Le Calame : Commençons par cette question d’actualité. Que pensez-vous de la dégradation récurrente de nos relations avec deux de nos voisins et frères, le Maroc et le Sénégal ? Et quels enseignements tirez-vous de la crise post électorale gambienne ?
Ahmed Ould Hamza : Je crois, qu’il n’est un secret aujourd’hui, pour personne que de sérieux problèmes subsistent entre la Mauritanie et ses deux voisins, le Maroc et le Sénégal. Tous les signes sont là. Or, la Mauritanie et ces deux pays frères et amis sont liés par la géographie, l’histoire, la religion musulmane et même par des liens de sang. C’est la réalité et ce sont là, à mon avis, des éléments à ne pas négliger, à ne pas sacrifier. Des acquis qui doivent, plutôt, être consolidés et préservés. Je souhaite, pour ma part, que notre pays entretienne les relations les meilleures avec le Sénégal et le Maroc qui sont des pays frères et amis. Nous devons donc tout faire pour éviter des frictions récurrentes avec eux. Il y va de l’intérêt de tous, même si certains s’évertuent à voir le mal partout pour envenimer la situation. Je conseille à nos dirigeants de rester à l’écoute de la grande majorité de leurs concitoyens qui souhaitent entretenir les rapports les plus fraternels avec les voisins marocains et sénégalais. Il faut saluer, dans cette optique, l’initiative Marocaine par rapport aux dérapages du secrétaire général de l’Istiqlal et la réaction du Sénégal sur les propos d’un journaliste. Nous devons apprécier à leur juste valeur ces hauteurs de vue.
Avant de répondre au 2e volet de la question, reconnaissons, tout d'abord, à la diplomatie mauritanienne ce nouveau regain de dynamisme qu'elle a connu ces dernières années qu'il s'agisse de la présidence de l'UA, de la Ligue arabe, de la médiation dans les conflits régionaux ou de participation au maintien de la paix sous l'égide de l'ONU. Un dynamisme avéré qui n'est pas sans rappeler celui du temps de l'ex Président feu Moctar ould Daddah. Ce rappel étant fait, je ne peux que me réjouir que la crise qui était en gestation en Gambie soit bien derrière nous. Ceci grâce, il faut le noter et s’en réjouir, à l’intervention mauritano-guinéenne qui a permis d’éviter à la Gambie et à la sous-région le recours à la force. Je me félicite du rôle de notre pays dans la sortie de crise, car, au-delà de la querelle politicienne et même si certains ont avancé l’effet d'intervention de la CEDEAO comme décisive, on ne peut pas nier ou occulter le rôle joué par la Mauritanie pour éviter le recours à la force pour déloger Jammeh.
La Gambie est un pays ami et frère et abrite une importante communauté mauritanienne. Nous y avons des intérêts, on ne peut donc pas fermer les yeux sur ce qui s’y passe.
-Le dialogue politique boycotté par votre parti, le RFD a pris fin, il y a déjà trois mois. Aucune résolution n’est encore mise en œuvre. Certains partis ayant pris part au dialogue ont émis des réserves sur la volonté du gouvernement de recourir au congrès du Parlement pour faire adopter les amendements constitutionnels décidés par le dernier dialogue national inclusif, au lieu d’organiser un référendum populaire. Que vous inspire cette situation?
-Je pense qu’il est grand temps que les acteurs politiques, tous pôles confondus décident de se parler directement. C’est le meilleur service qu’ils pourraient ainsi rendre à leur pays et aux générations futures. Et c’est, aussi ce qu’exige la démocratie. Il ne sert à rien de s’invectiver, de se critiquer alors qu’il y a plus urgent, je veux dire le développement de notre pays. Partout ailleurs, on prépare l’émergence, alors qu'ici, on n’arrête pas de se quereller, d’entretenir des méfiances, de part et d’autre. Les uns et les autres doivent faire preuve de dépassement, mettre l’intérêt du pays et de ses citoyens au dessus des leurs. Sans cela, nous ne pourrons pas avancer et donc relever les défis du chômage, de la pauvreté, des conséquences du changement climatique…Et tout cela n'est possible et réalisable que dans la paix.
