Ghazwani réélu : On fait quoi mtn ?

9 July, 2024 - 11:16

Le 29 Juin dernier, le président Mohamed ould Ghazouani a été réélu par les Mauritaniens avec plus de 56% des suffrages. Un résultat confirmé par le Conseil Constitutionnel, une semaine après. Une victoire cependant contestée et rejetée par son principal challenger, le candidat abolitionniste, Biram Dah Abeïd, et par celui de l’AJD/MR, Bâ Mamadou Bocar. La proclamation des résultats a été marquée par des incidents et manifestations, hélas soldés par la mort de trois jeunes à Kaédi, capitale du Gorgol.

En dépit de tout cela, la présidentielle de 2024 est dernière nous et les Mauritaniens attendent les premiers actes du président réélu. Fera-t-il mieux qu’en son premier quinquennat ? C’est la question que tous les citoyens se posent, espérant que le nouveau et dernier mandat sera plus efficace que le premier. Dans sa première déclaration au lendemain de sa réélection, le président de la République a laissé entrevoir un espoir. Il s’est d’abord engagé à être « le président de tous les Mauritaniens » : ce n’est pas nouveau, le contraire aurait surpris.

Et certes : le Président doit travailler au bien-être de tous ses compatriotes, une tâche guère facile dans la mesure où il existe toujours, au sein du gouvernement et de l’administration, tant de « zélés » fonctionnaires, voire des élus, qui n’en font qu’à leur tête, abusant à qui mieux mieux de leur position et refusant de respecter les «instructions données d’en haut ». L’administration « proche et au service des administrés » vantée depuis des années reste un slogan creux, tout comme ceux de « la lutte contre la gabegie et la corruption », « la consolidation de l’unité nationale », « l’éradication des pesanteurs sociales » (caste, tribus, régionalisme, racisme, esclavage…).

Dans son programme électoral, le président-candidat s’est une nouvelle fois engagé à « renforcer l’unité nationale et surmonter les comportements et les mentalités négatives dans notre société », soulignant la nécessité pour tous d’«œuvrer à faire de la Mauritanie un État de droit et de citoyenneté, fort et prospère, sans place pour le racisme, l’esclavage ou le communautarisme ». Il a également réitéré à maintes reprises sa détermination à lutter contre la corruption, cette gangrène qui mine notre société à tous les étages. On comprend donc la difficulté de couper toutes les têtes de cette hydre... Il nous faut tous le reconnaître : nombre de nos enfants sont nés et formatés dans cette pratique.

S’il entend bien secouer le mammouth, le président Ghazouani connaît le pays et tous les suspectés d’être mouillés dans des pratiques douteuses : détournements de deniers publics, trafics de drogues, armes, cigarettes, faux médicaments et autres, ceux qui n’exécutent pas les marchés publics et réclament des avenants à tour de bras. Alors, peut-il donner un coup de pied dans cette fourmilière ?  Peut-il rompre avec des nominations de complaisance (fils de « grandes familles », de marabouts, de généraux, de tribus) ? Comme le disait Barack Obama, « un État de droit fort passe par des institutions fortes ». Or ce que nous avons surtout en Afrique – et donc en Mauritanie – ce sont des hommes forts. Chaque général ou directeur se sent suffisamment fort pour décider de tout, selon ses intérêts, ceux de ses proches ou de sa cour…

Le changement attendu passe également par la réforme de Taazour. Les mauritaniens qui peinent à chauffer leur marmite deux fois par jour ont été surpris d’apprendre que cette institution – véritable vache à lait pour certains privilégiés… – a injecté 770 milliards d’ouguiyas dans le pays ! Au profit des plus démunis ? Cette institution mériterait manifestement un audit et les députés devraient s’y intéresser…

 

Un dialogue enfin efficace ?

Du point de vue politique, le président réélu a déclaré tendre la main à tous les acteurs politiques, de quelque bord soient-ils, et s’est dit « disposé au dialogue ». C’était un engagement important et nombre de ces acteurs ont salué la décrispation qui a marqué son premier mandat mais, concrètement, qu’entend-il faire ? On se rappelle que ses diverses tentatives en ce sens sous son magistère se sont toutes soldées par des échecs.  Le gouvernement ne voulait pas certains de ces opposants et refusait d’aborder les sujets « fâcheux », tandis que plusieurs de ceux-là ne visaient que le leadership de l’opposition. Les potentiels dialoguistes réclamaient du président de la République l’expression solennelle d’une volonté politique forte mais surtout un engagement clair à mettre en œuvre leurs recommandations.

Le fond du différend entre les deux camps, c’est d’abord les objectifs à atteindre. On se rappelle que les recommandations des dialogues organisés, de la transition militaire 2005-2007 à la décennie Ould Abdel Aziz, sont restées pour l’essentiel dans les tiroirs des gouvernements successifs. Il subsiste, en leur sein et en certaines autres sphères de l’État, des goulots d’étranglement parfois très hostiles au dialogue politique qui pourrait menacer leurs intérêts et ébranler le système. Le président nouvellement réélu est-il enfin prêt à faire des « sacrifices » nécessaires et à se débarrasser des faucons de son pouvoir ?

 

Une opposition toujours dans l’errance ?

