Notes d’entretiens pour suivre la publication de mon journal les 11 et 18 mars derniers
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Erratum
Ahmed Ould Amar, alors inspecteur des finances avant d’être le Trésorier général de la République Islamique de Mauritanie, est bien celui qui rendit compte de la gestion de l’ambassadeur aux Etats-Unis, représentant permanent aux Nations Unies, et non l'ingénieur Ismail Ould Amar – erreur que fit mon hôte en entretien, que j’ai reproduite à tort, et relevée par plusieurs lecteurs
Addendum publications d’Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, à ma connaissance
- thèse, soutenue à Dakar et publiée à Paris, présentant El Wasit – œuvre d’un Mauritanien, demeuré au Caire, à son retour du Pèlerinage : original en arabe (Mohamed El Lemine Al Chinghetti)
- Front Polisario, âme d’un peuple – 1978
- Lettre aux élites du Tiers Monde – 1981
- La décolonisation de l'Afrique revisitée – 2014 dont deux chapitres sur les dix traitent de la Mauritanie 1. l’indépendance octroyée, 2. l’option de la Nahda – même éditeur Karthala, que les mémoires du président Moktar Ould Daddah
L’autre version de la même fondation ?
Les trois entretiens proprement dits qu’Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, m’accorde à son arrivée à Paris, n’épuisent pas toutes les questions que je veux lui poser sur l’histoire récente. Je suis débutant dans l’exploration et n’ai – en Octobre 1967 – guère entendu que le président Moktar Ould Daddah commentant plus l’actualité, depuis le début de nos rencontres, soit Avril 1965, que me donnant le récit de la fondation mauritanienne. Du premier, j’obtiens donc 1° des précisions sur l’histoire politique de la Mauritanie de 1946 à 1964 et plus spécialement sur la Nahda, puis 2° des indications sur la Nahda vis-à-vis du Maroc et sur la « Mauritanie espagnole » arbitrairement détachée de la « Mauritanie française » et, enfin 3° des vues sur le « problème noir » et ce qu’est « la patrie mauritanienne ».
Celui que j’écoute met en scène et en dialogue, plus souvent implicite que public, deux personnages : Moktar Ould Daddah au pouvoir par arrangement des Français et la jeunesse mauritanienne, sa soif d’indépendance que la Nahda, lui-même Ahmed Baba représente avec une telle force que le mouvement nationaliste et anticolonialiste en Mauritanie serait virtuellement majoritaire. Mais les élections diverses sont truquées en sorte que la vérification ne se fait pas. Le compétiteur du fondateur ne parle cependant jamais en candidat politique ambitionnant de diriger le pays. Il ne laisse pas entendre ce qu’il ferait ou aurait fait : 1957-1967. Quand nous nous rencontrons, il n’a que trente et un ans, il en avait vingt-et-un à la fondation de la Jeunesse et Moktar Ould Daddah était de loin le plus jeune des chefs de gouvernement locaux à l’époque de la Loi-Cadre : autour de trente-cinq ans.
Bertrand Fessard de Foucault - Ould Kaïge
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Entretien avec Ahmed Baba Ould Ahmed Miske
à Paris, le lundi 23 Octobre 1967. 17 heures à 19 heures 30
dactylographie – vendredi 27 Octobre 1967 - des notes mansucrites prises pendant l’entretien
Précisions sur l’évolution politique de la Mauritanie de 1946 à 1964
et plus spécialement sur la « Nahda »
Fondation de la Jeunesse – Novembre 1955
L’U.P.M. et l’Entente existaient déjà depuis 1947. J’étais personnellement du côté de l’U.P.M., le parti des notables et des gens de bonne famille qui considéraient qu’Horma était un personnage inconvenant. J’y étais en toute bonne foi. Jusqu’en 1955, je ne menais aucune activité politique. Je faisais mes études secondaires : Rosso, Boutilimit, Lycée Faidherbe à Saint-Louis, après avoir été à la medersa d’Atar, Lycée Michelet à Paris. J’avais à m’occuper d’une chefferie traditionnelle, mais j’y consacrais peu de temps, et un de mes cousins s’en occupait.
Pendant les vacances de 1955, le problème d’une activité politique s’est posé. J’avais commencé des études supérieures (de lettres) quand à Akjoujt, M. Lambert, directeur local de la Micuma [i] m’a demandé de venir travailler avec lui. Il avait besoin d’un Mauritanien, d’éducation moderne, pour lui servir de « public relations ». J’ai accepté, parce que chef de famille, et cela me rapprochait des miens.
Je me suis donc installé à Akjoujt.
Or, à ce moment, on était en période électorale ; les congrès se préparaient. Il y avait bien une section U.P.M. à Akjoujt, mais sans activité. On savait seulement que un tel était de l’U.P.M. Je me suis mis avez zèle à réaliser une section de l’U.P.M. qui ait l’ambition de s’organiser à la façon d’un parti tel qu’on le conçoit ailleurs. Je l’ai fait avec beaucoup de conviction et cela a fait du bruit. J’ai été élu président de cette section, et peu de temps après a eu lieu le Congrès de l’U.P.M. à Rosso.
