Nomination des généraux dans l’Armée : Une bizarrerie mauritanienne (troisième partie) / Par le colonel (E/R) Oumar Ould Beibacar

27 May, 2016 - 00:48

Le 3ème mousquetaire

 

Dans le partage du pouvoir, le binôme conspirateur avait confié le corps de la Garde nationale à leur chouchou, le 3ème mousquetaire. Celui-ci, quand il était notre commandant de brigade d’élèves officiers d’active, à l’EMIA d’Atar, au cours de l’année 1980-81 portait le nom de Félix Henri Négri. Quand il avait été désigné chef d’état-major de la Garde nationale en juin 2008, il portait sur sa pièce d’identité,  celui de Félix Joseph Négri.

Le 25 décembre 2007, lorsqu’il avait été proposé par le ministre de la Défense, au poste de chef d’état-major national, le président de la République aurait demandé d’enlever le prénom de son père, pour   sa connotation trop européenne. Comme si son  prénom et son nom avaient une connotation trop mauritanienne. Depuis lors, il porte le nom de Félix Négri, son père est un italo-sénégalais naturalisé mauritanien, sa mère est une thiouballo de Mbagne domiciliée à Boghé. Pour mauritaniser son nom, le site Lakhbar Tebga Viddar avait proposé le nom de Fah Ould Negra.

C’est un miraculé. Rescapé des événements  de 1987-88, du génocide de 1990 et transformé en négationniste, rescapé de la tentative de putsch du 08 juin 2003, où il était pris en otage, et humilié avec d’autres officiers, par les mutins pendant quelques heures au Bataillon des blindés. Cet officier, hors-la-loi, avait été chargé par le général de brigade commandant du Basep, de détruire le mythe de la Garde nationale, ce corps républicain séculaire qu’il ne portait pas dans son cœur, en le mettant progressivement sous l’autorité de l’Armée nationale pour en faire un corps supplétif.

En effet, le premier mousquetaire avait toujours considéré le corps de la Garde comme un corps civil, au même titre que la police nationale puisqu’elles relèvent toutes les deux de l’autorité du ministre de l’Intérieur, ainsi que la Douane qui, elle, relève de celui des Finances, auxquelles il ne faut jamais avoir confiance. C’est pourquoi il faut toujours les faire commander par des militaires.

Le troisième mousquetaire s’était très bien acquitté de cette mission. C’est ainsi qu’il avait cédé une partie du patrimoine foncier de la Garde à Atar et à Néma, à l’Armée nationale, et qu’il avait érigé toutes les unités de maintien de l’ordre et de sécurité publique en unités exclusivement d’infanterie, qu’il avait mises à la disposition de l’Armée nationale commandées directement par des commandants de régions militaires en violation des lois et règlements en vigueur. Privant ainsi la Garde de ses missions régaliennes, en la remplaçant par de vieux retraités désarmés, mettant en péril les institutions de la République. Et lorsque les ambassades avaient rejeté le contingent des retraités chargé de les sécuriser, il les a fait remplacer par des policiers, au lieu du personnel relevé de la Garde, qui était formé spécifiquement pour ces missions et qui avait une expérience de plus d’une quinzaine d’années. Même le petit groupe de gradés et gardes, chargé de sécuriser les membres du gouvernement et hauts fonctionnaires de l’Etat, a été congédié pour être remplacé par des flics plus fréquentables.

Il avait aussi détaché tous les médecins et  infirmiers de la Garde à la direction de la santé militaire pour les mettre sous l’autorité du 2ème mousquetaire, selon des procédures peu orthodoxes. Le recrutement des officiers de la Garde, régi par un statut particulier et relevant exclusivement des prérogatives du ministre de l’Intérieur, relève désormais de l’autorité du 2ème mousquetaire, en violation des règlements en vigueur.

 

 

L’intouchable.