Quant à l’opposition mauritanienne, elle ne semble pas finir d’apprendre pragmatiquement, depuis l’instauration de la démocratie. Elle peine à comprendre que, sans synergie de ses forces, elle ne parviendra pas à imposer en sa faveur le rapport de forces indispensable à une alternance politique en Mauritanie. On lui concède que la tâche n’est pas facile, les très grandes différences d’agenda entre ses leaders rendant le pari très difficile. Les uns se battent contre un « système », les autres n’envisagent pas sa disparition et ne cherchent qu’à entrer dans le jeu du pouvoir. En outre, certains leaders, forts de gros egos, s’estiment plus légitimes que les autres et se haïssent cordialement. Et c’est à qui tirera le plus sur l’autre, comme on a pu le constater ces dernières années.

Autre plaie, certains partis sont presque exclusivement composés d’une seule composante ethnique. Là où certains prônent l’égalité et la justice – en somme, une véritable démocratie – d’autres clament leur « droit légitime et historique » à diriger le pays. Ils sont rares, les partis – même de la majorité – à mettre en avant l’intérêt de la Mauritanie !  Certes, ils peuvent chanter sur tous les toits que les Mauritaniens sont unis par le sol et par l’islam mais, dans les faits, il leur est très difficile de le traduire dans les faits.

La vérité est qu’ils se sentent très peu unis pour l’avenir de la Mauritanie. Allez voir les manifestations populaires – excepté le football – et les cérémonies sociales, vous serez surpris de la composition du public. Tout comme les émissions de radios et de télévisions, publiques et privées, sont loin de refléter la diversité culturelle et ethnique du pays, si chantée et vantée, pourtant, par nos dirigeants dans leurs discours souvent creux et redondants. Une situation épinglée, en vain, par la Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel (HAPA). Voilà comment l’on assiste, ces dernières années, à une dégradation constante du climat politique, et à la montée des crispations ethniques et statutaires, surtout pendant les élections.

 

Encore diviser pour régner ou le dialogue pour avancer, enfin ?

Ayant bien analysé ces profondes fissures, les pouvoirs, particulièrement celui des militaires, avancent leurs pions, en divisant pour régner et en utilisant tantôt la carotte, tantôt le bâton. Ainsi ont-ils réussi à s’incruster dans les arcanes du pouvoir, en « clientélisant » certains, méprisant les autres qu’ils traitent de « croulants, corrompus, extrémistes, racistes et autres pyromanes ». Dans ces conditions, comment construire une véritable démocratie, basée sur des compétitions électorales saines, transparentes et crédibles ? Quand on pratique le « partage de l’hyène », on suscite naturellement des mécontentements et des frustrations… Jusqu’à quel embrasement, au bout du compte ?

Si le président Ghazouani avait réussi à apaiser relativement l’arène politique, il doit aller au-delà dans son second quinquennat. Sa déclaration au lendemain de la proclamation des résultats provisoires permet de l’espérer. Rien ne l’obligeait en effet à réitérer sa disposition au dialogue, si ce n’est, osons l’espérer, une réelle volonté d’y parvenir. Une main tendue saisie, à la surprise générale, par le candidat arrivé en seconde position, Biram Dah Abeïd. Après avoir parlé de hold-up et affirmé qu’il ne reconnaissait pas la victoire de Mohamed Cheikh Ghazouani proclamée par la CENI, n’a-t-il pas évoqué une « crise post-électorale » et réclamé un dialogue avec celui qu’il accuse d’avoir confisqué son succès ? Ce faisant, n’a-t-il pas reconnu de facto celui de son adversaire ? On tombe des nues…

Cela dit, personne ne conteste l’importance d’un dialogue politique sincère et inclusif. Encore faudrait-il en développer les conditions, afin d’imposer une feuille de route consensuelle puis de faire respecter et appliquer les recommandations qui pourraient s’en dégager. Certes et comme je l’ai dit tantôt, un dialogue entre le pouvoir et l’opposition a toujours posé un problème de leadership au sein de celle-ci ; certains de ses leaders exigeant d’être appelés en premier, s’estimant incontournables, alors que nul ne soit plus important qu’un autre quand il s’agit de défendre les intérêts du pays. On se rappelle de la tentative de 202I-2022 : tout était quasiment fin prêt pour le lancement officiel d’un dialogue quand le gouvernement décida de suspendre le processus, prétextant que certains responsables de partis traînaient les pieds, posaient des conditions, etc. Il aura fallu l’approche des élections locales de Mai 2023 pour que le ministère de l’Intérieur réussisse à organiser des concertations entre les partis. Il s’en suivit la fondation de la CENI et ce fut encore l’occasion, pour l’opposition, de mettre à nu ses divergences sur la composition de cette institution. C’est dire donc toute la difficulté à réussir un dialogue politique inclusif et consensuel.

Le choix des thèmes à débattre reste également la quadrature du cercle. Le pouvoir n’a eu de cesse de tracer une ligne rouge sur tout qui touche à l’armée, tandis que le passif humanitaire, l’officialisation des langues nationales, l’esclavage ou ses séquelles restent des sujets quasiment « tabous ». Or on ne peut pas reconnaître des problèmes et refuser d’en parler, pas plus que faire une omelette sans casser des œufs. Contrairement à ce que s’entêtent à croire certains, aucun de ceux qui réclament la justice, l’égalité des citoyens devant la loi, les chances et l’éthique que prône même l’INSAF ne cherche à brûler notre pays. Qu’est-ce qu’ils y gagneraient ? Rien, rien et encore moins que rien, personne n’y a intérêt. C’est cette évidence qui devrait tous nous habiter pour nous convaincre enfin d’aller de l’avant.

 

Dalay Lam