Je pense, sérieusement, que le Pouvoir doit surseoir à son projet unilatéral, d’autant plus qu’au sein même des partis politiques ayant pris part au dialogue, tous ne sont pas d’accord. Il doit ensuite appeler l’ensemble des forces politiques à un dialogue inclusif, franc et sincère. L’opposition, toutes tendances confondues, doit y prendre part pour apaiser le climat politique, casser le mur de méfiance et d’absence de confiance qui a fini par s’installer entre le Pouvoir et une grande partie de l’opposition. Il y va de la responsabilité de tout le monde. Je demeure convaincu que l’opposition ne refuse pas le dialogue, elle exige, simplement, un minimum de garanties.
Les dialogues précédents n’ont pas réussi à rassembler tous les acteurs politiques. On doit donc en tirer les conséquences et préparer, cette fois-ci, un débat, véritablement, inclusif. Tous sont d’accord que le dialogue est le seul moyen de résoudre les différends. Le président de la République se doit d’y réfléchir sérieusement pour créer les meilleures conditions, offrir des garanties pour le succès de cette entreprise. C’est de sa responsabilité de pouvoir rassurer tout le monde. A l’opposition, je dis que dialoguer ne signifie pas se compromettre. C’est un débat d’idées et de propositions pour aboutir à un compromis. ça ne peut plus attendre car le pays est, profondément, divisé et son unité mise à rude épreuve. Et, pour moi, tout dialogue sérieux doit avoir pour priorité cette question de la préservation de l'unité nationale. Notre pays est aujourd’hui, pris en otage par le Pouvoir et son opposition. Œuvrons, tous, pour que cela ça cesse !
-Quels rapports entretenez-vous, aujourd’hui, avec votre parti, le RFD ? On vous entend peu.
Ces rapports sont ceux d’un militant discipliné. Ils demeurent ce qu’ils ont toujours été. Je suis membre du bureau politique de mon parti, le RFD. N’étant ni président de celui-ci, ni son porte-parole, je ne suis pas habilité à parler en son nom. Je ne suis plus en position d’élu, qui me permettait de prendre position par rapport à certaines questions. Enfin, il est vrai que je ne suis pas toujours d’accord avec certaines décisions du parti, je l’exprime et m’incline cependant devant la majorité. C’est la règle du débat démocratique.
-Parmi les résolutions du dialogue figurent des élections municipales anticipées. Pensez-vous que l’opposition doit y prendre part ? Si oui, à quelles conditions ?
- Je pense qu’on ne peut pas parler d’élections tant que la situation politique reste tendue A mon avis, il y a des préalables aux élections, un consensus autour des règles du jeu. Or, aujourd’hui, comme nous le constatons, tous, il n’y a pas ce consensus sans lequel une partie de l’opposition pourrait boycotter ces élections. Je suis convaincu qu’il y a plus important qu’être maire, député ou sénateur… Donc tout dépendra du probable futur dialogue.
-La modification de l’article 28 de la Constitution limitant à 2 le mandat présidentiel était redouté par le FNDU et le RFD. Elle a même cristallisé les débats lors du dialogue. Mais, à l’arrivée, le président Aziz a clos le débat en déclarant, le 20 octobre dernier qu’il ne modifierait pas la Constitution pour s’octroyer un 3 me mandat. Ne pensez-vous pas que cette déclaration devrait contribuer à décrisper les relations tendues entre le Pouvoir et les deux pôles de l’opposition dite "radicale » ?
-Je pense que le Président a, plusieurs fois, réitéré cette position, cependant en politique, on peut s’attendre à tout. Cette déclaration en soi peut contribuer tout de même à rassurer ceux qui le suspectaient de vouloir modifier la Constitution pour pouvoir briguer un 3e mandat. C’est une opportunité à saisir.
Toutefois, à mon avis, je demeure convaincu que la grande masse silencieuse des Mauritaniens a d’autres préoccupations qui tournent autour de la pauvreté, de l’emploi, de l’éducation, de la santé etc.
-Pensez-vous que la stratégie suivie par l’opposition (FNDU et RFD) est à même de leur permettre de réussir l’alternance pacifique de 2019 ?
-L’alternance par les urnes est une vertu cardinale pour tout démocrate. Les politiques doivent, par conséquent, y travailler, en capitalisant les mécontentements et les frustrations des citoyens pour conquérir l’espace politique. Au lieu de s’enliser dans des querelles de chapelle et d’égo, l’opposition doit se restructurer et pourquoi pas innover comme dans certains pays, en recourant à des primaires afin de se choisir un candidat unique pour la présidentielle de 2019, donc élaborer un programme de gouvernement commun.