Je me suis préparé à y aller avec les gens les plus en vue de la section.
Sidi El Moktar était alors député [ii], et se posait le problème de la désignation d’un candidat. Je pensais que l’on en discuterait vraiment au Congrès, même si cela devait amener à reconduire Sidi El Moktar.
Or, les jeux étaient pratiquement faits à Rosso, quand j’y suis arrivé. Ils avaient été préparés à Saint-Louis, par le Secrétaire Général Poulet [iii]. Ce fut pour moi une révélation. Tous ces chefs venaient se rassembler là pour jouer la comédie. C’était un scandale que de déranger des gens âgés et honorables, pour qui le voyage était pénible, alors que tout était déjà décidé. Ce fut un choc. Je ne m’étais pas jusqu’alors posé de problème, je n’étais pas politisé, je n’avais rien remis en cause.
Au congrès de l’U.P.M. à Rosso, des jeunes se sont retrouvés tout naturellement. Fils de bonne famille, mais en révolte contre de tels procédés. On était d’accord pour considérer Horma comme un petit sauteur peu convenable et démagogue. Au cours de rencontres toutes naturelles, nous avons discuté. L’idée est venue de se consulter, puis de créer quelque chose de permanent. L’A.J.M. est née d’une révolte contre certains procédés.
L’appellation peut tromper. On s’attendrait à une association sportive de moins de 20 ans. C’était en fait un parti politique sans le nom. Pourtant, nous ne pensions pas créer un parti. Il s’agissait d’une simple organisation de contestation, mais pas de politique. Mais dès le début ce devait être une politique d’opposition, alors qu’on voulait cette organisation apolitique. En effet, les autorités établies, très conservatrices, ont tout de suite commencé la guerre contre nous [iv]. Lambert m’a tout de suite limogé et j’ai symbolisé tout de suite l’A.J.M.
Le comité provisoire avait été composé de Yacoub Ould Boumediana, président un peu fictif, de Mohamed Ould Jiddou, Souleymane Ould Cheikh Sidya, El Hacen et Dey Ould Sidi Baba comme présidents d’honneur. J’étais secrétaire général, et Ahmed Bazeid, secrétaire trésorier.
Nous avons soutenu la candidature de Mohamed Ould Jiddou, sans conviction, mais pour montrer notre indépendance et affirmer notre apolitisme face à l’Entente et à l’U.P.M. Mohamed Ould Jiddou, comme interprète, s’était fait des amis à Port-Etienne. Jeune conseiller général, il a continué de sympathiser avec la Jeunesse, et a joué un petit rôle.
1er congrès de la Jeunesse – Juillet 1956
Mohamed Ahmed Ould Taki est désigné comme président, à la place de Yacoub. Je faisais alors un stage à Dakar, et j’avais passé mes pouvoirs à Mohamed Ould Cheikh dès avant le congrès. Mohamed Ould Cheikh devient secrétaire général et commence à jouer le même rôle. Je l’ai connu alors qu’il était instituteur à Atar.
L’investiture de Me Moktar Ould Daddah – Mai 1957
Moktar Ould Daddah avait déjà été candidat à la candidature de député, en 1946, en même temps qu’Ahmed Saloum Ould Haiba. Mais Yvon Razac [v] était le candidat officiel. Moktar, fonctionnaire discipliné, et sur les conseils du « père Bazeid » [vi], chez qui il était reçu comme un fils, accepte de ne pas se présenter. Ce retrait le fait lier d’amitié avec Razac et Poulet, et il est négocié contre un avancement substantiel. Moktar devient interprète du gouvernement à Saint-Louis. Il y était alors le correspondant d’Ahmed Bazeid, mon frère, et de moi-même. Il y reste un an, en 1947. C’est pendant cette période, qu’est fondée l’U.P.M., fondation à laquelle il prend part. Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah, Sidi El Moktar et Bouyagui en étaient les fondateurs essentiels.
Moktar part ensuite faire ses études en France, en gardant son traitement de fonctionnaire. Quant en 1957, il a terminé ses études de droit, et commencé son stage à Dakar, il est resté très lié avec l’équipe dirigeante : Sidi El Moktar, Razac et Poulet. Ce trio dirige la Mauritanie. En 1954, Moktar a passé ses vacances à Atar, avec le « père Bazeid ».
Cette année, il s’était présenté au Conseil de l’Union Française, avec le soutien de Sidi El Moktar, de l’administration locale. Mais Souleymane Ould Cheikh Sidya, qui avait pour lui son frère aîné Abdallahi [vii], de l’argent et le Gouvereneur Général avec lui, l’emporte à une voix de majorité. Il y a donc une revanche à prendre.