En 2014, accusé de flagrant délit de mauvaises mœurs, le 3ème mousquetaire n’avait pas été inquiété. En pareilles circonstances, dans une République qui se respecte, et pour préserver le prestige de la fonction et l’honneur des officiers, le chef d’état-major aurait dû porter plainte contre x, pour diffamation et laisser la justice suivre son cours. Soit l’accusation n’est pas fondée, dans ce cas, l’accusateur doit en répondre devant la justice. Soit, les faits sont avérés, dans ce cas le chef doit être traduit devant les juridictions compétentes.

Le 23 janvier 2015, face à la prise d’otages de deux gardes à la prison civile, le plus grand défi sécuritaire qu’à connu la Mauritanie depuis l’indépendance,  ce fameux chef d’état-major, pris de panique,  s’était avéré incapable de traiter convenablement cette situation exceptionnelle. Les trois mousquetaires n’avaient pas trouvé mieux que de confier  cette mission hautement stratégique au « général de corps d’armée », ministre de la Justice et au « colonel major » régisseur de la prison pour trouver une solution à l’amiable, répondant aux exigences des terroristes.

Avec le recul, on peut comprendre que cette honteuse défaite historique de nos forces armées et de sécurité  face à ce défi terroriste au cœur des états-majors de nos forces armées, est peut être consécutive à l’application   de l’une des clauses sécrètes de l’accord bilatéral de non-agression conclu entre le pouvoir militaire et Al Qaida et dont le brouillon avait  été  retrouvé dans les documents personnels d’Oussama Ben Laden et divulgué récemment par les américains. Sinon rien ne peut justifier  cette deuxième capitulation du pouvoir d’exception.

En avril 2015, une mission de l’inspection générale des forces armées et de sécurité, envoyée gentiment  pour contrôler la Garde, par le général de brigade commandant le Basep, suite à un tract qu’aurait  lancé des officiers mécontents de la Garde nationale – de quoi faire retourner le capitaine Mamoye Diarra dans sa tombe- , dénonçant leurs mauvaises conditions de travail, avait décelé un trou de 90  millions d’ouguiyas pour ce premier trimestre, dans la gestion du 3ème mousquetaire.

Affolé, le capitaine trésorier et chef de sa tribu s’était éclipsé pendant quelques jours avant de se rendre, suite, semble-t-il, à l’intervention de ses proches qui lui auraient garanti son immunité,  sa parenté avec la première dame devant   jouer en sa faveur. Entretemps, le premier mousquetaire avait ordonné de pousser l’inspection pour couvrir toute l’année 2014. Le contrôle avait confirmé un trou de 448 millions d’ouguiyas pendant cette période. Soit un déficit global de 538  millions

La justice avait été saisie, des procès-verbaux de police judiciaire avaient été établis,  des officiers concernés entendus par le parquet, le juge d’instruction censé être indépendant aurait été saisi, le capitaine trésorier avait été écroué et attend depuis un an son jugement. L’auteur principal, le troisième mousquetaire, n’avait  jamais été entendu, malgré les preuves accablantes qu’aurait présentées son trésorier contre lui. Pour qu’il soit entendu par le parquet, il faut absolument un ordre de poursuite établi par le ministre de la Défense conformément aux dispositions de l’article 7 de la loi sur la justice militaire.

Le ministre n’avait pas été sollicité, à propos de cet ordre de poursuite, ni en amont par le chef de l’Etat, ni en aval par le chef d’état-major des Armées. Puisque le troisième mousquetaire, l’intouchable, était protégé par le  second. Pour le pouvoir militaire,  538  millions d’ouguiyas, c’est juste de l’argent de poche pour un général. Il ne faut surtout pas l’inquiéter car cela pourrait porter préjudice à tout le monde. On trouvera, le moment venu, une solution pour exfiltrer le capitaine trésorier et clôturer cet encombrant  dossier. Et pour blanchir définitivement  l’intouchable budgétivore, on l’avait décoré le 28 novembre dernier de la plus haute distinction dans l’ordre du mérite national. Pourtant rien n’empêche de le poursuivre aujourd’hui puisqu’il a perdu son statut militaire et peut donc être justiciable des tribunaux civils, comme tout citoyen. Mais la justice ne peut pas fonctionner normalement, puisqu’on est toujours en période d’exception où les généraux sont au-dessus de la loi.

