Chapitre 6 : Jeunesse et sports
A S’sangue, il n’existait aucune infrastructure sportive. Partout, il y avait le sable, aucun filet, aucun terrain. Partout, des épines, des cram-crams, des arbres, des arbustes, des creux et des bosses… Pas de volley-ball, pas de basket-ball, pas d’athlétisme, absolument rien… Sauf quelques fantaisies « choisies » pour impressionner les profanes par le soi disant football ! Les entraînements et matchs dépendaient essentiellement de l’état du ballon, tout le temps crevé par les épines, d’une part, et d’autre part de l’humeur du patriarche Mantalla… Dès qu’il se sentait battu, il ramassait le ballon et s’en allait avec… Et personne ne parlait alors, puis les sportifs de Cala rentraient sportivement ! C’était pourquoi taper dans le ballon est très difficile, disait-on, quelque part…
Une fois, on devait participer à la semaine régionale de la jeunesse à Rosso.
Pour prendre bonne part aux compétitions, il fallait d’abord avoir existé en tant que telle avec des qualités et compétences très bien acquises. Ce cas n’était pas nôtre malheureusement et l’Eparse ne pouvait que répondre à l’appel. Cependant on ne savait pas jouer avec les chaussures ni courir avec ; en athlétisme, on savait courir tout court, en plein air, sans chronomètre, en toute liberté, sans piste aménagée, sans contrainte ni limite. Et c’était Mantalla seul qui jugeait sans jury ni témoins et Henri III avait bien ses favoris.
Ainsi, Abdou ould Hamoy fut choisi pour courir les 10.000 m, Sid’Ahmed ould G’dale pour les 5.000 m, Saleck ould Moctar pour les 100 m.
Pour tout le reste de l’athlétisme, du basket-ball, du volley-ball, forfait !!
Au théâtre, notre pièce était une petite blague imaginée par Sidi ould Amar, juste de quoi faire pincer les commissures des lèvres. Notre chœur, un poème de Sid’Ahmed ould Abderrahmane (chebabe… chebabe… lmedheridhre… qou !). Quant au ballet, imposé par Henri (ane rajel ye leile … ane rajel… mani … m’ra ! … qaq…. Qaq… yeleile !).
Dans le cadre des préparatifs, on s’entrainait de jour et répétait de nuit au théâtre.
Nos grands coureurs livrés à eux-mêmes partaient tôt le soir et rentraient vers le crépuscule avec de beaux comptes-rendus fallacieux.
Le départ pour Rosso fut décalé de deux jours car les familles des filles refusaient le voyage de leurs enfants. Ce fut un vrai casse-tête !
Quand, heureusement Naha mint Cheddad vint se porter volontaire pour accompagner les filles et en assurer la garde ! Les parents acceptèrent finalement et nous fûmes à Rosso, hébergés au lycée comme toutes les autres délégations. C’était vraiment fantastique et surexcitant, une incursion dans un conte de fées. Pour les filles, c’était la délivrance et à la fois un test d’exploration de leur personnalité…
La semaine fut ouverte par son premier match de football, Rosso contre Méderdra.
Le lendemain, on nous distribuait les équipements avant la convocation à seize heures sur le terrain. Bilal ould Werzeg et moi avions problème ! La plus petite pointure du lot des chaussures était plus grande que nos petits pieds qui flottaient dedans. Sur le terrain, nous fûmes obligés d’attacher nos crampons aux chevilles des pieds par leurs lacets, mais à chaque fois que nous tapions dans le ballon la chaussure partait avec ! Parfois elle nous accrochait le pied et nous envoyait à plat ventre au sol ! A la présentation des équipes avant le coup d’envoi, la différence entre les deux rivaux était sans appel… C’était vraiment David contre Goliath !
Dès la première mi-temps, Sid’Ahmed encaissa sept buts ! Aussitôt, il éclata en sanglots et s’effondra ! Alors nous le sortîmes du terrain et c’était Sidi ould Avelouat, déjà assez vieux, qui le remplaça pour ramener de l’espoir. Sûr de lui, impassible, coiffé d’un bonnet assorti d’un pompon rouge qui vacillait sur ses épaules et, brusquement, un but ! … puis un autre ! … quatre, cinq ! ??? et nos filles se mirent à pleurer à haute voix et notre père noël aussi !!!
C’était ainsi donc, que nous fûmes vachement battus, que nous avions vachement fait rire et vachement pleuré, nous-mêmes !!!
Une marmaille de la badia contre des pères internationaux !
Le lendemain matin, nous fûmes à la porte du camp militaire de Rosso C.I.A.N., comme tout le monde pour accueillir notre héros Abdou qui était surexcité et avait même promis de nous venger aux dix milles mètres après nos larmes de la veille au football….
A sept heures, le coup du starter fut donné au PK10 de Rosso et le groupe s’ébranla vers la ville.
La ligne d’arrivée était juste à la porte de la caserne et la foule y était dense.
Après un long moment, la voiture de tête fut signalée et on se bouscula énergiquement aux abords de la chaussée pour voir chacun, son champion venir en tête et brusquement la silhouette du numéro (1) était déjà visible mais les traits de l’individu n’étaient pas encore évidents… quand Hawe, dans une parade de pintade se mit à danser et à crier haut et très fort ! « Abdou !... Abdou !... yelli… selmou… !! » Et ce fut Ahmedou ould Hormatalla de Boutilimitt qui, d’un revers de la main écarta le ruban, très loin avant le deuxième puis le troisième, et tous les autres, sans Abdou (yelli selmou) ! Alors, nous méderdrois, rentrâmes dans le deuxième deuil de nos premières 24 heures !!!
Puis notre héros arriva, bien assis au milieu de la caisse de la land-rover de ramassage, en position de yoga, et face à l’arrière du véhicule…
Naha, déçue s’approchant de notre grand athlète :
- Abdou… n’te m’alak ?!...
Il rétorqua :
- Je ne sais pas courir sur le goudron ! … et puis ces chaussures m’ont tellement agacé !... j’étais comme si on me tirait par les pieds vers l’arrière !...
- Il ne fallait pas venir, dès le début !!...
Et le silencieux feu Baye d’ajouter : Abdou, seul repêché, et malheureusement, son attitude dans la caisse n’est pas honorable ! Il aurait dû se mettre sur l’un des bords, mais pas assis au milieu et face à l’arrière !!...
A la fin du tournoi, nous rentrâmes au terroir, avec comme seul trophée, un ballon de basket-ball, remis à Ely ould Amar pour sa bonne conduite !...
Peut-être bien que c’était pour nos « forfaits » à tous les matchs de basket ou, que c’était pour les larmes plus que la forme !!!
Il est donc très évident, et c’est à retenir, que la jeunesse méderdoise a toujours été bouillonnante d’intelligence et d’abnégation mais, elle est laissée pour compte, sans repères, ni encadrement et sans moyens lui assurant son épanouissement et son affirmation progressive, efficace et solide…
(à suivre)