A l’époque d’ailleurs, le poste de Vice-Président du Conseil de Gouvernement paraît d’importance mineure. Au Sénégal, Senghor le refuse et n’y place que son second Mamadou Dia. Sidi El Moktar à l’époque était le personnage le plus important. Et l’on peut dire que jusqu’en 1959 il aurait pu être à la première place et la prendre à Moktar. On ne soupçonnait pas à l’époque que c’était là le poste d’avenir, et non celui de président de l’Assemblée territoriale. Quoi qu’il en soit, Sidi et Razac avaient besoin d’un homme à eux. Moktar était cet homme [viii]. Il avait une formation moderne propre à séduire les jeunes, ce qui se produisit effectivement. Enfin, il n’effrayait pas les traditionnalistes, puisqu’il en était issu. Et, il faut le redire, le poste paraissait secondaire. On peut donc dire que Moktar a été parachuté, mais il a été très bien accueilli par les jeunes. Il avait d’ailleurs été conseiller territorial de l’Adrar, à Chinguetti où il était totalement inconnu.
L’attitude de la Jeunesse devant l’appel à l’unité – Décembre 1957
Avec Mohamed Ould Cheikh, je suis partisan d’accepter l’appel à l’unité lancé par Moktar, et auquel répond favorablement l’Entente. Mais Taki, devenu président de l’A.J.M. a commencé de jouer un rôle. Il était en rivalité avec Mohamed Ould Cheikh. Le rôle de secrétaire général était le seul rôle actif. Il a donc – par rivalité avec Mohamed Ould Cheikh – œuvré contre une réponse favorable à l’unité. Arrivé le premier à Rosso, il a eu donc tout le temps de travailler le congrès avant que je n’arrive de Saint-Louis, avec la plupart des membres du comité directeur.
3ème congrès de la Jeunesse – à Nouakchott – Juillet 1958
Il y a eu unanimité pour faire la capitale de la Mauritanie à Nouakchott. Et la Jeunesse a bien marqué son adhésion à ce choix en étant la première à y tenir ses instances.
En marge de ses travaux, le Congrès a discuté de la situation politique, issue du refus de la Jeunesse de participer au regroupement, et alors que le regroupement a effectivement eu lieu. Il est apparu que le regroupement de l’Entente et de l’U.P.M. n’avait pas eu de signification puisque les principaux « hormistes » en fuyant au Maroc, l’avait vidé de tout sens. Le P.R.M. était donc l’U.P.M. renouvelée. Or, c’était précisément la situation prévalant au sein de l’U.P.M. qui avait fait créer la Jeunesse.
Il apparaissait aussi qu’une politique plus dynamique était nécessaire maintenant que l’indépendance commençait à se profiler à l’horizon.
L’A.J.M. était déjà très politisée. Il fallait quand même préserver son caractère d’association neutre. Aussi décide-t-on la création d’un véritable parti progressiste, d’opposition et de revendication, de libéralisation.
Nous n’avons jamais pensé prendre le pouvoir, nous considérions un peu comme avilissant de rechercher des postes. C’était bien sûr chimérique de penser changer la société sans exercer le pouvoir. Nous étions très idéalistes et pas du tout au fait des jeux politiques.
Tout ceci se discutait en marge du Congrès.
Pour une application immédiate de la recommandation de l’A.J.M., une décision immédiate a été prise de convoquer un congrès pour créer le parti en question. A cette réunion privée se tenant en marge du Congrès, j’ai été chargé de tout (il s’agissait de membres de la Jeunesse s’étant réunis à titre individuel pour appliquer la recommandation du Congrès).
Congrès constitutif de la Nahda – à Kaédi – 25, 26, 27 Août 1958
Le congrès constitutif est convoqué à Kaédi. Alors que la Nahda n’a jamais eu de succès sur le Fleuve.
On voulait tirer la leçon de l’expérience de la Jeunesse, qui était presque uniquement maure, à part Koné. En se réunissant à Kaédi, le congrès marquait l’unité de la Mauritanie. Déjà l’A.J.M. était suspecte d’arabisme aux yeux des noirs, et l’accusation d’être pro-marocaine était déjà lancée contre elle. La réunion à Kaédi constituait une réponse. Il n’y eut en fait pas de noirs au congrès, bien qu’il se tienne à Kaédi, car l’intelligentsia noire était au Sénégal, et il n’y avait pas encore beaucoup d’intellectuels noirs à résider en Mauritanie.
Au Congrès, les participants venaient à titre individuel de la Jeunesse. Il y avait aussi Bouyagui. C’était un vétéran d’une politique qu’on ne voulait pas. Mais il avait l’auréole du martyr. Il avait été victime de brimades, comme compagnon de Horma, et courageux à l’époque. Il avait même été battu. Il jouissait d’un certain prestige auprès de certains jeunes. A vrai dire, on ne le connaissait pas. Il était invité au Congrès ; il y vint de Bamako. Seul invité à venir au Congrès. Pour s’assurer une certaine respectabilité, le nouveau parti le choisit come président. Il s’agissait plutôt d’une présidence d’honneur. Il est d’ailleurs reparti au Mali, dès la fin du congrès.
Un bureau exécutif est formé, au sein duquel l’équipe réelle est de cinq ou six :
Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, secrétaire général
Yahya Ould Menkouss, secrétaire général adjoint
Bamba Ould Yezid, secrétaire pour l’organisation
Haiba Ould Hamody, trésorier
Mohamed Lemine Ould Douahi, qui démissionnera peu de temps après
L’attitude de la Nahda à l’égard du referendum de Septembre 1958
Nous n’avons pas pu y participer, à la suite de manœuvres adminisratives. Dès la fin du congrès de Kaédi, nous sommes allés à Saint-Louis pour accomplir les formalités légales pour notre parti soit reconnu officiellement. Mais le Gouverneur n’a rien voulu savoir.
