Il y a presque trois mois, le 16 Avril 2016, la Cour spécialisée en affaires d’esclavage de Néma organisait son premier procès – dossier 110/2015 – mettant en cause Bouta mint Hemedi et Vatme mint Zaïda respectivement réduites en esclavage par Hanenaould Bouna et IkhalihenaouldHaïmad, résidents à Azamad, une localité de la moughataa de NbeïketLahwach, dans le Hodhech-Chargui. Bien que la Cour ait retenu des charges de pratiques esclavagistes contre les prévenus, elle ne leur a cependant infligé, en première instance, qu’à peine cinq ans de prison, dont un seul ferme, et un million d’amende, alors que les dispositions légales de la loi 031/2015 prévoit, au minimum,dix ans d’emprisonnement et cinq millions de dommages,en le cas d’espèce. Aussi l’organisation SOS Esclaves et l’agence Tadamoun, constituées en partie civile, via, respectivement,maître Id ouldMohameden et maître Bilal ould Dik,ont-elles interjeté appel contre une telle surprenante décision.
Voilà la chambre foraine de la Cour d’appel de Kiffa en déplacement à Néma obligée de remettre sur la table le dossier 110/2015, impliquant quatorze esclaves et leurs deux maîtres. Comme lors de la première instance, la salle d’audience est pleine,en ce lundi 11 Juillet 2016. Tous les juges sont bien là,soigneusement drapés dans leurs toges passablement blanchies. D’un côté, les avocats de la défense, maîtreYarbana et maître El Arbi ;de l’autre, ceux susnommés de la partie civile. Le procureur général près la Cour d’appel prend place sur son perchoir, à quelque deux mètres à droite du président de séance. Après la présentation d’usage des dossiers et des prévenus, celui-ci donne la parole aux avocats. Comme à son habitude,maître Id nous gratifie d’une brillante plaidoirie, rappelant l’importance de l’application rigoureuse des lois sur l’esclavage, afin de prémunir le pays contre des injustices inhumaines qui risquent de compromettre, si rien n’est fait, la cohésion sociale. Or, selon lui, le jugement rendu en première instance, il y a trois mois, par la Cour spécialisée de Néma,déçoit cet impératif. Il faut corriger cette erreur de jugement.
Les autres avocats s’avancent à leur tour. Naturellement, maître Yarbana, qui défend Hanenaould Bouna,et maître El Arbi,au chevetd’IkhalihinaouldHaïmad, demandent la relaxe pure et simple de leur client respectif. Puis le procureur général près la cour d’appel de Kiffa se lance dans sa diatribe. « L’esclavage est plus dangereux que le terrorisme », tonne-t-il en substance, « car, si le terrorisme tue les hommes, l’esclavage tue l’humanité ». Aussi le représentant du ministère public requiert-il vingt ans de prison ferme et cinq à dix millions d’amende, à l’encontre des deux prévenus.
Après délibération, les juges décident de revoir à la hausse l’amende qu’Ikhalihina devait verser à Bouta. Au lieu du million exigé en première instance, l’esclavagiste devraen verser six, àson ancienne esclave. Les peines d’emprisonnement de cinq ans, dont un ferme, sont, elles, confirmées. Presque un arrangement à l’amiable,donc, à l’instar des plus célèbres affaires analogues de ces deux ou trois dernières années. KhdeïjamintTarbe avait conclu un tel accord, avec ses maîtres Hanene et ItawalOumroun, fils de Nane (dossier 99/2014).Une conciliation qui luipermit d’obtenirvingt vaches, quarante chèvres et un chameau. Comme KhdeïjamintTarbe, VatmemintZeïd et son frère ont conclu, avec leur ancien maître,Haneneould Bouna, un accord leur permettant d’empocher trois millions et demi d’ouguiyas, en deux tranches. La première, d’un million et demi,a été déjà perçue ;le reliquat sera versé en Août 2016.
Au Hodhech-Chargui, considéré, par diverses organisations des droits humains, comme une forteresse de l’esclavage, des dizaines de telles affaires sont pendantes devant les juridictions. La représentation régionale de SOS Esclaves à Néma et son homologue de Bassiknou se démènent à faire bouger les dossiers que ni les autorités sécuritaires en charge des procès-verbaux, ni les autorités judiciaires responsables de leur liquidation ne semblent pressées deremuer. La fondation des trois tribunaux spéciaux chargés de l’esclavage, dont un sis à Néma,a suscité l’espoir d’une plus grande célérité dans le traitement des affaires liées aux pratiques esclavagistes. Plus grande célérité peut-être ; plus rigoureuse application de la loi, c’est certainement encore moins sûr. Ainsi que le souligne Boubacar Messaoud qui a assisté, à Néma, aux assises de la Cour d’appel sur le dossier 110/2015, « le jugement en première instance de ce dossier n’avait pas été encourageant. Certains magistrats s’entêtent à ne pas appliquer la loi. La preuve en est encore assénée aujourd’hui :confirmerla condamnation de personnes accablées par toutes les preuves d’esclavagistes reconnues, par le tribunal lui-même, comme telles, à cinq ans d’emprisonnement, dont quatre avec sursis, est ridicule, puisque les dispositions de l’article 7 de la loi 031/2015 prévoient, au minimum, dix ans »…
El Kory Sneïba
Envoyé spécial à Néma