 

Inspections bâclées et règlement des comptes.

 

Si le 1er mousquetaire, « pionnier » de la lutte contre la gabegie, voulait vraiment savoir l’ampleur des détournements effectués à la Garde, pendant le commandement du 3ème mousquetaire, il lui suffisait de pousser le contrôle jusqu’en juin 2008, date de sa prise de commandement ; comme il l’avait fait pour son prédécesseur. Ainsi, il aurait sans doute découvert le pot-aux-roses, estimé en moyenne  à 500  millions détournés chaque année, soit un montant de  plus de 3 milliards d’ouguiyas.

Mais 3 petits milliards, c’est toujours acceptable pour un général, surtout un général qui avait joué un rôle prépondérant dans la prise de pouvoir par la force. Pourtant, «l’irréprochable »  3ème mousquetaire, s’était beaucoup enrichi pendant les quelques années qu’il avait passées à la tête de la Garde nationale. L’achat en 2013 d’une villa à 70  millions d’ouguiyas payés cash à Tevragh Zeina (NOT), au profit de son épouse, constitue incontestablement un signe extérieur d’enrichissement illicite.

Son prédécesseur,  un colonel de l’armée nationale, ancien chef d’état-major national et ancien chef d’état-major particulier du chef de l’état, n’était pas en très bon rapport  avec le binôme conspirateur. Particulièrement après leur promotion au  grade de général, qu’il aurait dénoncé auprès de ses chefs. Il boudait toutes les réunions de la commission nationale de sécurité, en se faisant remplacer par son adjoint pour éviter de les rencontrer.

A la fin du mois de mai 2008, une vidéo compromettante tournée par un capitaine,  dénonçant un important détournement par le commandement de la Garde, était tombée entre les mains du général de brigade  commandant du Basep, qui aurait  sauté sur l’occasion, pour forcer le Président de la République à déclencher immédiatement une inspection, afin de se débarrasser de cet encombrant colonel peu docile, et le faire remplacer par un proche en vue de mieux contrôler la sécurité des membres du gouvernement et des points stratégiques, qui lui échappaient.

Pour ce faire, il avait réussi à convaincre le président de la République d’utiliser une procédure exceptionnelle, nommant  par décret une commission spéciale de contrôle du corps de la Garde nationale, dirigée par son ami personnel, un colonel ancien membre du CMJD, qui était inspecteur des forces armées au ministère de la Défense avec deux ou trois inspecteurs du ministère de l’Intérieur et quelques officiers intendants de l’Armée nationale, pour s’acquitter de cette mission limitée à la période de commandement du chef d’état major concerné.

L’inspection générale du ministère de tutelle, qui comprenait un colonel inspecteur de la Garde nationale, désigné par le conseil des ministres et qui avait toute l’habilitation requise, avait été contournée pour la circonstance, donnant ainsi aux militaires toute la latitude de conduire cette inspection, une autre erreur stratégique du président de la République. Ce contrôle s’était déroulé sous l’impulsion du général de brigade commandant du Basep et avait découvert un très grand détournement de deniers publics d’un montant de plusieurs centaines de millions d’ouguiyas.

Mais le but n’était pas de poursuivre pénalement le chef d’état-major de la Garde nationale, car cette décision pouvait conduire à ouvrir la boîte de Pandore, c’est pourquoi l’affaire a été classée sans suite, malgré sa gravité. Le but recherché était juste de l’humilier et de le démettre de ses fonctions, pour le faire remplacer par le 3ème mousquetaire, afin de mettre la main sur la sécurité du gouvernement et des points sensibles de Nouakchott comme la télévision et la radio entre autres, instruments indispensable pour prendre le pouvoir par la force.

(A suivre)