Le Calame : Commençons par cette arrestation du sénateur Mohamed ould Ghadda, hier samedi 8 Juillet, dans l’après-midi. Une réaction à chaud ?
Mahfoudh ould Bettah : Nous rejetons fermement l’arrestation de Mohamed ould Ghadda et profitons de vos colonnes pour lui exprimer notre totale solidarité. Cette séquestration est une preuve de ce que le régime en place demeure autoritaire, despotique, méprisant de toute forme d’exigence et de respect des droits de l’homme, de l’indépendance et des principes de séparation des pouvoirs. Oui, l’affaire du sénateur Ould Gadda est éminemment politique, les faits qui lui servent de fondement, en dehors de leurs aspects humains graves et regrettables, demeurent, sur le plan judiciaire, d’une simplicité quotidienne. Aucun accident de circulation ni victime n’a jamais entraîné un tel acharnement. La Convergence Démocratique Nationale a donc rendu public un communiqué dans lequel elle fustige cette arrestation, la condamne avec la dernière énergie et exige la libération immédiate du sénateur Ghadda.
- Votre parti a décidé de participer au referendum et d’y voter non, malgré le bien-fondé des arguments qui plaident pour le boycott, selon le FNDU. Ne risquez-vous pas de « cautionner » le projet du pouvoir ?
- Comme vous l’avez dit, les arguments de boycott ne manquent, évidemment pas, de bien fondé. Mais ceux de la participation, en votant non, nous paraissent plus convaincants encore. Sur cette question précise, je rappellerai, d’abord, ce que nous avons déjà expliqué à vos lecteurs – notre décision de participer – dans un communiqué rendu public le 5 Juillet 2017. Il faut s’y reporter. Mais, pour éclairer davantage vos lecteurs, j’ajouterai que notre décision était tout à fait régulière, sur le plan de la forme. En effet, la règle en vigueur, au sein du pôle politique du FNDU, pour prendre les décisions, est le consensus. S’il n’est pas obtenu, chaque parti reprend son autonomie et décide, en accord avec ses principes et son projet politique. Dans le cas d’espèce, le consensus n’a pas été trouvé et la CDN était en droit de prendre sa propre décision. Mais revenons sur le bien-fondé, c’est, là, le fond de votre question. L’opportunité politique qui s’offre, à l’opposition, de vaincre le pouvoir, à l’occasion de ce referendum, est évidente, il ne faut pas la laisser passer. J’ai plaidé moi-même très tôt la participation, au sein du pôle politique et du FNDU, en disant, à nos partenaires, qu’il y avait, une opportunité politique à ne pas rater et qu’il ne fallait pas céder au postulat, ridicule, qui consiste à dire que tout ce que le pouvoir veut, il le réalise. La conviction qu’on était face à une occasion politique contre le pouvoir, acquise sur le terrain (rues, marchés, écoles et universités) est un des arguments forts qui ont convaincu le parti CDN de participer et d‘appeler nos compatriotes à voter massivement non. De plus, nous ne comprenons pas pourquoi les partis politiques ne saisissent pas la portée de l’état d’esprit où se trouvent actuellement nos compatriotes, face à un projet du pouvoir qu’ils rejettent. La vocation première des partis politiques est de saisir et d’exprimer, à la fois, dans un discours cohérent et une action efficace, les attentes des différents segments de la population. Dès lors, le simple boycott ne nous a pas semblé la réponse la plus adaptée à l’exigence que je viens d’élucider.
Sur la question de « cautionner » ou non le projet du pouvoir, il suffit de revenir en arrière pour comprendre de combien peu le pouvoir se préoccupe d’obtenir caution de l’opposition. Il a renversé un président démocratiquement élu, violé l’accord de Dakar, une fois légitimé le coup de force de 2008, prolongé de deux ans le mandat des députés, alors qu’il avait prêté serment d’assurer le fonctionnement régulier des institutions ; prorogé, indéfiniment, les mandats des différents groupes du sénat de deux, quatre et six ans. Il a organisé des élections municipales et législatives dont il a exclu l’opposition, à une exception près. Enfin, il a tenu une présidentielle à laquelle l’essentiel de la classe politique n’a pas participé. Vous voyez bien que ce pouvoir ne se soucie que très peu de se faire cautionner par qui que ce soit. A contrario, il a surtout peur qu’on lui apporte la contradiction, à l’occasion des échéances électorales; il ne veut pas que l’opposition prenne part aux élections, de peur de voir son pouvoir remis en cause ou diminué, il a seulement besoin des institutions de représentation, pour caser sa clientèle politique. Ceci dit et comme nous l’avons souligné dans notre communiqué, nous exigerons des conditions de transparence et de liberté, et nous aviserons, si celles-ci ne sont pas réunies.
