Accaparement des terres
Depuis un mois, un bras de fer oppose le gouvernement mauritanien aux populations rurales des environs de la commune de Dar El Baraka, sur les terres arables et particulièrement fertiles de la cuvette de Karawlatt ould Ndiaye. A l’origine de cette histoire, la location, par l’Etat, d’une superficie de trois mille deux cents hectares, englobant champs et cimetières, à des producteurs agricoles saoudiens de l’Agence arabe pour l’investissement et le développement agricole, prétextant l’ambition d’auto-suffire leur pays en légumes, fruits et autres, depuis la Mauritanie. Cette mesure a été prise en Conseil des ministres du 15 Janvier 2015, suivant un bail emphytéotique de 25 ans, pour 16 millions de dollars par an, selon certaines sources, ou un milliard de dollars, selon d’autres. Mais ces terres constituent les espaces que les paysans cultivaient en décrue et qui leur permettaient, bon an mal an, de survivre. Naturellement, une vague de protestation a suivi, dans toute la wilaya. Une délégation des villages touchés a contacté les autorités locales et nationales, afin de faire revoir leur préjudiciable décision. Vainement. Le wali du Brakna entreprendra plusieurs missions pour convaincre les paysans à « effacer » la mesure sur leur visage. Inadmissible. Tantôt, le wali menace. Tantôt, il amadoue. L’affaire n’avance pas. Parallèlement, le groupe attributaire a commencé des études topographiques et pédologiques, sur fond de régulières anicroches entre ses travailleurs et les populations locales. Il y a une semaine, quasiment tous les cadres, notables, chefs traditionnels de la wilaya du Brakna ont été mobilisés, pour aller demander, aux populations, d’accepter la location sans leur avis et sans contrepartie, de leurs terres à des étrangers. Des missions officielles dont celles de la ministre de l’élévage et des pressions de toutes sortes n’ont pas fait renoncer les paysans d’un iota. Les protestations des paysans et des éleveurs contre cette expropriation continuent.
Il y a deux ans, l’Etat mauritanien avait déjà attribué, au groupe saoudien Raji’i, une superficie de trente-et-un mille hectares, à cheval sur les deux régions du Brakna et du Trarza (Lexeïba, Ould Birome, Dar El Avia). Cette attribution a ainsi privé des milliers de paysans de la culture du Diéri qui leur permettait, depuis des siècles, de survivre et empêché les éleveurs de la zone de profiter des pâturages que les travaux d’aménagement ont complètement décimés. C’est bel et bien dans la précipitation que l’Etat procède, depuis quelques années, à un bradage systématique des terres de la vallée, sans prendre le soin d’y mettre, au moins, les formes. En plus de la remise en cause des principes fondateurs de la tenure traditionnelle des terres, par des communautés qui sont là depuis des siècles, les attributions/locations ne respectent ni les dispositions du code pastoral, ni celles du code forestier, ni, encore moins, les soucis environnementaux. Les considérations sociologiques qui fondent les équilibres communautaires ne semblent pas plus compter. Visiblement, l’Etat semble accorder plus d’importance aux substantielles sommes d’argent que ces prétendus investissements peuvent rapporter, quitte à réduire ses populations, autrefois propriétaires, à des esclaves potentiels de multinationales étrangères.
Soif encore
Au Brakna aussi l’eau manque. Les habitants du petit village de Dar Naïm, à cinq kilomètres d’Aleg, ont organisé, le 5 Mai dernier, une marche de protestation jusqu’aux devants de la wilaya. Véritable paradoxe, puisque le projet Bouhchicha, qui a permis de faire boire Magta Lahjar, prend sa source à cinquante mètres du village assoiffé. A Sénoboussobé, le village du député, dans le département de Bababé, commune de Aéré M’bar, les populations sont en manque d’eau depuis quelques jours. Du côté de Boghé, c’est la frayeur. Les services de santé ont constaté que plusieurs malades souffrent de malaises consécutifs à une forte quantité de calcaire décelé, après analyse, dans leurs urines. L’eau de la ville, distribuée par les services de la Société nationale des eaux, serait saumâtre. Les populations s’approvisionnent, maintenant, à Thienel – un village situé à un kilomètre de la ville – au lycée technique ou, encore, au centre de formation technique pour producteurs ruraux. Jusque-là, les autorités ne font rien, sinon réitérer la promesse de l’Etat d’installer une unité de traitement de l’eau, sur financement de l’OMVS.
