Directeur du Centre national de cardiologie (CNC) depuis 2009, Ahmed Eba El Welaty est professeur agrégé en cardiologie (2010), titulaire d’un doctorat d’État en médecine (1992, en la faculté de médecine d’Alep, Syrie) et d’un diplôme de spécialiste en maladies cardiovasculaires (1998 à Abidjan, Côte d’Ivoire). Il enseigne à la faculté de médecine de Nouakchott depuis des années. Au lendemain d’une greffe de rein réalisée fin- Juillet dernier par une équipe mauritano-algérienne au CNC, il a bien accepté de répondre aux questions de Horizons.
Horizons : Une greffe de rein vient d’être réalisée dans votre établissement. Quelles sont vos impressions sur cette prouesse technique ?
Professeur Ahmed Eba El Welaty : Nous constatons que la Mauritanie avance ; il y a l’espoir en ce que les hautes autorités de l’État sont déterminées à rehausser la qualité de la prise en charge des malades, toutes spécialités confondues. On voit qu’après la dialyse instaurée pour la 1ère fois en Mauritanie en 1998, voici que suit la greffe rénale, près de vingt-six ans plus tard. Il s’agit là d’une évolution naturelle dans la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique. Je le répète avec conviction : la Mauritanie avance, il y a un véritable espoir pour les dialysés chroniques car la greffe va transformer leur vie.
- En quoi consiste cette intervention ? Avec et grâce à qui a-t-elle été réalisée en Mauritanie ?
- Il s’agit d’une intervention chirurgicale appelée greffe en ce qu’elle consiste à implanter dans un corps humain un organe transféré d’un donneur (celui qui donne l’organe) vers un receveur (celui chez qui l’organe est implanté), pour assurer la fonction défectueuse du rein malade. Dieu a donné à l’être humain deux reins et un seul peut suffire à assurer la fonction qui leur est dévolue pour une qualité de vie normale. Donc le second rein peut être considéré comme une réserve qui pourrait être donnée à un parent proche ou à tout autre malade dont les tests de compatibilité sont positifs. Une condition impérative à l’assurance d’une greffe potentiellement réussie.
Les deux personnes sont opérées ensemble (donneur et receveur), de manière concomitante en deux salles opératoires contigües. On prélève sous anesthésie générale le rein sain du donneur, pour remplacer le rein malade du receveur. Il s’agit d’une intervention délicate qui nécessite une expertise particulière. Des chirurgiens urologues la réalisent en plaçant le rein dans sa loge, avant de brancher les artères, les veines et l’uretère à leur place respective. J’ajouterai ici qu’il s’agit là d’une réalisation historique, extrêmement coûteuse et qui ne peut se réaliser sans une volonté politique clairement affichée.
C’est pourquoi cette action entrait dans le cadre du Programme prioritaire de Son Excellence Monsieur le Président de la République, incluant la greffe rénale dans ses objectifs. Et cette promesse a été tenue dans la dernière semaine de son premier mandat. Cet engagement politique a pu être concrétisé grâce à la coopération avec un pays-frère, l’Algérie, un accord conclu lors de la visite que le Président Mohamed Cheikh El Ghazouani y a effectué au mois d’Avril dernier, demandant à son homologue algérien un accompagnement technique pour la réalisation d’une telle prouesse. Des équipes ont été dépêchées à Nouakchott pour travailler avec le Programme national chargé de la greffe rénale et des dons d’organes, présidé par un Conseil national dont le président est un néphrologue, le professeur Abdel Latif Sidi Aly. Un professionnel dévoué, engagé dans cette cause et qui a su former une équipe locale capable de parvenir à ce résultat avec l’assistance de leurs homologues algériens. Plusieurs formations ont été au préalable dispensées à ces professionnels, ainsi que des voyages d’études et des opérations conjointes en Algérie, avant de déplacer l’équipe algérienne en Mauritanie. Et c’est après avoir visité les différents blocs opératoires de Nouakchott, qu’elle a sélectionné ceux du CNC, les jugeant conformes aux exigences de la greffe rénale.
- On observe une augmentation des maladies rénales en Mauritanie. Quelles en sont les causes ? Quel rôle joue le CNC dans leur prise en charge ?
- Effectivement l’insuffisance rénale est actuellement devenue un fléau de santé publique, à cause de la mauvaise prise en charge au démarrage de certaines maladies chroniques comme l’hypertension artérielle et le diabète. Certains patients refusent à tort de prendre des médicaments contre ces affections, premières causes de l’insuffisance rénale. Si le rein ne fonctionne pas, l’évolution se fera à bas-bruit (sans signes apparents), avec une accumulation de toxines dans le corps. Le malade va souffrir, en commençant à présenter des signes de fatigue, d’anémie chronique et d’essoufflement. Une fois réalisé, le bilan sanguin va malheureusement signaler que le rein est déjà atteint car, dès que l’urée et de la créatine montent, c’est un signe patent du mauvais fonctionnement rénal ; il faut donc passer à la dialyse, une solution atténuante et palliative qui ne prendra fin qu’avec la greffe rénale, seule susceptible de sauver le malade. Bien faite, suivie d’un traitement idoine, d’une hygiène et de conditions de vie saines, la greffe permettra en effet au malade de recouvrer la santé et de mener une vie équilibrée.
- Le don de rein est-il entré dans la culture des Mauritaniens ? Dans le cas contraire, que faudrait-il faire pour l’inculquer dans les esprits ?
- Malheureusement le don d’organe, particulièrement du rein, n’est pas encore rentré dans notre culture. Il est important que des campagnes de sensibilisation soient menées en direction de la population, afin que les parents des insuffisants rénaux puissent être rassurés : ceux-là bien portants, le don de rein ne présente aucun risque sur leur santé dans l’avenir. Cette sensibilisation a débuté avec la réussite de cette première intervention et nous espérons qu’au cours de la prochaine visite de l’équipe algérienne, prévue dans deux mois, d’autres candidats pourront se porter volontaires pour leur parent et procéder, après les tests de compatibilité, au don de leur rein, ce qui transformera radicalement la vie du receveur. Je conclurai ici en soulignant qu’il faudra soutenir un long travail de communication et de sensibilisation pour que les gens acceptent de donner leur rein.
Propos recueillis par Dalay Lam