L’A.J.M. s’est prononcée pour le non. Mais il n’y a pas eu d’organisation pour le non. De toutes façons, nous n’avions guère de connaissance du texte-même sur lequel il fallait voter. Il faut aussi rappeler qu’en Afrique beaucoup de partis ont préconisé le non, même au Sénégal, et que la situation a été redressée de justesse. L’indépendance était déjà un mot magique. Et le referendum ne semblait pas y donner accès... Tout près de la Mauritanie, le P.R.A. [ix] avait préconisé le non.
L’implantation et l’organisation de la Nahda
J’ai implanté moi-même toutes les sections, faisant tout le tour de la Mauritanie. Certaines sections s’étaient constituées spontanément, et je suis venu les structurer. Les premières se sont fondées au Sénégal. J’étais allé à Dakar pour y faire faire les cartes, puis à Saint-Louis. Pour les tournées d’implantation, nous n’avions pas de moyens, voyageant à dos de camion ou de chameau. Rarement l’avion. Au bout d’un an, l’implantation était très forte.
Les élections de Mars 1959
La Nahda n’a pas voulu participer aux élections de Mars 1959.
Le Comité directeur, dont le nombre de membres variait en fonction de celui des sections, puisqu’il comprenait le bureau permanent, plus des représentants des sections, s’est tenu à Nouakchott. Il y a eu un débat assez vif au sujet de l’opportunité de participer aux élections. Il apparut que les élections ne seraient pas libres, ni expressive de la volonté populaire. Aucune chance de faire élire des candidats et de faire reconnaître officiellement notre représentativité. Alors que de toute évidence, la Nahda était majoritaire dans le pays réel.
Réponse à une question sur la popularité du Premier ministre à l’époque.
A l’époque, le Premier Ministre n’état guère populaire, et ne se manifestait même pas à Boutilimit. Maintenant, le Président est connu, peut-être discuté, mais il jouit d’une certaine popularité. A l’époque, Cheikh Sidya qui était pourtant un parent, ne manifestait pas son hostilité, uniquement par fidélité à la France. Moktar Ould Daddah n’était pas connu. Il n’avait été élu comme conseiller territorial de l’Adrar, que comme objet de l’administration, dans la subdivision de Chinguetti où il était inconnu [x].
En 1959, il y avait deux circonscriptions électorales. Ce qui ne permettait pas de se regrouper sur une circonscription et d’y faire effort. Comme on l’aurait pu s’il y avait eu autant de circonscriptions que de cercles. Les élections de 1959 ont donc donné une image fausse de la situation politique du pays.
L’entrevue que j’ai eue avec le président Moktar à l’époque n’avait aucun rapport avec les élections.
Voyages à l’étranger à la fin de 1959
Il s’agit de voyage d’une délégation de l’A.J.M., sans rapport avec la Nahda. J’étais demeuré, du reste, membre du Comité directeur de la Jeunesse. L’Association mondiale de la Jeunesse nous avait invités à un congrès à Vienne. De là, nous sommes allés à Moscou, puis au retour, nous avons été invités par la Jeunesse marocaine, et sommes passés à Rabat.
En réponse à une question sur la société Bou Aida
Je n’en ai pas entendu parler. Ce qui est sûr, c’est que les commerçants d’Atar étaient financièrement utiles. La section de Dakar, et aussi celle d’Aïoun avaient leur importance.
Le début des contacts pour l’unité et leur échec
Le Congrès de 1959, qui se tient à Nouakchott, est un congrès de routine. Le bureau est renouvelé et Cheikh Malainine y est introduit. C’est un descendant de Cheikh Mal-El-Ainin. Le maintien de Bouyagui à la présidence est acquis, mais difficile à imposer au Congrès.
C’est alors que se situe l’épisode où j’ai mis pour la première fois en cause personnellement Moktar. En fin 1959, à la suite de contacts exploratoires – les messieurs bons offices pullulent –, Moktar et moi nous rencontrons. On parle de l’opportunité d’engager des discussions pour une unification éventuelle. C’est le début d’une période de conciliation. J’écris alors une lettre personnelle au président Moktar, commençant par « Mon cher Moktar » et se poursuivantsur le même ton très amical, pour lui parler de l’opportunité d’autoriser certains fonctionnaires, membres du Comité directeur de la Nahda, à se rendre à Nouakchott, et j’évoque aussi les mesures prises contre certains éléments « nahdistes ».
C’est alors que Mauritanie nouvelle publie la photocopie de cette lettre, l’en-tête de la Nahda, la phrase « Mon cher Moktar » et la signature étant seuls lisibles, le reste étant illisible ; et le commentaire indique que la Nahda à bout de souffle demande l’ « aman » et que le P.R.M. condescend à accepter une adhésion individuelle des « nahdistes » [xi]. Cette exploitation déloyale de ma lettre rencontre un écho chez certains « nahdistes », mais n’est pas prise en général au sérieux. Cela m’oblige cependant à faire une mise au point dans le journal de la Nahda.