Education : Prolifération des contractuels
Comme dans les établissements scolaires de Nouakchott, les professeurs et instituteurs contractuels envahissent les écoles et collèges du Brakna. Le personnel de certains établissements est essentiellement constitué de ces fonctionnaires dont les conditions de recrutement suscitent beaucoup d’interrogations. Comme à Nouakchott, les profs et instituteurs professionnels sont « libérés », sur la base d’interventions, pour aller s’occuper de tout ce qui n’a rien à voir avec l’éducation. Des problèmes graves, comme la mauvaise gestion des ressources humaines, le manque de livres scolaires et de tables-bancs, la vétusté des classes et autres reposent, au plan régional, la problématique de l’éducation nationale. A un peu plus de deux semaines de la visite du Président au Brakna, les autorités scolaires régionales se démènent à bien arranger les choses, pour que tout se passe… sans que rien ne casse.
Santé : Les bénévoles aux commandes
Au Brakna, les postes de santé en milieu rural sont, généralement, gérés par des bénévoles qui n’ont jamais suivi la moindre formation. Juste quelques rudiments, appris, sur le tas, au cours d’un séjour de quelques jours d’une Infirmière Médico-Sociale (IMS), d’une Infirmière Diplômée d’Etat (IDE) ou autre sage-femme que les autorités sanitaires régionales s’empressent de rappeller à Aleg, pour grossir le rang dans les dédales de l’hôpital ou du dispensaire. Grave problème de gestion du personnel. Forte concentration dans les milieux urbains. Déficit criant dans les communes rurales. Certains postes de brousse sont, tout simplement, fermés, alors que des dizaines d’infirmiers, souvent des femmes, traînent leurs guêtres en ville. Comme les responsables régionaux de l’éducation, ceux de la santé s’emploient à s’organiser, à la veille de la visite présidentielle, pour produire une bonne mise en scène, afin de cacher les disfonctionnements et la mauvaise gestion. Les entraînements en ce sens ont déjà commencé, depuis quelques jours.
Intronisation
La communauté Z’marig de la wilaya du Brakna a organisé, dimanche 10 Mai 2015, une imposante cérémonie d’intronisation de son chef général. C’est le village de Waboundé, à dix kilomètres entre Boghé et Kaédi, que les organisateurs ont choisi, pour procéder à l’intronisation de Habib ould Bih, la soixantaine, en place de son défunt père, Bih ould Bih ould Ameïjnatt, décédé il y a juste un mois. Des délégations sont venues de toute la Mauritanie et, même, du Sénégal, pour assister à la cérémonie traditionnelle. Plusieurs cadres politiques locaux ont fait le déplacement. Toute la Mauritanie dans sa diversité était là. Bih ould Bih ould Ameïjnatt, le patriarche décédé, était, selon les témoignages de tous, un homme sage, pieux et consensuel qui prêchait la concorde et la cohésion, entre toutes les communautés nationales. La qualité des délégations et leur diversité témoignaient de la respectabilité et de la sagesse de l’homme qui a dirigé, très tôt, les affaires de son clan Z’marig, issu de la tribu des Idjeïjba. Né aux environs de 1929, l’ancien chef traditionnel est mort à l’âge de 86 ans, après une vie austère, vécue entre les siens, dans une modeste maison de banco, quelque part dans un coin de Waboundé.