Mohamed Ismail ABEIDNA, ancien ministre, membre de bureau politique du RDU: ‘’Si un dialogue devait avoir lieu, il devrait rassembler l’ensemble de la classe politique mauritanienne, sans exclusive. Il doit ensuite être sérieux, responsable et conséquent’

18 August, 2016 - 02:38

Le Calame : La Mauritanie a finalement réussi dans l’organisation du sommet de la ligue arabe. C’est quand même un gros   à relever, qu’en pensez-vous ?

 

Mohamed Ismail ABEIDNA : Permettez-moi d’abord de remercier votre journal pour l’occasion qu’il m’offre pour m’exprimer et pour l’excellente place qu’il occupe dans les médias francophones en Mauritanie.

En réponse à votre question, je me réjouis que quelques chefs d’Etats arabes aient pu visiter notre pays, tout en regrettant l’absence de la plupart d’entre eux pour le premier sommet arabe organisé chez nous…

 

 Le procès des militants d’IRA, arrêtés suite aux incident survenus dans un squat près de l’hôpital Bouamatou a démarré il y a, bientôt deux semaines. Au vu de ce qui se passe, il   risque fort  de durer longtemps. Pensez-vous que le droit sera dit  au cours de ce procès ?

 

C’est le Nième procès intenté contre cette organisation, pourquoi doutez-vous qu’il sera différent des précédents ? Dans un pays où la justice est apprivoisée, domestiquée, son indépendance est un vain mort. Souvenez-vous du limogeage du président de la cour suprême (Seyid Ould Ghailani), sommet de la hiérarchie judiciaire, avant le terme de son mandat légal. L’indépendance de la magistrature chez nous, c’est de la poudre aux yeux.

 

Le  FNDU et le RFD dénoncent fréquemment la « restriction » des champs des libertés en Mauritanie. Quels sont, selon vous, les éléments constitutifs de ces accusations ?

 

            Le RFD et le FNDU sont des entités démocratiques, et pour nous, la démocratie est surtout l’Etat de droit. Or pour le pouvoir en place, les libertés publiques sont assujetties au bon vouloir du chef de l’Etat. 

La liberté de manifester est limitée par les autorités administratives contrairement à la réglementation qui ne les conditionnent que par une information préalable. La liberté d’entreprendre et les libertés économiques sont confisquées par des pratiques mafieuses telles l’élimination des entrepreneurs par le recours abusif et injuste aux prélèvements obligatoires, sociaux et fiscaux, à des niveaux insupportables, tout en excluant de ces prélèvements, une petite parentèle de proximité qui use et abuse car elle est au-dessus des lois. Les éléments constitutifs de la restriction des libertés en Mauritanie font légion et on ne peut les circonscrire en quelques lignes, tout le monde en pâtit.  

 

 Que pensez-vous de la décision et de la manière dont le pouvoir s’y est pris pour relancer les contacts préliminaires avec le FNDU ?

 

                La décision du pouvoir et sa manière de relancer les contacts préliminaires avec le FNDU ne diffèrent en rien avec les démarches précédentes. Ni la réponse écrite à nos préalables pour un dialogue sérieux ne nous est parvenue, ni aucun élément nouveau nous a été signifié.

Si un dialogue devait avoir lieu, il devrait rassembler l’ensemble de la classe politique mauritanienne, sans exclusive. Il doit ensuite être sérieux, responsable et conséquent pour pouvoir sortir le pays de la crise multiforme dans laquelle le coup d’Etat de Mohamed Abdelaziz en 2008 a plongé le pays. Il doit également offrir les garanties permettant d’assurer la mise en œuvre pratique de ses conclusions éventuelles et assuré une alternance pacifique du pouvoir.

 

Qu’attend le FNDU pour désigner sa commission qui devrait rencontrer celle du pouvoir pour justement examiner les voies et moyens de renouer le contact ? Continuez-vous à douter de la sincérité du gouvernent ?

 

                Pour que nous puissions désigner une commission censée rencontrer celle du pouvoir, il faut que nos préalables soient pris en considération par celui-ci.

Quant à la sincérité du gouvernement, nous avons suffisamment de preuves pour en douter.

 

Pourquoi le FNDU continue à hésiter chaque fois que le gouvernement vous tend la perche ? Pourquoi vous ne prenez le pouvoir au mot, lui qui  dit qu’aucune question n’est « « taboue » ; le président a lui même dit qu’il ne briguera pas un 3e mandat, ce que l’opposition redoutait ?