Le journal de la Nahda était un journal ronéotypé, tiré à 1.000 ou 2.000 exemplaires, rédigé en arabe. Je le faisais moi-même : rédaction, tirage, envoi, avec un ou deux camarades. Il était le seul vraiment lu en Mauritanie, alors que Mauritanie nouvelle ne l’était guère. Il était lu dans tous les campements. C’était la première tentative de faire quelque chose en arabe en Mauritanie. Tous les documents Nahda étaient rédigés en arabe. Car il était apparu que tous les lecteurs étaient arabophones. L’A.J.M. diffusait ses documents en français et en arabe. Elle avait d’ailleurs introduit la presse en Mauritanie, et la Nahda le fit à sa suite.
Ma mise au point relatait les faits et en tirait les conclusions. Elle était sans indulgence pour Moktar, mais en toute honnêteté. J’expliquais que je m’étais obstiné jusque-là à penser que Moktar était étranger personnellement aux manœuvres dont nous étions victimes, mais qu’il était maintenant évident que son entourage français ou mauritanien était pourri et symbolisait la vénalité, le népotisme et la corruption. Et j’attaquais nommément Moktar, Compagnet [xii], Lehbib [xiii].
Cette exploitation de ma lettre était inacceptable sur le plan personnel en raison de notre amitié qui nous liait Moktar et moi, et de l’estime que j’avais pour lui. Mais la seule chose possible était que Moktar avait décidé sciemment d’exploiter sur le plan politique une lettre amicale en la dénaturant. Ce qui était contraire à l’honnêteté, à la probité et aux mœurs. A partir de ce moment, nous avons cessé toutes relations.
Auparavant, je n’avais fait aucune attaque personelle contre Moktar. Notre seul but était l’indépendance. La politique n’était pas notre ambition. Je ne pouvais alors me représenter que Moktar, étant au pouvoir, considérait comme des attaques personnelles, les attaques contre le régime ou sa politique. Je n’avais d’ailleurs à l’épooque, aucune connaissance des milieux politiques.
La première arrestation d’Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, au printemps 1960
Après la parution de ce numéro, le journal était déclaré interdit. De toutes façons, le numéro disait que - même sans aucun moyen – nous continuerions notre action.
Je suis parti à Dakar, tout de suite après. En principe, je résidais à Nouakchott, où d’ailleurs était tiré le journal. Mais j’allais souvent à Dakar, parce qu’il y avait des sections importantes, et l’imprimerie de nos cartes. J’étais aussi le commis-voyageur de la Nahda.
Au congrès de 1959, j’avais fait élire un secrétaire administratif pour assurer la permanence à Nouakchott : c’était Cheikh Malainine, un arabisant, ce qui était la leçon d’une année d’activité. De toutes façons, pas de possibilité de payer un personnel permanent et des rédacteurs. Nous faisions tout nous-mêmes. Et nous avons vécu pendant trois ans, sans ressources régulières, ce qui est d’ailleurs facile en Mauritanie.
A Dakar, se développait l’implantation du parti. Avec l’argent réuni depuis la création du parti (nous avions des sections jusqu’en Guinée et au Mali, dans la diaspora mauritanienne), nous avons acheté une land-rover d’occasion C’était une bonne affaaire : peut-être 200.000 CFA. Fort de cette acquisition, j’ai décidé de faire une grande tournée d’inspection et de réimplantation. Je suis parti en Février 1960, et j’ai été arrêté à Kiffa.
Auparavant, je m’étais arrêté à Kaédi, où il y avait une petite section, surtout maure, à M’Bout, à Kankossa (où résidait Yahya Ould Menkouss). C’est en arrivant à Kiffa, que j’ai été arrêté et réexpédié sur Sélibaby. La land-rover a été récupérée par des militants venus d’Aïoun, pour m’attendre. En fait, j’avais été prévenu de cette éventualité dès Dakar, et j’en avais eu la certitude à Saint-Louis. Je suis allé en Mauritanie, étant presque sûr d’être arrêté, mais je ne pouvais pas me permettre de reculer.
J’ai passé six mois emprisonné. Vers la fin de ma détention, pendant les deux derniers mois on m’a transféré à Boutilimit, dont le climat – pour moi, un homme du nord – était quand même plus favorable que celui de Sélibaby qui était vraiment un exil. Au début, à Sélibaby, j’étais surveillé de très près, et j’en ai profité pour faire un « ramadan » sérieux. Puis ensuite, cela s’est transformé en résidence surveillée. Des parents m’ont envoyé une servante qui savait faire la cuisine de chez nous. Mais les deux premiers mois ont été très pénibles.
Bouyagui est alors revenu de Bamako. Il avait assisté à un ou deux comités directeurs, mais n’avait rien fait à l’intérieur. Il s’installe à Dakar, et prend les choses en main, s’occupe du journal qu’il fait imprimer à Dakar. C’est un peu l’entrée en scène de Bouyagui.
