Le Calame : Peut-on savoir pourquoi Yacoub Ould Moine a décidé de quitter le RFD et de créer son propre parti ?
Yacoub Ould Moine : Oui bien sûr ; j’ai décidé de quitter le RFD et de créer le parti Alliance Nationale Démocratique suite aux divergences sur la stratégie politique suivie par ce parti, aussi bien par rapport au dialogue avec le pouvoir qu’au niveau du boycott permanent des élections. Nous pensons qu’un parti politique doit participer pleinement dans la vie politique du pays ; c’est même sa raison d’être.
L’AND est un parti politique ouvert à toutes les mouvances et dans lequel, les décisions sont prises de façon participative et les positions sont dynamiques. Chacun pourra y exprimer ses convictions et les défendre de façon à améliorer les pratiques démocratiques et débloquer l’impasse que connait notre pays depuis des années. À l’AND, nous sommes convaincus que dans la politique, il ne faut pas suivre le principe du tout ou rien ; au contraire, les changements se font progressivement et parfois on est amené à faire des concessions pour avancer dans son combat. Nous avons ni ami permanent ni ennemi permanent ; notre souci c’est avant tout de défendre les intérêts de notre pays.
L’AND ne risque-t-il pas d’être un parti de plus, sinon que peut-il apporter de nouveau, de différent dans l’arène politique et aux mauritaniens, déçus de la manière dont nos hommes l’ont mené jusqu’ici ?
Non au contraire ; je pense que l’AND peut jouer un rôle crucial dans la politique de notre pays. En effet, opposer n’est pas critiquer en permanence mais plutôt proposer des solutions aux problèmes selon une approche réaliste. À l’AND, nous militons pour des causes nobles telle que l’application de la charia, le soutien des plus démunis, l’implication des jeunes dans la gestion de l’État, la bonne gouvernance et le transfert pacifique du pouvoir. Le nombre de personnes qui nous ont honoré par leur présence lors de la cérémonie du lancement des activités de notre parti et l’afflux massif des adhérents que connait l’AND quotidiennement démontrent l’engouement des différentes catégories de la population aux idées que nous défendons et prouve le rôle que peux jouer notre parti en Mauritanie. Une autre alternative d’opposition politique efficace s’offre désormais à nos citoyens.
La pomme de discorde avec votre désormais ancien parti a été, semble-t-il, l’option par rapport au dialogue avec le pouvoir par le biais du FNDU. Vous ne partagez donc pas les méfiances ou exigences du RFD et du Forum pour aller au dialogue avec le pouvoir ?
L’idée que nous défendons est le déblocage de l’impasse politique que connait notre pays depuis des années ; une situation qui porte préjudices à tous nos citoyens en freinant le développement économique et défavorisant la cohésion sociale et la paix dans notre pays. Face à cette situation, nous appuyons les efforts menés par tout un chacun pouvant conduire à ce déblocage de façon consensuelle. Et à ce titre, nous partageons la position du FNDU.
Pour revenir à votre question, nous partageons certaines méfiances et exigences de nos collègues à l’opposition mais notre souci majeur, c’est l’intérêt du pays qui n’est sans doute pas dans le maintien de cette situation qui pourrait le mener vers l’inconnu et le désordre notamment dans la conjoncture actuelle que connait la sous-région et le monde entier.
Est-ce que l’AND est disposée à aller au dialogue alors que l’essentiel de l’opposition (FNDU et CUPAD) exigent des « mesures de confiance » de la part du pouvoir ?
Nous sommes pour l’idée de lancer un dialogue sérieux et constructif avec le pouvoir. Cependant, nous souhaitons un dialogue inclusif.
Vous semblez être pour un dialogue sans « conditions préalables. » Peut-on savoir de ce que vous attendez de ce dialogue avec le pouvoir que tous les camps réclament ?
Nous ne partageons pas l’idée d’un dialogue sans conditions préalables mais nous défendons une approche consensuelle et réaliste pour créer un dynamisme dans notre pays et lui éviter de s’enfoncer dans l’impasse. Nous misons beaucoup sur le dialogue avec le pouvoir car nous pensons que le sort de notre pays et ses perspectives en dépendent étroitement.
