Le Calame : Il y a quelques jours, Ould Abdel Aziz a organisé une conférence de presse en réaction au vote des sénateurs. Vous l’avez certainement suivie. Quelle impression vous a-t-il laissée ?
- Moussa Fall : J’ai surtout été frappé par le décalage qui sépare les propos du chef de l’Etat avec la situation telle qu’elle est ressentie par tous les citoyens. Pour le chef de l’Etat, le budget est excédentaire, les entreprises publiques sont assainies, il y a une classe moyenne qui émerge et qui prospère, la corruption et la mauvaise gestion sont bannies, les projets réalisés, ou en cours qui viendront à bout, dans peu de temps, de toutes les souffrances résiduelles des populations. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le seul problème qui se pose, selon lui, est le blocage des réformes constitutionnelles consécutif au « vote déloyal » et inattendu de certains sénateurs de la majorité en faveur de leur rejet. Ce seul problème trouvera sa solution dans le recours à l’article 38 qui ouvrira la voie à un referendum.
Comme chacun peut le constater, ce diagnostic est aux antipodes de la réalité que nous vivons: le taux de croissance économique est au plus bas : 1,5% en 2016 alors que les prévisions pour cet exercice étaient de 4%. Le budget est alimenté par une surpression fiscale et parafiscale au détriment du pouvoir d’achat des citoyens et de la rentabilité du secteur privé. Une politique budgétaire non redistributive et traitant en parents pauvres les secteurs prioritaires de l’éducation et de la santé. Les scandales alimentent au quotidien les medias nationaux. Les prix des denrées de base ont atteint des records asphyxiants (sur les 8 dernières années, le gasoil a augmente de 96%, le sucre de 100%, la viande de 140%, le poisson de 150%, le riz de 94%). L’insécurité bat son plein dans les villes et en particulier à Nouakchott. Le chômage plonge dans le désarroi des milliers de jeunes. La crise politique se pérennise et se creuse davantage. Le camp de la majorité se démobilise faute d’avoir une vision rassurante sur son avenir et un vent d’insoumission commence à souffler dans ses rangs. Le pays étouffe et la demande de changement devient pressante. C’est à cette demande qu’il convenait de répondre au lieu de persister dans l’erreur et de vouloir imposer par des voies anticonstitutionnelles des réformes contestées et qui ne répondent, en rien, aux attentes des populations.
-Cette sortie présidentielle était très attendue, parce qu’elle intervenait quelques jours après le rejet par les sénateurs, dont ceux de la majorité présidentielle, des amendements constitutionnels, préconisés par l’accord du 20 octobre dernier. Sur ce point, le président a décidé, en vertu de l’article 38 de la Constitution, de soumettre son texte, au référendum populaire. Pour le FNDU, ce faisant, il fomente un coup de force contre la Constitution. Cet article ne lui confère-t-il donc pas cette prérogative? Que vous inspire l’adoption, par le gouvernement, le 30 mars, de deux projets de lois référendaires, dont l’un porte sur l’article 8 ?
-C’est du cafouillage. Dès qu’on s’engage sur une mauvaise piste on ne peut que se heurter à des obstructions. Et cela pousse à chaque fois à la faute. C’est le syndrome de l’engrenage infernal. Quand le diagnostic est faux, le remède prescrit est souvent nocif. A quoi peuvent bien servir les modifications constitutionnelles proposées? Posons les vrais problèmes et cherchons les bonnes solutions. Et puis le blocage de ce projet par le sénat devait conduire à son abandon. Le viol de la constitution expose son auteur à des réactions imprévisibles.
-Au cours d’une conférence de presse, tenue au lendemain de cette décision, le FNDU a réaffirmé sa détermination à barrer la route à l’agenda du gouvernement. Comment allez-vous vous y prendre ? De quels moyens disposez-vous pour cette ambition ?