Les élections municipales d’Atar et leur signification
Je suis libéré juste pour y participer. D’ailleurs, la loi ne prévoit que six mois de détention. C’étaient donc les élections pour la mairie d’Atar, ville où la Nahda est en force. Les élections furent truquées. On incorpora à la commune le petit village de Karawal, on fit descendre des montagnes des nomades qui se trouvaient là, on refusa deux ou trois cent votes. Finalement, la Nahda perdit les élections, mais à trente voix seulement environ. Et Abdallah Ould Obeïd fut élu maire.
Le tournant de Décembre 1957 où l’union fut refusée, a été signalé. Les élections d’Atar marquèrent un nouveau tournant pour les militants et furent une cause de grande amertume. A Atar, à Chinguetti, à Aïoun, la Nahda était vraiment en force. Si la Nahda avait été considérée vraiment comme légale, comme elle l’était pourtant officiellement, l’apaisement aurait ensuite été facilité. Cela aurait changé les états d’esprit. On aurait cessé d’en faire un épouvantail. Ce fut certainement une erreur des autorités françaises.
A Nouakchott, les services de renseignements alourdissaient encore le climat et aggravaient la scission.
Nouveaux contacts pour l’unité et arrestation des leaders de la Nahda
Après ces élections qui ont causé une telle amertume, les membres de l’A.J.M. qui n’étaient pas de la Nahda ont essayé de faire une tentative de conciliation. Ils ont vu Moktar, et nous ont dit de venir à Nouakchott. Le comité directeur s’est réuni à Dakar, car Bouyagui ne tenait pas à venir à Nouakchott. La majorité s’est dessinée pour la conciliation, afin de préparer l’indépendance. Bouyagui s’est fait nettement forcer la main. Finalement, tout le monde est venu à Nouakchott. C’est ici que se situe l’épisode du 6 Septembre. Certains officiers français ont arrangé une sorte de provocation. Les sections de Nouakchott savaient que l’on venait négocier et discuter, et ont organisé une réception, les militants et surtout les militantes. Des bagarres ont eu lieu, des arrestations ont été opérées. Mais l’on n’a pas tiré, contrairement à ce qu’a dit le Maroc.
On ne nous a pas arrêtés sur le champ. Mais une atmosphère de terreur était créée. Nous avons attendu le Premier Ministre, lui laissant le bénéfice du doute. Attente de plusieurs jours. Aucun membre du gouvernement ne nous a reçus. Moktar est arrivé. Dans la soirée de son arrivée, nous avons tenu une réunion pour savoir quelles conditions poser, et préparer un communiqué définissant notre position vis-à-vis du Maroc et démentant les bruits qui nous faisaient passer pour des gens à sa solde, et affirmant que les Mauritaniens qui étaient allés au Maroc n’avaient joué aucun rôle dans notre parti. Nous nous sommes couchés à deux heures du matin, et, trois heures après, nous avons été arrêtés et embarqués dans un avion, sans savoir où nous allions. En fait, nous allions à Tichitt avec Bouyagui : il avait raison contre nous, qui nous acharnions à trouver des circonstances atténuantes à Moktar, pensant qu’il se trouvait devant le fait accompli. C’était d’ailleurs le sens du premier numéro de 1957 de l’A.J.M. présentant Moktar comme une victime objective du colonialisme.
A l’époque, la mauritanisation était encore symbolique, et les activistes locaux français dominaient.
L’assasinat d’Abdallahi Ould Obeïd se produisit peu avant l’indépendance. Il était difficile de nous l’imputer puisque nous étions à Tichitt. Nous étions tous contre de telles méthodes, mais la plupart d’entre nous ne trouvaient pas opportun de le dire officiellement – et j’étais de ceux-là – car cela aurait paru faire acte de soumission, ce à quoi je me refusais personnellement.
à suivre
[i] - cf. dîner du 20 Octobre 1967 in Le Calame 18 Mars 2015 - découvert en 1946, le gisement de cuivre et d’or du Guelb Moghrein est alors exploité par Micuma, fondée en 1952
[ii] - né le 13 septembre 1916 à Atar et décédé le 25 janvier 1997 à Saint-Louis du Sénégal, Sidi El Moktar N’Diaye est, sans conteste, le co-fondateur de la Mauritanie moderne et des équilibres de celle-ci. Député du Territoire de 1951 à 1959 à l’Assemblée nationale française, président de l’Assemblée terrioriale puis nationale de 1952 à 1961, il eût pu ne pas coopter Moktar Ould Daddah en 1956-1957 et donc le faire incarner puis diriger le gouvernement issu de la Loi-Cadre. Mais en 1961, quoi qu’il s’y oppose farouchement, il ne peut empêcher l’option pour un régime présidentiel, ni en 1964 le choix du parti unique et constitutionnel de l’Etat. Né d’un père Wolof et d’une mère Maure, familier autant du nord saharien que des rives saint-louisiennes, il assura l’identité mauritanienne à tous égards, quand celle-ci se discutait. Le rejet argumenté de la revendication marocaine et du projet français d’organisation commune des régions sahariennes lui doit aussi sa première expression. Une très grande âme mauritanienne.
