-à-vis de ses soutiens étrangers. C’est un secret de polichinelle, que Bolloré était intéressé par la cession du port de Nouakchott, après avoir perdu, pour vingt-cinq ans, celle du port de Dakar devant le géant Emirati Doubaï Port. On savait Tunis Air intéressée par l’acquisition d’Air Mauritanie. On savait les Marocains irrités par une position de la diplomatie Mauritanienne plutôt favorable aux thèses Algériennes sur le conflit du Sahara Occidental.
Désespérant de voir ses multiples doléances satisfaites, il ne restait plus à l’homme d’affaires qu’à apporter à ses multiples partenaires la preuve de sa bonne foi quant aux promesses et engagements qu’il avait pris, en rompant tout lien avec Ould Abdel Aziz. C’est ainsi qu’il quitta le pays, laissant en jachère son patrimoine national, pour se positionner dans le camp anti-Aziz. C’était assurément la seule attitude lui permettant de sauver, auprès de ses partenaires internationaux, une crédibilité mise à mal, et si fondamentale pour la bonne marche de son business à l’international. Une façon de dire à Bolloré et autres ‘ je suis aussi victime que vous’’.
Où va-t-on. ?
Bouamatou n’étant pas particulièrement un disciple du Christ, n’est pas du genre à tendre l’autre joue pour recevoir une seconde claque. S’il est resté en hibernation la première année suivant l’élection d’Aziz, c’était probablement pour concocter un plan minutieux ayant pour objectif de faire rendre gorge à Aziz. Autant que l’observateur averti mais non impliqué peut en juger, ce plan a suivi deux phases :
- Dans un premier temps, il s’agissait de collecter et diffuser le maximum de faits avérés, attestant que la lutte contre la gabegie, fusée de lancement de la campagne électorale d’Aziz et principal justificatif de sa prise de pouvoir, n’était autre chose que de la poudre aux yeux. Il faut avouer que la voracité et la boulimie de certaines proches du Président, l’absence de respect d’un minimum de forme dans leurs agissements, la course folle qu’ils ont engagée pour occuper des rentes juteuses dans le tissu économique national, ont fourni une matière première inestimable aux détracteurs du Président. Telles des feuilles mortes, les scandales se ramassaient à la pelle. Le travail de sape mené par le patron de BSA et ses relais internes sur ce plan, est tel qu’aucun Mauritanien, de quelque niveau qu’il soit, et quel que soit son positionnement politique, n’a aujourd’hui de doute sur le fait que, mesuré à l’aune de la gestion de la chose publique, le régime de Aziz est semblable, voire pire que ceux qui l’ont précédé. La spécificité de ce pouvoir étant que la gabegie n’est autorisée que dans certains cercles restreints, mais dont l’appétit est insatiable.
- Soutenir la mise en place d’un réseau au niveau de la représentation nationale, qui compenserait l’absence de l’opposition traditionnelle dans le parlement. En clair, retourner des élus du parti au pouvoir contre Aziz. Là aussi, la stupidité et la myopie politique du pouvoir en place ont été d’un inestimable secours. Sauf que, sur ce plan, la responsabilité personnelle d’Aziz a été entière. La naïveté politique qui frise l’arrogance suicidaire, dont a fait preuve le Président dans le discours de Néma, a constitué une aubaine pour les marionnettistes de la fronde des sénateurs. Le résultat d’une telle bourde fut lourd de conséquences pour la suite des évènements.
En refusant de voter les amendements de la constitution, les sénateurs ont contraint le pouvoir en place à aller braconner à la lisière de la légalité constitutionnelle, se référant à un article 38 hors propos. Ce faisant, Aziz perdait un atout essentiel, la légitimité juridique qui, seule, fonde son pouvoir, après que la multiplication des affaires lui ont fait perdre sa légitimité morale.
Le recours au bourrage des urnes dans cette mauvaise farce du referendum, la convocation cette semaine par la police de certains journalistes, syndicalistes, élus locaux, la séquestration du sénateur Ould Ghadde, la flagrante pression mise sur les juges, sont l’expression révélatrice du vertige qui s’est saisi de l’Etat, au plus haut sommet.