 

                Le FNDU n’hésite pas, le FNDU et l’opposition en général ont une longue et négative expérience avec le pouvoir. Expérience qui l’oblige à se méfier d’un pouvoir qui ne croit pas en la démocratie par sa nature putschiste et qui ne respecte pas ses engagements.

Quant à l’affirmation que vous faites en disant que « le président à lui-même dit qu’il ne briguera pas un troisième mandat», je vous laisse la responsabilité de ce propos. Au cours des rencontres avec  ses représentants, il ne nous a jamais été signifié une telle éventualité. 

Cependant nous savons tous et la communauté internationale également, qu’un troisième mandat lui est interdit par notre loi fondamentale : la constitution.

 

 L’affaire de SONIMEX  défraie la chronique des média depuis quelques semaines. Des milliards  destinés à l’agriculture sont détournés. Pensez-vous que les mauritaniens sauront la vérité sur cette affaire ?

 

                L’affaire SONIMEX, encore une, une de plus. « Des milliards  destinés à l’agriculture sont détournés », dites-vous.

Un bref rappel : pendant la campagne électorale de 2009, AZIZ a brandi le slogan de président des pauvres et que son mandat sera celui de la guerre contre la gabegie et la mauvaise gestion des deniers publics.

Qu’avons-nous constaté ? Que les pauvres sont devenus plus pauvres et beaucoup plus nombreux. Je citerai pour illustrer ces propos, un récent rapport du FMI publié par votre journal qui dit que : « La Mauritanie est le pays qui profite le moins au Monde de ses nombreuses ressources naturelles, qui n’auraient aucune répercussion positive, significative sur les conditions de vie des populations ; les grosses recettes des sociétés nationales n’ont pas d’impact visible, ni sur le quotidien des citoyens, ni sur l’économie du pays en termes de résorption du chômage (32%) ou en terme d’infrastructures nationales .»

Dans un contexte pareil dûment constaté par nos bailleurs de fonds, comment voulez-vous que les mauritaniens puissent connaitre la vérité sur le dossier SONIMEX ?

Depuis l’arrivée par effraction d’AZIZ au pouvoir, les détournements, la gabegie et les affaires louches n’ont cessé de croitre de façon exponentielle.

Nous subissons une délinquance d’Etat jamais égalée.

 

 Que pensez-vous de l’état des relations entre la Mauritanie et  ses deux voisins, le Maroc et le Sénégal ?

            La Mauritanie ne peut exister et se développer qu’avec des relations fraternelles solides et mutuellement avantageuses avec tous ses voisins. C’est un principe de base pour une diplomatie responsable.

Avec les deux pays frères que vous venez de citer nommément, tout nous unit à eux, nous sommes liés par l’histoire, la géographie et le destin commun.

Le Président WADE disait que le Sénégal et la Mauritanie sont deux Etats pour un même peuple.

Nos relations avec le Royaume du Maroc sont séculaires et spirituelles, elles se perdent dans la nuit des temps.

Nous ne devons et nous ne pouvons s’en dispenser.

Tout pouvoir en Mauritanie se doit de préserver, consolider et approfondir ces relations, le reste n’est qu’aventurisme et est voué à l’échec.

 

 

 

Permettez-moi avant de terminer, de dire à vos lecteurs et à travers eux à notre opinion nationale que face à l’amère évidence de notre recul en matière de bonne gouvernance et de démocratie, il me parait désormais urgent que chaque citoyen s’interroge en conscience sur les lacunes profondes d’une telle situation.

L’avenir de notre pays nous interpelle tous et il est vrai qu’on en parle si peu et si mal que le citoyen est perdu ou serait indifférent.

Mais pour entretenir l’espérance de nos concitoyens, je les rassure en leur disant que la Mauritanie et son peuple sont plus forts que les peurs qui les traversent. 

Je les assure également qu’au sein du FNDU, nous travaillons d’arrache-pied  pour leur présenter une opposition républicaine, éloignée de tout sectarisme et de tout radicalisme, inscrite dans la réalité et les attentes du pays, et armée d’une vision la rendant à même d’assurer une alternance démocratique, dans le respect des institutions et dans la préservation de la paix civile et des valeurs spirituelles et morales de la nation pour une Mauritanie fraternelle et éternelle.

 

Propos recueillis par Dalay Lam