[iii] - né en Avril 1914, retiré aujourd’hui à Saint-Pierre-et-Miquelon. Administrateur de la France d’Outre-mer , Georges Poulet règne en Mauritanie de 1944 à 1950, puis de nouveau de 1952 à 1958 par sa forte expérience du commandement territorial et à des titres divers au gouvernement général à Dakar puis secrétaire général du Territoire. L’ayant quitté en 1958, il fait des intérim de Haut-Commissaire en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie pour terminer sa carrière dans cet emploi aux Comores et être nommé au Conseil économique et social de la République française. En 1947, à Saint-Louis, tandis qu’il est directeur des Affaires politiques, Moktar Ould Daddah est quelques mois son interprète, avec l’accord de son père. Il avait pour talent, si je puis écrire, de mettre en œuvre les machines électorales. (mémoires, op. cit. p. 133)
[iv] - Moktar Ould Daddah, La Mauritanie contre vents et marées (Karthala . Octobre 2003 . 669 pages disponible en arabe et en français) reconnaît (p. 153) : Dès sa naissance, l’A.J.M. rencontre l’hostilité de l’administration coloniale et de la chefferie traditionnelle, qui créèrent toutes sortes de tracasseries aux membres de sa direction. Les principaux de ceux-ci étaient : Mohamed Ould Cheikh, Dr. Bocar Alpha Bâ, Ahmed Baba Ould Ahmed Miské, Ahmed Bazaïd Ould Ahmed Miské, Soumare Gaye Sylli, Yacoub Ould Boumediana, Koné Aly Béré, notamment. Le grand mérite de l’A.J.M. fut d’avoir été la première formation à prôner l’unité politique dans le pays.
[v] - sénateur de la Mauritanie de Novembre 1948 à Juillet 1959 – Yvon Razac est né en Décembre 1912 en Algérie et il est mort à Paris en Août 2003. Breveté de l’Ecole nationale de la France d’Outre-mer, il n’exerce pas ses fonctions d’administrateur mais mobilisé en 1939 à Atar, officier, il demeure en Mauritanie. Directeur des Affaires politiques du Territoire, il tente la députation en Novembre 1946 et se fait battre par Horma Ould Babana (récit d’Ahmed Baba dans son dernier livre, pp. 94 et ss. – récit de Moktar Ould Daddah dans ses propres mémoires, op. cit. pp. 102-103 : il avait lui-même été pressenti). Au Conseil de la République, il refuse en Juin 1958 à de Gaulle les pleins pouvoirs et la révision de la Constitution. A sa manière, il a été par adoption un patriote mauritanien. Témoin du mariage, le 4 Novembre 1958, du Président avec Marie-Thérèse Gadroy, Mariem Daddah, c’est un ami de longue date, maîtrisant le hassanya et qui fait faire au futur chef d’Etat son premier tour de Paris en 1949, et pendant sa période scolaire et universitaire française l’accueille fréquemment chez lui à Garéoult, dans le Var (mémoires de Moktar Ould Daddah, op. cit. pp. 1236-127). C’est le sénateur qui fait en sorte que l’étudiant, toujours membre du comité directeur de l’U.P.M. revienne au pays pour participer au congrès de Kiffa – 17 au 19 Mai 1951 – investissant Sidi El Moktar contre Horma, le député sortant (ibid. p. 132) et même faire toute la campagne : C’est ainsi que nous avins parcouru le pays dans tous les sens, en camion, en voiture tous terrains et même en avion, une ou deux fois. De la sorte, nous avions visité tous les chefs-lieux de cercles et ceux des principales subdivisions. Ce grand périple me permit, pour la première fois, de visiter tout le pays dont je ne connaissais que deux régions : celle du Trarza et, surtout, celle de l’Adrar. Après les élections, je pris trois semaines de vacances que j’ai passées entre les deux familles, maternelle et paternelle qui nomadisaient alors dans les environs de Boutilimit. Ce fut l’occasion pour moi de renouer avec les voyages à chameau. C’est enfin à Yvon Razac que le jeune vice président du premier gouvernement mauritanien demande conseil pour choisir le directeur de son cabinet : Jean-Jacques Villandre, qui lui recommanda comme successeur : Maurice Larue (mémoires op. cit., p. 228).