-Il y a quelques jours, Le Calame a publié, dans son édition du 25 janvier, un article sur le protocole d’accord transactionnel entre la Mauritanie et Pizzorno. On sait que cette entreprise de l’Hexagone avait hérité de ce contrat d’enlèvement des ordures sous votre magistère à la CUN. Se fondant sur des fac-similés, l’auteur de l’article parle d’une « véritable arnaque » ayant saigné le pays et laissé sur le carreau des centaines, voire des milliers de pères de familles. Que pensez-vous de cette histoire et de la rupture du contrat après votre départ de la CUN ?
-Par principe, je ne souhaite pas parler de la CUN que j’ai quittée, il y a 3 ans. Ce que je peux, simplement, dire, par contre, c’est que le contrat liant la Mauritanie et Pizzorno était d’une grande importance pour sa capitale. Ce contrat a produit ses fruits, et pour preuve, Nouakchott était relativement propre. Le combat était très rude et il méritait d’être poursuivi. C’est pourquoi je pense que la rupture de ce contrat a été une erreur.
-Justement, il y a déjà 3 ans que vous avez quitté la présidence de la CUN. Que pensez-vous de la gestion de l’institution?
-Comme je l’ai dit, précédemment, je m’abstiendrais de porter un jugement sur la gestion de la CUN que j’ai eu l’insigne honneur de diriger pendant plus de 7 ans. Et, je m’en vais vous dire que je ne regrette pas ce beau et instructif passage à la tête de cette institution. Je suis convaincu que les populations de Nouakchott qui m’ont élu ne le regrettent pas, non plus.
Effectivement, à cause de notre boycott des élections, j’ai passé le témoin, le 9 février 2014 à l’actuelle présidente pour qui j’ai beaucoup de considérations.
Par ailleurs, je tiens, ici, à souligner que, tant qu’il n’y a pas de décentralisation effective, avec des moyens conséquents, les mairies ne pourront pas jouer leur rôle véritable.
-D’aucuns vous suspectent de nourrir des ambitions présidentielles. Vous est-il arrivé, en vous rasant le matin de penser à celle de 2019 ?
- Puisque nous sommes en démocratie, laissez aux gens cette liberté de spéculer, même si, par ailleurs, je trouve prématuré d’en parler aujourd’hui. Ce que je puis vous dire, sincèrement, c’est que je suis un militant discipliné d’un parti qui a ses instances de décisions et un chef historique, présidentiable. Et tant qu’il est là, il serait vain de rechercher, du côté d’Ahmed Hamza, quelqu’un pour s’opposer à lui ou pour le contrarier. Le reste n’est que supputation. Je reste au service de mon parti, le RFD. Pas plus.
-Mais, en 2019, Ahmed Daddah ne serait-il pas frappé par la limite d’âge?
- Je crois avoir, déjà, répondu à la question. Seulement, je peux ajouter que le tout dépend du dialogue que nous appelons de tous nos vœux. Les choses pourraient alors évoluer.
-Des rumeurs ont laissé entendre que vous aviez tenté, il y a quelques années de réconcilier vos cousins en froid, le président Mohamed Ould Abdel Aziz et l’homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou, en exil au Maroc. Qu’en est-il au juste ? Et que répondez-vous à ceux qui croient qu’Aziz, Bouamatou, Ely et Hamza se rencontrent et se parlent en privé, qu’ils ne font que duper les Mauritaniens ?
- Effectivement, tout au début, j'avais tenté cette réconciliation. Parce que c’est un devoir vis-à- vis des membres de ma famille. Je devais donc m’en acquitter, même si personne ne m’a mandaté pour le faire. En effet, même si Mohamed Ould Abdel Aziz est, aujourd’hui, président de la République, il n’en demeure pas moins qu’il appartient à une famille et le devoir lui commande de la rassembler comme pour l’ensemble des Mauritaniens.
Ma démarche n’a pas été concluante, peut-être que les esprits ne s'y prêtaient pas. Pour le reste, ce que les gens racontent n’est que le fruit de leur imagination. C’est vrai qu’en temps normal, il ne devrait pas y avoir de problème, mais en politique, même des frères peuvent diverger.
Néanmoins, il est toujours souhaitable et souhaité qu’à un moment donné, les intéressés puissent se retrouver pour clore ce différend, dans l’intérêt général.
Ce que je peux, aussi, confirmer, c’est que je n’ai pas rencontre le Président depuis 3 ans. Pour les autres, je ne suis pas habilité à parler en leur nom, même s’ils demeurent mes frères et mes amis les plus proches.
Propos recueillis par Dalay Lam