-Nous avions mené une campagne vigoureuse contre le 3eme mandat qui a conduit au renoncement annoncé dans le discours de clôture du « dialogue » d’octobre. Par la suite, nous avions proclamé notre rejet des modifications constitutionnelles et notre détermination à les combattre. Notre action politique, médiatique et de pression sur le terrain a créé une large opinion de rejet des intentions du pouvoir, lesquelles ont été repoussées par le sénat le 17 mars. De la même manière et, avec la même détermination, nous continuerons combattre ce referendum et les modifications envisagées par le pouvoir.
-Toujours, au cours de cette rencontre avec la presse, le président a exclu tout nouveau dialogue avec l’opposition (FNDU et RFD), prétextant que c’est une perte de temps, un cirque, dans lequel il n’entend pas s’engager, alors que quelques jours avant, vous aviez fait montre de votre disponibilité pour l’ouverture de pourparlers, afin de sortir du blocage. L’ONU et l’UE ont même invité le pouvoir et l’opposition au dialogue. Quelle a été votre réaction au FNDU ?
-Cette attitude reflète un choix politique périlleux de crispation et de repli sur soi. C’est la voie préconisée par les ultras du pouvoir qui semble hélas prédominer. Mais elle conduit vers l’implosion du système. Ce qu’exige la situation, c’est un changement de cap. Et il se fera. La meilleure voie, et la plus raisonnable pour le pays, est celle du consensus national. Ceux qui la rejettent finiront par le regretter.
-En refusant tout dialogue avec l’opposition (FNDU et RFD), le président Aziz ne viendrait-il pas vous dire que le danger pour son régime ne viendrait pas de ce côté là, réaffirmant, en quelque sorte, ce qu’il avait déclaré, depuis Néma, à savoir que l’opposition pouvait faire le deuil de l’alternance au pouvoir par les urnes ?
-Vous savez, plus on reste au pouvoir, plus on a tendance et se surestimer et à penser qu’on peut se permettre n’importe quoi. Or, plus on perdure dans le pouvoir, plus on s’isole et on se fragilise. Le danger pour un régime qui se fragilise peut venir de n’importe où et, parfois, de là où l’on s’y attend le moins. N’oublions pas que certains partis dialoguistes se sont opposés avec fermeté au 3ème mandat. N’oublions pas aussi que ce sont les sénateurs, principalement de la majorité, qui ont assené le coup fatal à la réforme de la Constitution. L’opposition peut parfois provoquer directement les changements, mais elle est toujours à leur origine de ceux-ci dans la mesure où son action leur prépare les terrains sur lesquels ils peuvent se produire.
-Dès lors, comment entrevoyez-vous les échéances électorales à venir, face à l’engagement du président de soutenir un candidat lors de la présidentielle prochaine ?
-Cette question n’est pas encore définitivement tranchée. L’actuel président veut-il quitter le pouvoir? Peut-il rester? Après tout ce qui s’est dit et qui s’est vu, cela ne semble pas, pour le moment, évident. Pour ma part, j’attends de voir comment cette énigme sera résolue pour me prononcer sur cette question.
-Que vous inspire cette déclaration du président selon laquelle il ne quitterait pas le pays, à la fin de son mandat, au contraire, il va y rester pour faire de la politique et pour se battre pour la modification de la Constitution qui, à ses yeux, présente des imperfections ?
-Pour la première partie de votre question, la réponse est immédiate, il est parfaitement dans son droit de rester dans son pays et d’y exercer ses droits civiques dans le respect de la loi. Quand aux projets politiques, une chose est de faire des projections quand on est assis sur le fauteuil présidentiel, une autre chose sera l’étroitesse de la marge de manœuvre quand on deviendra un simple citoyen. Combien d’anciens chefs d’Etat en ont fait l’expérience?
-Ne pensez-vous pas, peut-être que faute de pouvoir imposer un rapport de force en sa faveur, l’opposition devrait éviter la politique de la chaise vide afin d’obtenir des concessions pendant le dialogue voire lors des élections ?