Pourquoi le pouvoir et l’opposition peinent depuis des années à nouer un dialogue politique pour sortir le pays de ce que d’aucuns appellent la « tension politique » » ? A qui la faute ?
Sans attribuer la faute à un clan contre un autre, nous pensons que les deux parties ont une responsabilité partagée pour empêcher le déroulement du dialogue depuis des années. En effet, je pense que nous devons tous faire les concessions nécessaires pour l’intérêt général du pays.
Partagez le pessimisme de certains qui pensent que dans la configuration politique actuelle, un dialogue pouvoir – opposition ne pourrait pas se tenir ?
Non, absolument pas du tout, nous ne partageons pas ce pessimisme. Au contraire, il vaut mieux tard que jamais. Nous pensons que ce dialogue pouvoir-opposition est la seule issue pour sortir la Mauritanie de son blocus et relancer la roue du développement, des reformes, de la cohésion sociale et la paix.
Certains de vos détracteurs suspectent des « connivences » avec certains cercles du pouvoir. Ils avancent que vous aurez été « débauché » par l’ancien premier ministre Moulaye Ould Mohamed Lagdhaf, mais aussi la rapidité avec laquelle votre parti a été reconnu par les services du ministère de l’intérieur. Qu’en est-il ?
Ecoutez, je n’ai aucune connivence avec le pouvoir et j’affirme que ça fait des années que je n’ai pas rencontré l’ancien premier ministre. Cependant, nous sommes un groupe de personnes qui ont choisi de changer de parti politique pour défendre leurs propres convictions dans les règles de l’art du jeu politique. Quand à la reconnaissance de notre parti par le ministère de l’Intérieur, il faudrait plutôt leur poser la question ; tout ce que je peux vous dire c’est que nous avons été reconnus dans le respect total des exigences réglementaires en vigueur. Je crois que notre militantisme au parlement et notre acharnement pour défendre les bonnes causes est un bon témoin de notre intégrité. Enfin, en politique, quand les divergences persistent, il faut savoir prendre les bonnes décisions.
Yacoub Ould Moine ne craint-il pas de perdre et la popularité et l’estime des mauritaniens lors de son passage à l’Assemblée Nationale alors qu’il était député du RFD ?
Ecoutez, il ne s’agit pas là pour moi d’un envie personnelle de briller car je n’éprouve pas un tel besoin. L’enjeu pour moi est de défendre l’intérêt national qui prime surtout en cohérence avec mon militarisme que j’ai toujours mené. Le citoyen est assez intelligent pour savoir choisir ses représentants et je lui fais entièrement confiance.
Un nième parti politique dans une grosse marre ne participerait-il pas à affaiblir la démocratie mauritanienne ?
Je partage votre crainte car trop de partis politiques tue ces partis et dilue la démocratie. Cependant, les partis n’ont pas tous les même raisons d’être ni la même part de popularité. De plus, la démocratie est un espace de concurrence loyale et de concertation pacifique. Et pour terminer, il faut savoir que les urnes sont le seul arbitre en démocratie.
Contrairement à certains de nos voisins, le gouvernement mauritanien refuse de baisser le prix du gasoil alors que le baril du pétrole a dégringolé. Pensez-vous qu’il a raison d’opposer les subventions qu’il accorde à ce produit ?
Pour votre information, les prix du gasoil ne sont plus subventionnés depuis des années.
L’augmentation de la TVA sur certains produits suffit-il, à vos yeux à maintenir toujours en hausse le prix des denrées de première nécessité ?
Malgré que l’Etat vit, en grande partie, sur ses recettes fiscales et que les recettes minières ont connu une chute, l’augmentation de la TVA contribue à compenser le manque à gagner résultant notamment d’une économie de rente. L’absence d’une économie diversifiée et de valeur ajoutée au niveau de la pèche et du secteur minier, exige d’augmenter les impôts pour compenser les recettes rentières.
