Passions d’un engagement (22): Retour à Nouadhibou par mer.Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar (Cheddad)

25 June, 2024 - 19:56

Dans le cadre de la réorganisation du mouvement ou plus exactement de ce qui en restait, les « camarades » décidèrent de m’envoyer en mission politique à Nouadhibou. Depuis l’aventure de 1972, je n’y avais plus reposé pied. Je devrais quitter le lendemain pour Choum, emprunter le train minéralier jusqu’à Nouadhibou. Un voyage éprouvant.
La veille, au soir, je rendis visite à des amis dans la Kebba (bidonville) du Ksar, située dans l’espace occupé actuellement par la Moughataa de Teyarett. Ce quartier portait le nom générique de « Premier». Je pris du thé avec des jeunes dans une baraque. D’autres jeunes s’ajoutèrent à nous. Parmi eux Abderrahmane Ould Lekwar, commandant de la marine. Je le reconnus aussitôt. Ses parents avaient vécu longtemps chez nous. Par contre, lui me connaissait peu.
 

La rencontre de « Ehmoune »
Pourtant dans les milieux du mouvement, j’avais entendu parler de lui. On le présentait comme sympathisant. J’étais plus familier avec son jeune frère Mohamed Lemine, un promotionnaire de l’école de Mederdra.
Je l’interpellais par son surnom intime, « Ehmounane », Il sursauta, en criant « Quoi ?! Comment m’as-tu appelé?!», «Ehmounane, ce n’est pas ton nom?», Répondis-je. « Oui ! C’est bien mon nom. Mais seule ma maman où les gens de Dkhall, m’appellent ainsi ». « Donc, comme je ne suis pas ta maman, je fais partie peut être des gens de Dkhall », répliquai-je. Après on se présenta l’un à l’autre. Il m’informa qu’il ira le lendemain à Nouadhibou par bateau militaire. Comme j’envisageais d’aller à Nouadhibou, il m’invita à l’accompagner dans son bateau. J’éprouvais une certaine gêne. Parce que je n’avais jamais voyagé dans un bateau. Mon état d’asthmatique renforça ma réserve. La mer, trop humide et souvent très agitée, ne pouvait se révéler comme une promenade de santé, pour moi. Il m’encouragea, et un rendez-vous fut fixé pour le lendemain. Nous convînmes de déjeuner ensemble chez moi à la Medina 3, avant de prendre le large l’après-midi. Ce soir-là j’étais terrassé par une crise d’asthme. Je me rappelle toujours avoir piqué ma première crise d’asthme durant mon séjour à Akjoujt suite à une tempête de sable nocturne.
L’idée de voyager par mer renforça ma crise.
 

À bord du vaisseau Boulanwar
Comme programmé, nous quittâmes l’État-Major vers 16 heures en direction du wharf. Pas encore de Port de l’Amitié. À 17 heures, on leva l’ancre. Ici, il s’agit de la vraie ancre, pas par comparaison comme on a l’habitude de le dire ou de l’écrire. Le navire militaire, baptisé « Boulanwar », était encore en bon état. Je faisais la navette entre le pont et la cabine du commandant ; là-dedans, on avait l’impression d’être dans une chambre d’un hôtel cinq étoiles. La nuit sur le pont, le ciel et la surface de la mer se confondaient. C’était comme si nous étions dans un vaisseau spatial, navigant dans l’univers intersidéral. Par chance pour moi, ce soir-là, la mer était totalement calme, « une mer d’huile », comme on dit dans le jargon marin, m’apprit Abderrahmane. Le ciel était paré d’étoiles. Une multitude de lumières de navires de pêche qui se confondaient avec les vraies étoiles qui embellissaient le ciel. Comme par enchantement, mon asthme disparut. Il devint un souvenir du passé. Nous mangions, dormions et buvions toute sorte de boissons, sauf l’alcool bien sûr.
Les quartiers maîtres, les marins, dans la sémantique française, s’agitaient tout autour de nous pour répondre au moindre besoin que nous exprimions. Abderrahmane Ould Lekwar était, je crois, en ce moment, lieutenant de vaisseau. Il recevait de manière permanente des nouvelles du front annonçant des accrochages entre des éléments du Polisario et des unités marocaines ou mauritaniennes ou parfois les deux combinées.

La pittoresque vue du Cap Blanc
Le lendemain, à 9 heures du matin, on commença à percevoir la blancheur du rocher majestueux du Cap Blanc, scintillant sous les rayons d’un soleil pas encore très méchant, marquant ainsi Nouadhibou, anciennement Port-Etienne. Port-Etienne le nom d’un ancien ministre français des colonies. La célèbre Tour Bleue, l’arc de triomphe de Nouadhibou, fit son apparition.

Chez le Petit Ahmed
J’allais passer deux semaines chez Ehmounane dans son modeste logement dans l’un des bâtiments de la cité appelée Dragages. Son épouse, l’aimable et souriante Soukeina et son petit bébé, âgé d’à peine une année, Ahmed, remplissaient la maison de joie. Si seulement il s’approchait aujourd’hui de moi pour l’embrasser de nouveau !
Aujourd’hui quand je regarde la télévision, et que j’aperçois le visage encore juvénile d’Ahmed, désormais président de la Fédération Nationale de Football et ancien candidat à la présidence de la CAF, il me renvoyait à ce moment inoubliable.

Quand un troubadour adoucit les effets psychologiques de la guerre
Notre pays s’installe désormais dans la guerre. Presque toutes les générations présentes n’avaient jamais connu la guerre au sens propre du terme. Le climat était de plus en plus lourd. Les esprits étaient inquiets. En dépit de tout cela, des chanteurs de grand talent, comme Cheikh Ould Abba et Nnémaa Mint Chweikh, dominaient la scène artistique. À travers leurs chants et leurs animations, ils propagèrent gratuitement un message d’optimisme, atténuant ainsi les effets psychologiques négatifs de la guerre sur le moral des populations, notamment sur celui des soldats engagés sur le front. Même les hommes du Polisario, tous d’ailleurs de souche maure, dans leurs excès parfois contre les civils, arrêtèrent une fois un certain Didi, un chanteur amateur de grand talent. Didi était épris du célèbre griot feu Cheikh Ould Abba, l’oncle paternel de feue Dimi, qu’il imitait à s’y confondre.
Les éléments de l’unité du Polisario responsables de son arrestation, dans leur solitude, lui demandèrent de leur chanter le plus simplement du monde un morceau particulièrement bien apprécié en ce moment chez Cheikh Ould Abba: « Naama Elghidi »:« les jeunes belles filles à la démarche d’autruches». Didi, bien sûr, s’exécuta. Comme récompense il fut libéré et revint sain et sauf de cette aventure.
(À suivre)