-Ce problème se posera en 2018 et d’ici là, les données de la situation auront vraisemblablement beaucoup changé. Aujourd’hui, la question centrale consiste, pour le Forum, à mettre en échec le projet de modifier la Constitution par le recours à l’article 38. Nous resterons naturellement, attentifs à tous les développements qui interviendront dans cette période qui sera particulièrement riche. Le jour où cette question se posera à nous, nous la discuterons en fonction de l’analyse que nous ferons de la situation du moment.
-Que pensez-vous de ceux qui croient que le FNDU refuse d’aller au dialogue pour éviter son éclatement, parce que tous les partis n’ont pas le même agenda ?
-Le dialogue, comme l’a dit le Chef de l’Etat, n’est pas à l’ordre du jour. Malgré cela, le FNDU restera toujours disponible pour accepter une démarche consensuelle en restant fermement attaché à ses deux conditions :1) Etre partie prenante dans la préparation du format de ce dialogue ; 2) S’engager mutuellement à l’avance à trouver des mécanismes crédibles de neutralisation des institutions publiques dans les compétitions électorales. Sur cette position, notre accord est total. Toute autre rumeur ou supputation relève de propos sans fondement.
-Est-ce que l’idée d’une candidature unique, en 2019, comme l’ont suggéré certains leaders du forum ne vous tente pas ? En avez-vous discuté ?
-C’est une question qui revient souvent dans les discutions en interne. Mais d’ici 2019 et, sous la pression de nombreux évènements qui se produiront d’ici là, le paysage politique connaitra des mutations qui pourraient créer des conditions propices à des regroupements transversaux. Le FNDU n’est pas seul sur la scène politique. C’est dire qu’il serait hasardeux de s’engager maintenant sur un terrain aussi mouvant.
-Dans une interview au Calame, le président Messaoud Ould Boulkheir dit ceci : qui peut prédire avec certitude que la présidentielle ne se déroulera pas avant 2019 ? Partagez-vous son doute ? Quelles peuvent être les implications d’un tel événement ?
-Dans l’absolu, on ne peut exclure qu’interviennent des évènements inattendus ou aléatoires. Il y a effectivement une forte demande de changement et tous s’accordent à dire que la situation actuelle devient intenable. Mais comment s’opèreront les changements ? ALLAH seul le sait Pour ma part, je ne possède pas un don de prémonition.
-Au cours de sa prestation, le président a rappelé les efforts de son gouvernement dans la lutte contre la gabegie. Désormais, les fonds de l’État ne sont plus détournés, selon lui. Quelle est la réaction du FNDU qui ne cesse d’accuser le régime d’Ould Abdel Aziz d’être le « plus grand gabegiste » que le pays a connu, du moment que « lui et son entourage ne font que piller le pays »?
-À l’origine, ce discours sur la gabegie a eu un effet considérable sur le déroulement des évènements. Il répondait à un besoin d’assainissement de la gestion publique. On lui accordait un crédit. Aujourd’hui les choses ont radicalement changé. L’écumage s’est intensifié en prenant des chemins à sens unique. Il suffit de suivre, au quotidien, les medias pour se rendre compte de l’étendue et de la concentration de cette pratique.
-Comprenez-vous pourquoi le président Aziz ne démissionnerait pas même si le peuple désavoue son texte ?
-La préparation de ce referendum aura duré un an. Son idée a été lancée dans le discours de Nema en mai 2016. Ce projet était très mal engagé dès le départ. Fruit d’une volonté non concertée, il s’est heurté à deux obstacles insurmontables : le refus du sénat, qui constitue un passage constitutionnel obligé, de se saborder sans motif convaincant ; et le fort attachement des citoyens à leur drapeau. Si, en dépit de tous ces obstacles, le pouvoir persisterait à vouloir forcer la tenue de ce referendum, et si, à l’issue de ce vote, le non l’emporterait, je pense que les désaveux de la majorité et du peuple rendraient difficile l’exercice du pouvoir par le chef de l’Etat à l’origine de cette débâcle. On ne comprend pas sa déclaration affirmant qu’il ne démissionnerait pas. Mais cette incompréhension est normale dans la mesure où il dit ne partager avec l’opposition aucune valeur.
Propos recueillis par Dalay Lam