Par son harcèlement, ses coups de boutoirs continus et bien ciblés, Ould Bouamatou est train de pousser Aziz à la faute, faisant tomber le dernier masque qui lui restait, celui d’un président démocrate respectueux des libertés individuelles. A ce rythme, la fière proclamation « zéro prisonnier politique » dans les geôles ne sera plus qu’un slogan mensonger.
Un homme seul et fragilisé.
Constitutionnellement parlant, il reste à Ould Abdel Aziz deux ans pour prendre congé des Mauritaniens. Le respect de cette échéance qui, dans tout pays normal, ne devrait faire l’objet d’aucun doute, est pourtant le sujet le plus débattu dans le nôtre, suscitant controverse et passion.
La question en filigrane est la suivante : ‘’ Qu’est ce qui pourrait inciter Ould Abdel Aziz à rempiler, et comment s’y prendrait-il ?’’
Reconnaissons-le, d’emblée : nombre de ceux qui ont de l’estime pour lui excluent cette possibilité, faisant valoir son sens de l’honneur, son souhait d’inscrire son nom dans les livres de l’histoire comme le premier président Mauritanien à quitter le pouvoir sans autre contrainte que celle du respect du serment. Lui-même a répété à plusieurs reprises qu’il respecterait cette échéance, mais qu’il resterait un acteur agissant sur la scène politique.
Sans être un spécialiste de maniement de la boule à cristal, il est permis de penser que la réalité sera probablement plus compliquée. Notre président n’étant pas particulièrement un homme de concept, ni d’attachement au formalisme juridique, sa décision finale dépendra du rapport de force politique à la veille de l’échéance présidentielle. Si à cette date, le climat politique se serait apaisé, l’actuelle hostilité à son endroit tassée, et que la possibilité lui est offerte de se choisir un dauphin à moindre coût, il est alors presque certain que l’esprit chevaleresque l’emportera. Et le président sera plus enclin à prendre sa retraite.
Si, à l’inverse, le climat politique délétère persistait ou empirait, alimenté qu’il serait par les sénateurs, le FNDD, le G8, certains milieux de la presse, une morosité économique persistante, et que l’exilé de Marrakech continuait à souffler sur les braises, alors Aziz pourra redouter une alternance tournant à un catastrophique règlement de comptes, pour lui et ses proches : jugement, saisie des biens, prison. Bref un scenario à la Gbagbo.
Dans ce cas, la réaction d’Aziz serait plus que prévisible. Ses antécédents en témoignent. Á chaque fois que son statut ou ses intérêts personnels ont été menacés, il n’a pas hésité à renverser la table, faisant passer à la trappe les intérêts supérieurs de la nation.
Son coup d’Etat contre Ould Taya a été motivé par la décision de ce dernier de l’envoyer sur le front de la lutte contre le terrorisme, le privant ainsi du confortable fauteuil de commandant du BASEP. Tout comme il n’a pas hésité, en une matinée, à mettre la Mauritanie sens dessus dessous quand Ould Cheikh Abdallahi l’a limogé.
Un autre facteur de pesanteur peut plomber l’empressement d’Aziz à quitter le pouvoir : la perspective, dans l’échéance de deux à quatre ans, d’une Mauritanie riche, parce que devenue un pays gazier, rivalisant avec le Qatar.
Les courtisans, qui tournent autour du président, doivent le lui répéter à longueur de journée : Les dirigeants des pays riches d’Afrique, ne sont pas soumis à la clause de respect de la démocratie. Les exemples pullulent : Teodoro Nguema, 38 ans de pouvoir, Paul Biya, 35 ans, la dynastie Bongo, un demi-siècle, Sassou N’Guesso, 25 ans.
Le cas de ce dernier est particulièrement instructif. Apres avoir épuisé ses deux mandats légaux, le Congolais a demandé à ses juristes de rédiger une nouvelle constitution et a pu ainsi rempiler cette année dans un silence total de la communauté internationale.
Les choses étant envisagées sous cet angle, les adversaires du Président Aziz dont, au premier chef, l’exilé du Maroc, sont ainsi engagés avec lui dans une course avec le temps. Un croc-en-jambe dans les deux années qui suivent n’est pas improbable.
Moussa Ould Abdou