- L’une des raisons que vous avancez, dans votre communiqué, est de ne pas vouloir laisser le pouvoir organiser une élection avec des résultats à la « soviétique ». Concrètement, comment entendez-vous vous y prendre, face à un pouvoir qui n’envisage aucunement de perdre ni, même, quitter la présidence en 2019 ? De quels moyens disposez-vous face à sa machine ? Qu’attendez-vous, sur ce plan, de la CENI ?
- Si le pouvoir est laissé tout seul face aux urnes, même avec le respect du boycott, il n’hésitera pas à manipuler les résultats et à annoncer un taux de participation et d’approbation qui avoisine les 100 %. Des résultats « à la soviétique », donc, comme nous l’avons dit. En ce qui nous concerne, nous pensons que nous devons relever le premier défi : celui de s’assurer de la représentation de notre parti, dans tous les bureaux de vote, sur toute l’étendue du territoire national. Cela aura pour effet de diminuer l’ampleur de la fraude massive. Nous avons saisi la CENI en ce sens, afin de nous assurer qu’elle tiendra bien compte de notre souci de transparence, avec, évidemment, une seconde exigence : être présent à tous les niveaux de compilations des résultats et disposer des copies des procès-verbaux de tous les bureaux de vote. Concernant, précisément, la volonté du pouvoir de ne pas perdre et de ne pas quitter la présidence en 2019, c’est un autre débat dont la conclusion doit émaner du peuple mauritanien et de ses élites. Je pense que personne, dans ce pays, n’acceptera que le pouvoir actuel puisse continuer à s’imposer, au-delà de 2019, date de la fin de son dernier mandat. J’espère qu’il respectera la Constitution, sur cette question précise, qu’il ne reniera pas son serment et n’aura que le souci de quitter paisiblement la présidence, au lieu d’y être contraint, dans des conditions incertaines, à la fois pour lui et pour le pays. Le problème de tout pouvoir, ce n’est pas tant d’y parvenir que de savoir le quitter.
- Votre participation au referendum ne signifie donc pas abandon des conditions posées, par l’opposition, à sa participation aux prochaines échéances électorales. Est-ce à dire que, sans un minimum de consensus entre tous les acteurs politiques, sans concessions de la part du pouvoir, l’opposition ne participera pas aux prochaines électorales ?
- Vous avez certainement lu attentivement notre communiqué. Nous y avons affirmé, de façon claire et nette, notre volonté de ne pas déroger aux exigences de l’opposition, quant à la participation aux prochaines échéances électorales. Nous participons à ce referendum, parce que nous pensons qu’il n’y a pas, fondamentalement, d‘enjeu de pouvoir. Il ne s’agit pas de conquérir des postes de conseiller municipal, des mairies, des sièges de député, ou de sénateur, ni, encore, le fauteuil présidentiel. Il s’agit, pour nous, d’un enjeu non partisan qui concerne les symboles de l’Etat et ses institutions qu’il faut impérativement préserver, en particulier le drapeau national, symbole d’un Etat qui rassemble tous les Mauritaniens et qu’il ne faut pas altérer, pour une prétendue prise en compte de sacrifices consentis par la résistance à la colonisation. A cet égard, on peut légitimement se demander ce qu’il y a de commun entre la résistance qui consentit aux grands sacrifices qu’on connaît et un pouvoir gabegique et corrompu.
- Que vous inspire le combat que livrent, au pouvoir, les sénateurs opposés aux amendements constitutionnels ? Quelles implications politiques ce combat peut-il engendrer ? N’avez-vous pas le sentiment que ces frondeurs ravissent la vedette à l’opposition et jouent désormais son rôle ?
-Le combat des sénateurs m’inspire le respect. J’admire le courage et la détermination dont ils se sont armés, pour rejeter les amendements constitutionnels et pour s’opposer, naturellement, à la disparition du Sénat, une institution, elle l’a prouvé à cette occasion, d’équilibre des pouvoirs exécutif et législatif, le chef de l’Etat n’ayant aucun pouvoir de dissolution sur cette institution.
Je pense que c’est un combat légitime, et peut constituer, à ce titre, une cause de déstabilisation du pouvoir en place, d’autant plus que les sénateurs sont majoritairement composés de soutiens de celui-ci. Si leur action s’ajoute à celle de l’opposition, le sénat aura fait avancer la cause de la démocratie mauritanienne. Je dirai, enfin, qu’entre le Sénat et l’opposition, il doit y avoir convergence de vue et d’action, pas de compétition.
- Dans la guerre de tranchées qu’ils livrent, les sénateurs viennent de voter une loi qui définit les conditions pour recourir à l’article 38 de la Constitution et, donc, pour en « interdire » l’usage, en certains cas. Que pensez-vous de cette décision ?
