Le Calame : Il y a quelque temps, vous aviez suggéré à l’opposition (FNDU), à travers une tribune publiée par Le Calame, de se trouver un candidat unique, pour la présidentielle de 2019, autour d’un programme commun de gouvernement. Le Forum vient de se lancer dans le projet, confiant la tâche à l’ancien Premier ministre de Sidioca et président d’ADIL, Ould Waghf. Quelle est votre réaction ?
Moustapha ould Abeiderrahmane : J’observe que cette mission a mis, malheureusement, trop de temps avant d’être engagée, alors qu’elle devait relever d’une logique toute naturelle, évidemment nécessaire et indispensable. C’est, en effet, le seul moyen d’allumer, avec un minimum de chance de réussite, une lueur d’espoir parmi notre peuple, traumatisé par la pauvreté, l’ignorance et le système de gouvernance qui s’acharne, depuis le coup d’Etat de 1978, à le diviser pour mieux le contrôler, en navigant à vue, au jour le jour, via des slogans ordinairement démagogiques.
Cela étant, vaut mieux tard que jamais ! Mais, attention ! S’il faut aller vite, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs ! Autrement dit, s’il faut se préparer et s’entendre, autour d’un vrai programme de gouvernement, réaliste, chiffré et réalisable sur une période déterminé – et c’est loin d’être facile, tant diverses sont les expériences et les références, idéologiques et politiques, des uns et des autres – cela n’a aucun sens, si l’on n’est pas, en même temps, décidé à négocier, sérieusement, une coalition électorale. Or une telle entreprise suppose, au préalable, un engagement déterminé, dans le processus électoral, dont il faut, bien sûr, assurer, par la lutte sur le terrain, les conditions les plus favorables.
Malheureusement et jusqu’à présent, cette approche n’est pas retenue, sous le prétexte, fallacieux, qu’en s’y engageant, on donnerait un mauvais signal au régime, l’encourageant à demeurer fermé à toute concession susceptible de produire un contexte légal « relativement » honnête, donnant des chances comparables, pour ne pas dire égales, à tous.
-Quels conseils donneriez-vous au président d’ADIL pour la réussite de sa mission ?
-L’opposition doit, avant tout, en finir avec tous les faux-semblants ; se convaincre, fermement, qu’il n’y a pas d’autres moyens d’accéder au pouvoir que les voies démocratiques dont les plus pratiques consistent à préparer et participer aux élections, avant de les gagner. S’il s’avère, le moment venu, que les conditions d’élections honnêtes ne sont pas réunies, il va s’en dire que tous devraient s’abstenir d’y participer.
C’est en partant d’une telle approche, comme fondement de l’action, qu’on peut négocier, raisonnablement, un programme commun et des coalitions politiques, avec cet autre principe de se dire qu’on a besoin de tous et, par conséquent, être prêt à se faire, les uns aux autres, les concessions nécessaires.
-Lors de sa prestation télévisée du 22 Mars dernier, le président de la République a exclu tout dialogue avec « l’opposition dite radicale ». Pensez-vous que cette opposition doive, malgré cela, participer aux élections municipales et législatives anticipées, préconisées par l’accord du 20 Octobre ?
-Dans notre pays, il existe, aujourd’hui et fort heureusement, suffisamment de libertés publiques d’expression – en tout cas, bien meilleures que dans la plupart des pays arabes et africains – et les conditions concrètes de mise en pratique de l’accord du 20 Octobre 2016, préconisant des élections anticipées, sont encore en gestation. Pourquoi ne pas faire des propositions précises, pour améliorer ces conditions, afin de permettre des élections relativement honnêtes ?
Si de telles propositions sont adressées, à l’attention du comité de suivi fondé à cet effet, on ne voit pas pourquoi un dialogue, autour de la préparation des élections prévues, ne s’engagerait pas, au moins avec la partie de l’opposition de ce comité. Ce qui finirait, nécessairement, soit par engager le pouvoir, soit par l’isoler un peu plus, pour le ramener, à terme, au minimum de consensus national nécessaire, pour un passage apaisé de l’étape, cruciale pour notre pays, de l’élection présidentielle de 2019. Mettons donc un terme aux a priori et aux crispations, tout en restant fermes sur nos principes.
Propos recueillis par DL