[vi] - grand-père maternel d’Ahmed Baba et Ahmed Bazeid Ould Ahmed Miske
[vii] - tous deux fils de Baba Ould Cheikh Sidya, décédé le 10 Janvier 1924 : l’ami de Xavier Coppolani. Le deuxième fils de Baba : Mohamed hérite alors de sa baraka, et son troisième Abdallahi reste délégué au commandement des Oulad Biri
[viii] - Moktar Ould Daddah confirme les influences qui le décidèrent à accepter ces fonctions dans ses mémoires, op. cit. p. 145 : Sidiel qui me rendait souvent visite, m’apprit, un jour, le vote de la Loi-Cadre. Et, poursuivant sa campagne de persuasion amorcée depuis plusieurs mois, il insista de nouveau et à plusieurs reprises pour que j’envisage un retour anticipé au pays. Razac m’avait entrepris dans le même sens. Leur argument principal était qu’avec les responsabilités nouvelles et importantes octroyées aux Territoires d’outre-mer, il fallait, à notre pays, un chef de file capable d’assumer la direction de l’autonomie interne, comme Vice-président du Conseil de gouvernement. Sidiel à qui je rétorquais qu’il était lui-même ce chef de file tout désigné puisqu’il était déjà le leader politique incontesté du pays, me répondit sans ambages, qu’il ne voulait pas exercer de responsabilité dans le domaine de l’exécutif. Que donc, il ne voyait que moi pour être cet homme politique nouveau appelé à diriger la Mauritanie nouvelle. Razac soutenait un point de vue identique. Je finis donc par me rallier à leur suggestion.
[ix] - Parti du regroupement africain (P.R.A.) fondé à Dakar le 27 Mars 1958 par la fusion de tous les mouvements d’Afrique subsaharienne française, à l’exception – considérable – du R.D.A. Le M.S.A. et la Convention africaine le dominent puisque la direction provisoire est assurée par 4 délégués pour chaque parti inter-territorial et 1 seul par parti territorial. Abstention de la Mauritanie qui a cependant envoyé des observateurs
[x] - Ahmed Baba, lui, est né à Chinguetti – en 1936
[xi] - disposant de la collection du journal, je donnerai dans la prochaine livraison le fac similé de ce montage et de son commentaire – numéro du 4 Avril 1959
[xii] - directeur pour la Mauritanie de la compagnie de transports routiers Lacombe, Maurice Compagnet est le ministre des Finances de la fondation mauritanienne : Mai 1957 à Août 1961. Moktar Ould Daddah, ibid. op.cité, s’en explique : Je ne connaissais pas personnellement Maurice Compagnet que j’avais pourtant rencontré deux ou trois fois. Mais, j’en avais beaucoup entendu parler. Je savais qu’il était très attaché à notre pays, qu’il était membre actif et militant de l’U.P.M. et qu’il était lié d’amitié avec les principales personnalités traditionnelles et politiques du pays. De surcroît, il avait été élu conseiller territorial en 1957.
Ami de longue date de Sidiel et d’Yvon Razac, auxquels je devais, comme je crois l’avoir dit, d’être entré dans la carrière politique par la grande porte, Maurice Compagnet m’avait été particulièrement recommandé par ceux-ci. Ils m’avaient conseillé de lui confier le ministère des Finances. Pourquoi ? Parce que, à l’époque, je l’ai déjà dit, la Mauritanie, encore dépourvue de ressources propres, ne vivait que de subventions françaises, fédérale et nationale. Dans ce contexte, un Français - très acquis à la cause mauritanienne - était sur le plan de l’efficacité et de l’absence de complexes de toutes sortes, un tel Français, était mieux indiqué comme interlocuteur des autorités financières, dakaroises et parisiennes qu’un mauritanien autochtone.
Par la suite, l’expérience allait me prouver que ce choix était le meilleur. En effet, dans ses fonctions nouvelles de ministre des Finances - sans finances propres -, Maurice Compagnet se révéla un excellent ministre. Plus mauritanien que beaucoup de mauritaniens, il avait géré on ne peut plus honnêtement et efficacement les très modestes finances mauritaniennes. Et, contrairement aux insinuations malveillantes de certains, il n’avait pas favorisé la Maison Lacombe. Les factures de cette dernière n’étaient pas plus vite ni plus souvent payées que les autres factures dues par l’Administration.
Pendant les quatre années durant lesquelles il fut ministre des Finances, j’appris à bien le connaître et à l’apprécier sincèrement. Malgré sa nervosité et son caractère entier, il fut un mnistre loyal, consciencieux et compétent, plus mauritanien que français, plus argentier mauritanien que directeur de la Maison Lacombe. Devenu un bon ami pour moi, je le vis partir avec beaucoup de regrets.
Retiré dans ses Pyrénées natales, il revenait souvent en pèlerinage dans ce qu’il appelait sa seconde patrie : la Mauritanie, où il est venu mourir d’une crise cardiaque, à Nouakchott, en Mars 1971. Sa mort m’a beaucoup attristé.
[xiii] - ministre de la Fonction publique, du Travail et des Affaires sociales dès le premier gouvernement de la Loi-Cadre (21 Mai 1957 remanié le 14 Janvier 1958), Sid Ahmed Lehbib U.P.M. de la première heure, est du bureau exécutif du PR.M. issu de la fusion opérée à Aleg en Mai 1958, et le reste après les élections du 17 Mai 1959. Fidèle, il ne participe pas à la sécession des organisateurs de l’Union nationale mauritanienne qui souhaitent l’adhésion de la Mauritanie à la fédération du Mali, mais il n’est pas repris dans le gouvernement que forme Moktar Ould Daddah le 26 Juin 1959. Mais rédige avec quelques-uns dont … Ahmed Baba, les avant-projets de statuts et de règlement intérieur du Parti du Peuple Mauritanien.