- Je n’ai pas assez d’éléments sur la question mais il me semble plutôt qu’il ne s’agit pas d’une loi votée, mais d’un projet de loi qui ne devrait pas, normalement, interdire le recours à l’article 38 mais, plutôt, l’encadrer, comme en certains pays, pour que son usage ne soit jamais abusif, laissé à la seule volonté du président de la République, au risque de remettre en cause les dispositions constitutionnelles, comme il est en train de s’y employer le détenteur actuel du pouvoir. Les sénateurs ont tout à fait raison de veiller à cet encadrement. Mais, je doute que l’Assemblée nationale soit du même avis, tant elle est instrumentalisée par le pouvoir en place.
- L’Association de maires de Mauritanie vient de s’inquiéter, dans une pétition rendue publique, il y a quelques jours, des propos « haineux, discriminatoires et racistes » qui inondent le paysage médiatique du pays. Elle demande, aux pouvoirs publics, de prendre des mesures, pour punir les auteurs de ces propos. Des propos qui viendraient, selon elle, de l’opposition intérieure et extérieure. Que vous inspire cette sortie ?
- Le souci exprimé par l’AMM est tout à fait louable, s’il s’inscrit contre la haine, la discrimination et le racisme. Oui, il faut s’inquiéter dès que le pouvoir médiatique relaie ce genre de discours, ces antivaleurs. Mais il faut, pour être efficace, que l’action s’attache aux causes qui ont conduit à ces pratiques et comportements. Et, là, l’AMM semble avoir exprimé une vision relativement courte du phénomène qu’elle veut dénoncer, en s’abstenant de faire assumer, par le pouvoir en place, les responsabilités qui sont les siennes et qui sont essentielles, dans l’éclosion qu’il entretient, voire encourage, même, des discours qu’on peut qualifier de haineux , de discriminatoires et de racistes. Les actes sont plus éloquents que les discours. Et l’on peut reprocher, au pouvoir actuel, des actes qualifiables, effectivement, de discriminatoires. Le discours de Néma n’est, ici, pas très loin.
- Selon différents échos concordants, les Mauritaniens ne se sont pas bousculés, pour s’inscrire sur les listes électorales, en vue du scrutin du 5 Août, ce qui justifierait, semble-t-il, les deux reports déjà enregistrés. Quelles en sont, à votre avis, les principales raisons ?
- Le constat que vous faites est réel : les Mauritaniens ne se sont pas bousculés pour s’inscrire, sur les listes électorales, et participer au referendum du 5 Août, en dépit des appels du pouvoir et de l’opposition. Les causes d’une telle attitude sont multiples On peut invoquer la période du Ramadan qui est relativement difficile, le caractère non-compétitif du scrutin, l’absence d’enjeu de pouvoir auquel concourraient individus et partis : en somme, les citoyens n’ont pas tous saisi l’enjeu d’un tel scrutin. Les Mauritaniens croulent, de surcroît, sous le poids de leur quotidien, marqué par un chômage endémique, l’insécurité, la pauvreté, la hausse des prix… On peut donc considérer qu’aller s’inscrire est un luxe qu’ils ne peuvent se permettre.
- Que vous inspirent les propos prêtés, au Premier ministre, selon lesquels le gouvernement aurait refusé, délibérément, de favoriser le développement de la rive droite du fleuve Sénégal ?
- Je n’ai pas connaissance de ce que vous évoquez mais, si ces propos s’avèrent vrais, je les trouve méprisables, irresponsables et dangereux. Il y a lieu de les condamner avec la dernière rigueur. De tels propos méritent de ne pas rester impunis. S’ils sont vérifiés, comme je l’ai déjà dit, on doit les retenir contre son auteur. Il serait tout à fait justiciable, dans ces conditions, de la haute Cour de justice, pour tentative d’atteinte à la cohésion sociale et à l’unité nationale.
- Une candidature unique du FNDU en 2019 est envisagée. Une illusion pour certains, au sein même de cet ensemble. Qu’en pense la CDN ?
- D’abord, je ne suis pas de ceux qui y voient une illusion. Je trouve, au contraire, que c’est une opportunité offerte, à l’opposition, de s’assurer l’alternance. Vous avez observé, dans le scrutin de 2007, qu’il ne s’est agi, au bout du compte, que de coalition autour de chacun des candidats qualifiés pour le second tour. Je pense que si l’opposition traditionnelle s’était alignée derrière un seul candidat, elle aurait remporté l’élection en 2007.
Pour 2019, on évoque une candidature unique mais, elle est n’encore discutée, au sein du Forum, qu’au niveau des principes et n’est pas encore retenue. Quant au candidat lui-même, tout ce qui a été dit, à ce sujet, est dénié du moindre fondement.
Propos recueillis par Dalay Lam