Quelles conséquences pourrait avoir cette augmentation continue des prix des denrées de première nécessité ?
Je n’aime pas être pessimiste ; cependant, l’augmentation continue des prix des denrées de première nécessité pourrait générer un climat de tension tels que des mouvements sociaux et une régression de la sécurité des personnes et des biens ; et l’on ne sait pas vers quoi cela mènera notre cher pays. Cela impose à chacun d’entre nous, de faire des sacrifices et d’encourager un dialogue consensuel pour sortir le pays de cette crise.
Quelle place réserve l’AND aux questions liées à l’unité nationale, à savoir, l’esclavage et le dossier communément appelé « passif humanitaire » ?
L’AND soutient tous les citoyens victimes d’injustice quelles que soient leurs appartenances sociales, politiques ou professionnelles. Cependant, nous pensons que le combat pour leur rendre justice doit être juste et selon les règles en vigueur ; car je vous l’ai déjà dit, aucun citoyen ne peut sortir gagnant suite à une situation de désordre ou de chaos. De plus, nous pensons que l’esclavage n’existe plus vraiment en Mauritanie mis à part quelques cas exceptionnels ; et que l’Etat a élaboré la législation et la réglementation appropriées. Cependant les séquelles de l’esclavage existent toujours et il faudrait les combattre de façon pertinente. Enfin, nous demandons à la société civile et les organismes de droit de l’homme de fournir des statistiques fiables sur l’esclavage en Mauritanie pour éclaircir la position de tout un chacun.
Concernant le passif humanitaire, nous aimerons que la politique entreprise depuis 2008 par différents gouvernements se poursuit en concertations avec les concernés, afin de bien clôturer ce dossier en veillant sur la satisfaction de tous.
Vous étiez l’un des grands pourfendeurs du pouvoir, particulièrement quand il s’est agi de la gabegie. Pensez-vous comme certains de vos anciens camarades que la gabegie aurait changé de camp, et qu’elle reste un slogan du pouvoir actuel pour châtier ses adversaires?
Nous pensons qu’il faut combattre la gabegie en Mauritanie sans aucune discrimination ni enchère politique car la loi doit s’appliquer à tous dans un pays qui se veut démocratique.
Etes-vous satisfait du résultat de la lutte contre la corruption menée par le gouvernement ?
L’AND propose la suppression de L’inspection Générale d’Etat au profil de renforcement de la Cour des comptes.
Le président et le vice-président du mouvement IRA croupissent en prison depuis plus d’une année. Que pensez-vous de cette détention et du combat de ce Mouvement abolitionniste ?
Concernant les leaders du mouvement abolitionniste IRA qui sont emprisonnés, je pense que c’est une affaire qui concerne la justice qui doit rester autonome dans son fonctionnement. Je pense que le combat de ce mouvement est un signe de santé dans un espace démocratique.
Les Djihadistes frappent dans les pays voisins avec une cohorte de morts et de désolation. Notre pays est, Dieu merci, épargné jusque là par ces « islamistes ». Certains alarmistes se demandent à quand le tour de la Mauritanie. Pensez-vous que le gouvernement a pris toutes les mesures pour parer à toutes les éventualités ? Sinon, que faut-il faire de plus ?
L’extrémisme est un défi international de notre époque. Il est probable que notre pays n’en restera pas épargné et nous devons prendre toutes les mesures pour parer à toutes les éventualités.
L’AND propose que le haut conseil islamique et le haut conseil de la fatwa et de justice jouent un rôle crucial pour combattre l’extrémisme en organisant des ateliers de sensibilisation. Ces deux hauts conseils peuvent s’unir en une seule institution et organiser des formations régulières au bénéfice des jeunes allant à l’étranger et ceux qui sont en prison, leur expliquant le vrai islam et les conditions réelles du jihad.
Il faudrait également inclure des modules d’éveil anti-extrémisme aux programmes pédagogiques.
Propos recueillis par Dalay Lam